Le gouvernement israélien a approuvé un accord prévoyant à partir de jeudi matin la libération d’otages enlevés le 7 octobre par le Hamas et une trêve dans la bande de Gaza en échange de la libération de 150 prisonniers palestiniens. Le cessez-le-feu devrait durer au moins quatre jours, mais ne permettra pas de résoudre la catastrophe humanitaire dans l’enclave, avertissent les ONG.
François Bougon et Rachida El Azzouzi
22 novembre 2023 à 08h08
Les termes sont différents : Israël évoque une « pause » et « un répit » ; le Hamas parle d’une « trêve ». Mais, après 47 jours d’offensive israélienne à Gaza déclenchée par l’attaque sanglante du mouvement islamiste le 7 octobre, qui s’est traduite par un lourd bilan parmi la population civile de l’enclave, un cessez-le-feu de quatre jours à partir de jeudi matin et la prochaine libération d’une partie des otages aux mains du mouvement islamiste font naître une petite lueur d’espoir.
Israël et le Hamas ont accepté un accord à l’issue de négociations menées sous l’égide du Qatar, de l’Égypte et des États-Unis. Il prévoit, à partir de jeudi matin, la libération de 50 otages détenus par le mouvement islamiste depuis le 7 octobre – des femmes et des enfants –, en échange d’une suspension de quatre jours des opérations militaires dans la bande de Gaza et de la libération de 150 prisonnières et prisonniers palestiniens.
Il a donc fallu des semaines de négociations dans les coulisses pour obtenir ce résultat avec un point culminant : une rencontre à Doha le 9 novembre des chefs des services de renseignement américains et israéliens, William Burns et David Barnea, avec le premier ministre qatari Mohammed bin Abdulrahman ben Jassim al-Thani.
Selon un responsable de l’administration américaine cité par Le Monde, les États-Unis ont eu, dès les premiers jours, « des contacts quotidiens, voire heure par heure, entre responsables de haut niveau, avec le Qatar, l’Égypte et Israël au sujet des otages ». « Nous avons eu aussi une équipe sur le terrain travaillant à différentes périodes pour corroborer de façon indépendante certaines informations que nous recueillions par d’autres sources », a-t-il expliqué au quotidien français.
Si tous les détails ne sont pas encore connus – on ignore encore celles et ceux qui vont être concerné·es par cet échange –, le cessez-le-feu temporaire est censé entrer en vigueur à partir de jeudi 10 heures (9 heures, heure française). « La libération de dix otages supplémentaires se traduira par un jour de répit supplémentaire », souligne le gouvernement israélien dans un communiqué qui n’évoque pas la libération de prisonniers palestiniens.
Le ministère de la justice israélien a cependant publié mercredi matin la liste des 300 prisonniers palestiniens candidats à la libération dans le cadre de l’accord. Cette publication ouvre une période de 24 heures pendant laquelle le public peut exprimer son opposition à l’accord et déposer un recours auprès de la Haute Cour. Cette dernière n’a jamais fait obstacle aux précédents échanges.
Les précédents échanges
Depuis les années 1960, les Israéliens ont échangé des prisonniers avec les autorités palestiniennes. Il est arrivé que cela concerne des soldats israéliens morts, l’armée israélienne posant « comme principe fort le rapatriement de tous ses soldats, morts ou vivants », souligne dans son livre La Toile carcérale la chercheuse Stéphanie Latte Abdallah (Bayard, 2021).
En 1985, le FPLP-Commandement général, dirigé par un opposant à Yasser Arafat, Ahmed Jibril, avait obtenu la libération de 1 270 prisonniers, la plupart en provenance de prisons israéliennes et le reste du Liban du Sud, contre celle de trois soldats israéliens. L’échange avait été surnommé l’« accord Jibril ».
L’un des arrangements les plus connus a été celui qui a permis la libération du soldat israélien Gilad Shalit, détenu pendant cinq ans par le Hamas, à la fin 2011 : 1 000 hommes et 27 femmes sortirent des prisons israéliennes.
Selon un responsable états-unien cité par le quotidien israélien Haaretz, « l’accord a finalement été structuré de manière à encourager la libération de plus de 50 otages ». Pour lui, il « est destiné dans la première phase aux femmes et aux enfants, mais avec l’espoir d’autres libérations. L’objectif est clairement de ramener tous les otages auprès de leurs familles ».
