A Bordeaux , 6 plaques de rues vont à terme être remplacées. Elles portent le nom des principaux armateurs de navires consacrés à la traite des noirs. Un nouveau petit pas dans le dévoilement de la mémoire coloniale de la ville mais un bien léger mouvement vers l’avant. Les lecteurs assidus d’Ancrage savent que le Guide du Bordeaux Colonial en préparation va mettre en évidence plus d’une centaine de noms de négriers purs et simples, ceux qui ici armèrent les bateaux mais aussi ceux qui aux Antilles vécurent du travail des esclaves dans leurs plantations de cannes ou de café, des fortunes girondines amassées sur la peau des Noirs. Et quand enfin, il ne fut plus possible de s’enrichir là-bas, ils ont investi leur fortune dans le vignoble. Bref, work in progress comme disent les anglo-saxons pour signifier qu’il y a loin de la coupe aux lèvres. Lire ci-dessous l’article publié par Rue 89 Bordeaux.
JF Meekel
Esclavage : 6 plaques de rues de négriers et une sculpture pour ne pas oublier
Ce lundi 2 décembre, c’était la journée internationale pour l’abolition de l’esclavage. À cette occasion, 6 plaques explicatives pour les rues portant des noms de négriers ont été présentées et la sculpture ‟strange fruit”, réalisée par Sandrine Plante-Rougeol, a été inaugurée.
Par Carole Latouche publié le 03/12/2019 à 06h00
Les plaques des rues Mareilhac, Gramont, David Gradis, Desse, du passage Feger et du cours Journu-Aubert seront remplacées, « d’ici mars, en janvier probablement », précise Marik Fetouh, adjoint au maire à l’égalité et à la citoyenneté.
Les nouvelles expliqueront le rôle de ces six négociants bordelais dans la traite négrière – ils ont réalisé chacun entre une et dix expéditions. Mais « ils ont aussi rendu des services à la Ville », poursuit l’élu, citant notamment le cas de Bernard Journu-Auber, dont les collections léguées à la collectivité ont donné naissance au Muséum d’histoire naturelle. On pourra y lire que « La firme David Gradis et Cie a armé 221 navires pour les colonies de 1718 et 1789 dont 10 pour la traite des Noirs » ou encore « Pierre Desse (1760-1839), marin bordelais, a été capitaine de 4 expéditions négrières entre 1789 et 1818 ».
À travers ces plaques explicatives, la Ville veut « assumer son passé sombre », explique Nicolas Florian, maire de Bordeaux. « Il faut être des combattants de la cause de la traite et de l’esclavage. C’est un travail du quotidien. »
Haut et court
La question des noms de rues est un dossier sensible pour la ville, du fait des interrogations sur le rôle joué par les personnalités incriminées, et l’impact pour leurs descendance. L’installation d’œuvres d’art enrichissant le parcours mémoriel est elle moins polémique. La sculpture ‟strange fruit” de Sandrine Plante-Rougeol, a été inaugurée ce lundi dans les jardins de l’Hôtel de Ville.
« C’est un devoir de mémoire pour rendre hommage aux esclaves qui ont subi des souffrances », révèle la sculptrice.
En l’occurrence les lynchages, d’où une œuvre évoquant un arbre auquel sont suspendues trois têtes d’hommes, ces « fruits étranges » selon la chanson interprétée par Billie Holiday.
« Trois visages, trois émotions : la peur, la douleur, l’abandon », commente Nicolas Florian, selon lequel Bordeaux ne doit pas « oublier ses racines ».
Bordeaux a
été, entre la fin du XVIIe siècle et le début du XXe,
deuxième port pour la traite négrière (150 000 esclaves déportés) puis premier
port colonial pour le commerce en droiture.
Marik Fetouh, adjoint au maire en charge de l’égalité et de la citoyenneté, Nicolas Florian, maire, et Sandrine Plante-Rougeol, sculptrice, ont dévoilé « strange fruit ». (CL/Rue89 Bordeaux)
Après des décennies d’omerta, un travail de mémoire est entrepris depuis 10 ans, avec notamment l’ouverture de salles sur l’esclavage et la traite négrière au Musée d’Aquitaine, en 2009, et l’installation d’une statue à l’effigie de Modeste Testas inaugurée le 10 mai 2019 sur les quais rive gauche de la Garonne.
L’association Mémoires et Partages estime que cette tâche reste inaboutie, et milite pour la création d’un mémorial, un lieu dédié à la traite et l’esclavage, comme à Nantes. Si la mairie avait initialement accueilli fraîchement de projet, le maire ne l’a ce lundi pas totalement écartée : « C’est une idée, peut-être un prochain projet ». En attendant, le projet de Maison contre les esclavages a recueilli 2500 euros pour un objectif de 30000 sur la plateforme de financement participatif HelloAsso.