Le duo Aragon Ferré ont chanté leurs louanges, le premier dans un texte indépassable, L’Affiche Rouge, le second dans un interprétation toujours aussi bouleversante.
“Tout avait la couleur uniforme du givre
À la fin février pour vos derniers moments
Et c’est alors que l’un de vous dit calmement
“Bonheur à tous, bonheur à ceux qui vont survivre”
“Je meurs sans haine en moi pour le peuple allemand”
“Bonheur à ceux qui vont survivre” est directement emprunté à l’ultime lettre ( voir en annexe le texte intégral de cette lettre qu’on ne peut lire sans une immense émotion) que Missak Manouchian a adressée à Mélinée son épouse, sa ” petite orpheline bien-aimé.”
Passons sur l’incroyable pas de deux, (lire aussi en annexe le texte de blog d’Hugues Le Paige sur ce ” double jeu” macroniste) ce en même temps macronien qui consiste à panthéoniser les Manouchian, ces étrangers au moment même où on fait voter une loi xénophobe avec l’appui d’un parti extrémiste dont le slogan reste la France aux Français.
Bordeaux dans toutes ces composantes a voulu “honorer dignement la mémoire ” de tous ceux qui se sont engagés pour la libération de la France, jusqu’à y laisser leur jeune vie. Et comme Missak Manouchian, ils étaient pour beaucoup des étrangers réfugiés en France depuis l’Est de l’Europe, mais aussi portugais, espagnols, italiens et juifs de partout. Ancrage vous en parle souvent.
Aujourd’hui, à Bordeaux se fut principalement en 3 lieux que se déroulèrent les commémorations à l’appel d’un collectif d’associations représentant toutes les nationalités concernées. D’abord à la Base sous marine devant le monument à la mémoires des Républicains espagnols, travailleurs forcés. Il s’agit d’une stèle de béton inaugurée en avril 2012 devant la base sous-marine de Bordeaux pour rappeler que 3 000 républicains ont été contraints et forcés à bâtir cet édifice pendant deux ans, de 1941 à 1943, et que plus d’une soixantaine y sont morts à la tâche. Une seconde cérémonie avec dépôt de gerbe s’est déroulée au monument de la ville de Bordeaux à la mémoire de la Résistance, esplanade Charles-de-Gaulle, dans le quartier de Mériadeck. Enfin, à l’appel du parti communiste, une 3eme cérémonie s’est déroulée dans le cimetière de la Chartreuse devant le Caveau des Fusillés du Camp de Souge (256 prisonniers exécutés de 1940 à 1944, « dont 48 communistes bordelais.
Du cinéma pour clore cette journée du souvenir, avec la projection à l’Utopia du film « Ni travail, ni famille, ni patrie » de Mosco Levi Boucault, sur les étrangers dans la Résistance en France.
J F Meekel
Fresnes, le 21 février 1944
Ma Chère Mélinée, ma petite orpheline bien-aimée,
Dans quelques heures, je ne serai plus de ce monde. Nous allons être fusillés cet après-
midi à 15 heures. Cela m’arrive comme un accident dans ma vie, je n’y crois pas mais
pourtant je sais que je ne te verrai plus jamais.
Que puis-je t’écrire ? Tout est confus en moi et bien clair en même temps.
Je m’étais engagé dans l’Armée de Libération en soldat volontaire et je meurs à deux
doigts de la Victoire et du but. Bonheur à ceux qui vont nous survivre et goûter la douceur
de la Liberté et de la Paix de demain. Je suis sûr que le peuple français et tous les
combattants de la Liberté sauront honorer notre mémoire dignement.
Au moment de mourir, je proclame que je n’ai aucune haine contre le peuple allemand
et contre qui que ce soit, chacun aura ce qu’il méritera comme châtiment et comme
récompense. Le peuple allemand et tous les autres peuples vivront en paix et en fraternité
après la guerre qui ne durera plus longtemps. Bonheur à tous…
J’ai un regret profond de ne t’avoir pas rendue heureuse, j’aurais bien voulu avoir un
enfant de toi, comme tu le voulais toujours. Je te prie donc de te marier après la guerre, sans
faute, et d’avoir un enfant pour mon bonheur, et pour accomplir ma dernière volonté,
marie-toi avec quelqu’un qui puisse te rendre heureuse.