Quelque 236 personnes ont été enlevées le 7 octobre, mais toutes ne sont pas aux mains du Hamas, certaines étant retenues notamment par une autre organisation palestinienne, le Jihad islamique. Depuis, la riposte israélienne a fait 14 128 morts du côté palestinien dans la bande de Gaza, selon les chiffres communiqués par le gouvernement du Hamas. Parmi les morts recensés à ce jour figurent 5 840 enfants, toujours selon le Hamas.
Pour le chercheur à Sciences Po-Paris Étienne Dignat, qui travaille sur les enjeux éthico-politiques des négociations d’otages, l’accord est « une excellente nouvelle » : « Il montre que les canaux de négociation fonctionnent, que le Qatar est bel et bien un acteur majeur de la médiation dans ce conflit. Il montre aussi que cela fonctionne entre les branches politique et militaire du Hamas. »
D’un point de vue sécuritaire, la configuration n’est pas la même pour l’État hébreu que la négociation qui a conduit, en échange de 1 027 prisonnières et prisonniers palestiniens, à la libération en 2011 du soldat israélien Gilad Shalit, capturé par un commando palestinien cinq ans plus tôt, estime l’auteur du livre La Rançon de la terreur. Gouverner le marché des otages (Presses universitaires de France, 2023).
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« Contrairement à 2011, où parmi les prisonniers libérés, figuraient des personnalités telles que le chef du Hamas à Gaza Yahya Sinouar [qui est aujourd’hui l’ennemi numéro un d’Israël, l’un des cerveaux de l’attaque du 7 octobre 2023 – ndlr], ce deal n’est pas risqué. Les cinquante otages, qui vont retrouver leurs familles, portent une symbolique très forte car ce sont des femmes et des enfants. En échange, les Israéliens vont libérer aussi des femmes et des enfants, des personnes qui ne sont pas dangereuses. »
Pour Étienne Dignat, cet accord sert chaque camp. Quelques jours après une marche de grande ampleur des familles des otages de Tel-Aviv à Jérusalem, il permet au premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou, plus que fragilisé, de « valider a posteriori son narratif » : « tout à la fois envahir la bande de Gaza, mener une opération militaire pour “éliminer” le Hamas et obtenir des libérations d’otages par la négociation ».
Quant au mouvement islamiste palestinien, affaibli après quarante-sept jours de combats et de bombardements d’une intensité inédite par l’armée israélienne, il « sort d’une position de passivité pour montrer à la population qu’il est capable d’obtenir la libération de prisonniers palestiniens, que le Hamas considère comme des otages aux mains d’Israël, et d’asseoir son leadership face à l’Autorité palestinienne ».
Le processus n’a pas été facile et Benyamin Nétanyahou, critiqué pour sa responsabilité dans l’affront subi le 7 octobre, n’a emporté l’adhésion de son cabinet qu’à l’issue d’une réunion tendue.
Nous n’arrêterons pas la guerre après le cessez-le-feu.
Benyamin Nétanyahou, premier ministre israélien
Au bout de six heures d’échanges, trente-cinq ministres l’ont finalement approuvé mercredi matin aux aurores. Trois s’y sont opposés, tous membres du parti d’extrême droite Otzma Yehudit. Le chef de la formation, le ministre de la sécurité nationale Itamar Ben Gvir, a fustigé un accord « immoral et [qui] fait le jeu du Hamas ». « L’organisation veut du carburant, des terroristes libérés et une interruption de l’activité de Tsahal en échange », a-t-il dit, jugeant qu’« Israël commet les mêmes erreurs que par le passé en ne maintenant pas une pression militaire constante sur le Hamas ».
Benyamin Nétanyahou s’est défendu de vouloir mettre un terme à la campagne militaire menée à Gaza. « Nous n’arrêterons pas la guerre après le cessez-le-feu, a-t-il dit. Il est absurde de laisser entendre que nous arrêterons la guerre après le cessez-le-feu pour rendre les otages. Je tiens à le dire clairement : nous sommes en guerre et nous poursuivrons la guerre jusqu’à ce que nous ayons atteint tous nos objectifs : éliminer le Hamas, rendre tous les otages et les disparus, et garantir qu’il n’y aura pas de menace pour Israël à Gaza. »
Le ministre Benny Gantz a affirmé, selon Haaretz, que les grandes lignes de l’accord « sont difficiles et douloureuses d’un point de vue humain, mais que c’est le bon accord ».
