Comment expliquer à sa fille de 18 ans l’implication de la France dans le dernier génocide du XXe siècle ? Journaliste pour le quotidien français La Croix, Laurent Larcher s’est plié à cet exercice dans son dernier ouvrage, Papa, qu’est-ce qu’on a fait au Rwanda ? La France face au génocide. Spécialiste du Rwanda depuis le génocide des Tutsi⸱es (au moins 800 000 morts entre avril et juillet 1994), auteur d’ouvrages sur les responsabilités françaises (dont le volumineux Rwanda, ils parlent. Témoignages pour l’histoire, Le Seuil, 2019), ce père de famille est sorti de son habituelle retenue pour raconter de manière plus engagée une grande partie de l’histoire coupable qui a lié Paris à Kigali : l’amitié de François Mitterrand avec Juvénal Habyarimana (le président dont la femme, l’une des architectes du génocide, a été évacuée en France, où elle vit encore, après l’assassinat de son mari dans un attentat contre son avion, le 6 avril 1994), les opérations militaires françaises successives pour soutenir l’armée rwandaise et, indirectement, les tueurs, ou encore l’aveuglement et les dénis des responsables politiques et militaires…
Il revient aussi à la source, avec l’instrumentalisation des ethnies « Tutsi » et « Hutu » par les colons belges, les pogroms au fil des décennies, les lanceurs d’alertes ignorés, le tout annonçant très tôt la préparation du crime des crimes. « Après la Shoah, c’est la seconde fois que notre pays est associé à une extermination de masse. Nous ne pouvons pas tourner cette page comme si de rien n’était. À ton tour de savoir », écrit-il.
« Je suis en colère », confie l’auteur. Alors que le trentième anniversaire du génocide sera commémoré cette année, que le temps fait son œuvre de sape sur la mémoire collective et que les témoins clés disparaissent les uns après les autres, il veut, dit-il, « sensibiliser la jeunesse sur cette tragédie » et lutter contre l’oubli.
Plusieurs témoignages de survivant⸱es viennent ponctuer le récit, dont celui d’Étienne Nsanzimana, le fils du seul employé rwandais de la chancellerie française évacué par la France (dix-sept d’entre eux, tous Tutsi⸱es, seront assassiné⸱es, dont sa tante, Gaudence Mukamurenzi). « Il avait l’âge de ma fille au moment des faits, poursuit le journaliste, je trouvais important que les jeunes puissent se mettre à sa place : cela aurait pu leur arriver, ou à quelqu’un de leur famille, ou un⸱e ami⸱e… »
Cet ouvrage de moins de 200 pages est accessible aux plus jeunes mais pourrait tout aussi bien être conseillé à toute personne ne connaissant pas cette histoire tragique. Car, depuis trente ans, qui, parmi le grand public, se souvient encore ? Et, surtout, qui sait ce que la France a fait au Rwanda ?
À lire : Papa, qu’est-ce qu’on a fait au Rwanda ? La France face au génocide, Le Seuil, 5 janvier 2023, 160 pages, 17 euros.