Tous mes biens et toutes mes affaires je les lègue à toi à ta sœur et à mes neveux. Après
la guerre tu pourras faire valoir ton droit de pension de guerre en tant que ma femme, car je
meurs en soldat régulier de l’armée française de la Libération. Avec l’aide des amis qui
voudront bien m’honorer, tu feras éditer mes poèmes et mes écrits qui valent d’être lus. Tu
apporteras mes souvenirs si possible à mes parents en Arménie.
Je mourrai avec mes 23 camarades tout à l’heure avec le courage et la sérénité d’un
homme qui a la conscience bien tranquille, car personnellement, je n’ai fait de mal à
personne et si je l’ai fait, je l’ai fait sans haine.
Aujourd’hui, il y a du soleil. C’est en regardant le soleil et la belle nature que j’ai tant
aimée que je dirai adieu à la vie et à vous tous, ma bien chère femme et mes bien chers
amis. Je pardonne à tous ceux qui m’ont fait du mal ou qui ont voulu me faire du mal sauf à
celui qui nous a trahis pour racheter sa peau et ceux qui nous ont vendus.
Je t’embrasse bien fort ainsi que ta sœur et tous les amis qui me connaissent de loin ou
de près, je vous serre tous sur mon cœur. Adieu. Ton ami, ton camarade, ton mari.
Manouchian Michel.
P.S. J’ai quinze mille francs dans la valise de la rue de Plaisance. Si tu peux les prendre,
rends mes dettes et donne le reste à Armène. M. M.
Manouchian au Panthéon : le double jeu de Macron
Publié le21 février 2024 parHugues Le Paige
Qui ne se réjouirait pas de l’entrée de Missak Manouchian et de sa femme Mélinée au Panthéon ? Ouvrir les portails du temple de la République à l’un des responsables des Francs-tireurs et partisans − Main-d’œuvre immigrée (FTP-MOI) à qui la France avait refusé par deux fois d’accorder la nationalité est d’abord un acte de réparation[1]. Elle comble, au moins partiellement- le trou noir d’une mémoire historique jusque-là soigneusement entretenue par tous les pouvoirs de la République. Enfin, des communistes, des internationalistes, de toutes origines (Juifs — en majorité-, Arméniens, Espagnols, Italiens, Polonais, Roumains et tant d’autres) ont droit à la reconnaissance de leur combat et de leur sacrifice pour la France et un autre monde. Ce n’est pas rien quand on connaît la conception étroite et souvent partiale de l’histoire officielle de la résistance.
Oui, de ce point de vue, on ne peut que se réjouir de voir entrer au Panthéon celui qui incarne « L’Affiche Rouge », celle ou les nazis dénonçaient « l’armée du crime, commandée par des étrangers et inspirés par les Juifs ». Et pourtant ce geste décidé par le Président de la République charrie sa part d’ombre et de double jeu. Car c’est bien le même Macron qui vient de faire adopter une loi sur l’immigration dont le Rassemblement National a pu proclamer triomphalement qu’elle représentait sa « victoire idéologique ». L’introduction de la préférence nationale, la mise en cause du droit du sol, l’alignement sur toutes les mesures réclamées à cor et à cri par l’extrême-droite qui dicte désormais sa loi à la droite traditionnelle, le tout sur le regard complice du macronisme : voilà qui corrompt l’initiative mémorielle du chef de l’État. Emmanuel Macron est coutumier du fait : il sait utiliser la mémoire, le seul domaine où il affirme des principes, pour tenter de se refaire une virginité politique, mais du même coup il prend le risque de dénaturer la portée de ses propres initiatives. La seule présence de Martine Le Pen ce 21 février au Panthéon en est la preuve. Par l’incessante pratique tacticienne de la triangulation, de la manipulation et de la confusion politique permanente, Macron a pris le risque de faire du Rassemblement National le maître du jeu et sans doute le futur vainqueur des prochaines échéances électorales alors qu’il avait été élu pour lui faire barrage. L’opportunisme présidentiel lui tient lieu de projet et les coups médiatiques remplacent les valeurs qu’il prétend porter.
Cela n’enlève rien à l’importance symbolique et historique de l’entrée des Manouchian au Panthéon même si d’autres parrains leur auraient fait honneur.
[1] Dans son discours au Panthéon, ce 21 février, Emmanuel Macron a regretté que « La France ait alors oublié sa vocation d’asile ». Et aujourd’hui ? Toute son intervention en hommage à Manouchian et à ses camarades contredisait la politique menée par ses gouvernements. Double langage qui lui a aussi permis de saluer les communistes comme ceux-ci ne l’ont jamais entendu. » Est-ce ainsi que les hommes font de la politique ? » ( pour ceux qui ont entendu le discours macronien…)