Le président Isaac Herzog a estimé, dans un communiqué envoyé à la presse, que les « réserves » étaient « compréhensibles, douloureuses et difficiles », mais que, « compte tenu des circonstances », il appuyait l’accord obtenu par le gouvernement. « Il s’agit d’un devoir moral et éthique qui exprime correctement la valeur juive et israélienne d’assurer la liberté des personnes retenues en captivité, avec l’espoir qu’il s’agira de la première étape vers le retour de tous les otages dans leur pays. »
Les otages ne seront pas libérés en une seule fois, mais seront confiés par petits groupes au Comité international de la Croix-Rouge. Selon les médias israéliens, six hôpitaux sont prêts à les recevoir en Israël et ils et elles seront séparé·es des autres patient·es et tenu·es à bonne distance des médias.
Le Hamas a salué mercredi l’accord de « trêve humanitaire » approuvé par Israël. « Les dispositions de cet accord ont été formulées conformément à la vision de la résistance et de la détermination qui visent à servir notre peuple et à renforcer sa ténacité face à l’agression », a indiqué le Hamas dans un communiqué. « Nous confirmons que nos mains resteront sur la détente et que nos bataillons triomphants resteront aux aguets », a-t-il averti.
Le président palestinien, Mahmoud Abbas, s’est aussi félicité, appelant à des solutions plus larges au long conflit israélo-palestinien. L’administration de Mahmoud Abbas, basée en Cisjordanie occupée, « apprécie l’effort [de médiation] qatari-égyptien » et souhaite une trêve prolongée avec Israël. Abbas, très contesté en Cisjordanie, souhaite également « la mise en œuvre d’une solution politique basée sur la légitimité internationale », selon un message publié sur les médias sociaux par Hussein al-Sheikh, un conseiller palestinien de haut rang.
Les États-Unis, la France, la Russie ou la Chine saluent l’accord
Allié de Washington, le Qatar, qui abrite aussi le bureau politique du Hamas dans ses palaces, montre à nouveau sa capacité à s’imposer sur la scène diplomatique comme un médiateur clé avec les régimes les plus durs comme les talibans en Afghanistan et tous ceux auxquels l’Occident ne veut pas serrer la main comme ici le Hamas. L’émirat du golfe, qui avait déjà obtenu la libération de quatre otages – deux Américaines, le 20 octobre, et deux Israéliennes, le 23 octobre – a confirmé mercredi l’accord, parlant lui aussi de « trêve humanitaire » à Gaza.
« Le Qatar annonce le succès de ses efforts de médiation entrepris conjointement avec l’Égypte et les États-Unis qui ont abouti à un accord pour une trêve humanitaire », s’est félicité le ministère des affaires étrangères de l’émirat. « Le début de cette trêve sera annoncé dans les prochaines 24 heures et durera quatre jours, avec possibilité de prolongation », a-t-il ajouté sur X (ex-Twitter).
Le président des États-Unis, Joe Biden, s’est dit « extraordinairement satisfait » de la libération prochaine d’otages. « Je suis extraordinairement satisfait [du fait] que plusieurs de ces âmes courageuses […] seront réunies avec leurs familles une fois que cet accord sera pleinement mis en œuvre. »
Les États-Unis s’attendent à ce que « plus de 50 » otages soient libérés par le Hamas, avait indiqué dans la nuit un haut responsable de la Maison Blanche. « Il y aura maintenant une trêve de plusieurs jours, [le Hamas] aura la capacité d’identifier des femmes et des enfants supplémentaires. Nous nous attendons donc à ce qu’il y en ait plus de 50 », a déclaré le haut responsable américain à la presse. L’accord annoncé inclut trois ressortissantes américaines, toujours selon une source états-unienne.
Paris espère qu’il y aura des Français·es parmi les otages qui vont être libérés. « Nous l’espérons et nous y travaillons », a dit Catherine Colonna sur France Inter, soulignant qu’elle restait prudente car « il faut que chacune des parties tienne la part de contrat ». La ministre a également salué « tout particulièrement le travail du Qatar » pour son rôle de médiateur.
« Moscou salue l’accord entre Israël et le Hamas pour une trêve humanitaire de quatre jours », a de son côté déclaré la porte-parole du ministère des affaires étrangères russe, Maria Zakharova, citée par les agences de presse russes, en rappelant que « c’est exactement à quoi la Russie a appelé dès le début de l’escalade du conflit ».
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« Nous saluons l’accord de cessez-le-feu temporaire entre les parties concernées », a commenté devant la presse une porte-parole de la diplomatie chinoise, Mao Ning. La Chine espère que la trêve « permettra d’apaiser la crise humanitaire, contribuera à la désescalade et réduira les tensions », a ajouté la porte-parole, soulignant que Pékin appelle « depuis le début du conflit » à un « cessez-le-feu ».
Sur X, le secrétaire général des Nations unies António Guterres a jugé que c’était « un pas important dans la bonne direction, même s’il reste encore beaucoup à faire ». « Les Nations unies mobiliseront toutes leurs capacités pour soutenir la mise en œuvre de l’accord et maximiser son impact positif sur la situation humanitaire à Gaza », a-t-il ajouté.
L’enjeu de la catastrophe humanitaire
Dans un communiqué, l’ONG Human Rights Watch a rappelé, par la voix d’Omar Shakir, directeur de recherche sur Israël et la Palestine au sein de l’organisation, que « la prise d’otages est un crime de guerre, et le Hamas et les autres groupes armés palestiniens doivent tous les libérer immédiatement ». Mais, ajoute l’ONG, « bloquer l’acheminement de l’aide vitale et du carburant jusqu’à la libération des otages est un crime de guerre qui met en danger la vie de 2,2 millions de personnes. Les êtres humains ne sont pas une monnaie d’échange. Cessez-le-feu ou pas, les attaques illégales doivent cesser ».
En effet, au-delà de la libération des otages de part et d’autre, reste un enjeu de taille : la catastrophe humanitaire dans la bande de Gaza où la riposte israélienne a provoqué des destructions massives, fait 14 128 morts, dont 5 840 enfants, des milliers de blessé·es, selon les chiffres communiqués par le gouvernement du Hamas, assortie d’un siège complet de l’enclave.
La communauté internationale doit faire pression pour que cette trêve se transforme en un cessez-le-feu total et permanent.
Louis-Nicolas Jandeaux, responsable plaidoyer humanitaire d’Oxfam France
La trêve de quatre jours qui entrera en vigueur jeudi est insuffisante au regard de l’ampleur des besoins et des destructions pour les ONG internationales qui opèrent déjà très difficilement dans l’enclave palestinienne et qui continuent d’appeler en vain à « un cessez-le-feu immédiat».
« Cette pause humanitaire dans les bombardements incessants menés à Gaza offre un peu de répit aux populations civiles et pour acheminer de l’aide humanitaire, mais pas plus, réagit le responsable plaidoyer humanitaire d’Oxfam France, Louis-Nicolas Jandeaux. Elle ne nous permettra aucunement d’inscrire l’aide humanitaire dans la durée. Il n’y a pas de pause assez longue, ni de couloirs assez larges, ni d’autres options d’acheminement de l’aide assez créatives pour soulager la souffrance de plus de 2 millions de personnes, qui survivent dans une ville partiellement détruite, dans laquelle tant de vies innocentes ont été sacrifiées. »
« La communauté internationale doit faire pression pour que cette trêve se transforme en un cessez-le-feu total et permanent, garantissant la libre circulation de l’aide humanitaire à travers Israël et l’Égypte, y compris l’approvisionnement en carburant, qui est d’une importance vitale pour Gaza, poursuit l’humanitaire. Ce cessez-le-feu doit amorcer un processus de paix qui s’attaque au cœur du conflit : mettre fin à l’occupation militaire prolongée du territoire palestinien par Israël et au blocus de Gaza, tout en garantissant la libération de tous les otages. »
François Bougon et Rachida El Azzouzi