Derrière les chiffres, débattus, qui montrent une explosion des actes antisémites en France depuis l’attaque du Hamas le 7 octobre en Israël, il y a les victimes. Quatre d’entre elles témoignent dans Mediapart.

Sarah Benichou, Sarah Brethes, David Perrotin et Lou Syrah

19 novembre 2023 à 15h49

DixDix stèles juives dégradées mercredi dans le cimetière militaire allemand de Moulin-sous-Touvent (Oise), un adolescent de 15 ans victime d’une agression antisémite dans un train dans les Yvelines dimanche 12 novembre ou ce jeune de 18 ans à Rouen, traité de « sale juif » dans la rue le 8 novembre par un homme qui avait repéré son pendentif, une étoile de David. 

Depuis les attaques du Hamas du 7 octobre et la riposte israélienne, le décompte des actes antisémites est alarmant – le ministère de l’intérieur en a recensé 1 518, contre 436 pour l’année 2022. Ce relevé, effectué par les services de police et de gendarmerie, fait débat mais il est implacable : chaque semaine, le chiffre grimpe. De quoi nourrir une peur vive au sein de la communauté juive en France. 

À lire aussi En France, les juifs pris dans une « spirale de solitude et de peur » 

10 novembre 2023

Car derrière ce décompte, il y a des victimes à qui Mediapart a choisi de donner la parole pour rendre compte de cet antisémitisme qui n’a jamais disparu. L’histoire d’Isaac*, de sa femme et de leur bébé qui ont retrouvé leur appartement mis à sac, cambriolé et recouvert d’inscriptions antisémites. Celle d’Esther*, violemment insultée dans la rue lorsqu’elle a été identifiée comme juive. Le témoignage d’une centenaire qui, avec sa famille, a subi un véritable harcèlement le temps d’un déjeuner parce que son voisin de table avait deviné son origine avant de déverser tout un tas de préjugés. Et Léa*, influenceuse visée sur les réseaux sociaux, lorsqu’elle a partagé des stories sur Instagram et reçu de la haine en retour. 

Toutes ces victimes, qui ont préféré conserver l’anonymat et dont trois n’ont pas porté plainte, considèrent cette expérience comme exceptionnelle et incomparable avec leur vécu antérieur. 

  •  Un « cambriolage à caractère antisémite » à Grenoble 

Le 17 octobre aux alentours de minuit, Isaac revenait d’une excursion familiale à Lyon avec sa femme et sa fille en bas âge, quand, en pénétrant dans son deux-pièces au rez-de-chaussée de sa résidence située dans la banlieue de Grenoble, à Fontaine, il a découvert effaré son appartement mis à sac. Le canapé, la télévision du salon et de la chambre, une enceinte Google et même les jouets de sa fille ont été volontairement brisés. 1 000 euros lui ont également été dérobés. Mais « le plus douloureux » ce sont les tags inscrits à l’encre noire et qu’il découvre alors. 

Illustration 1
Photos des inscriptions antisémites retrouvées au domicile d’Isaac. © Photomontage Mediapart

Un « sale juif » figure sur une porte, un « mort au juif » près de l’entrée, un tag inscrit « free Palestine » près de la fenêtre. Plusieurs croix gammées ont également été tracées, dont l’une dans la chambre parentale, comme a pu le constater Mediapart présent sur les lieux le 10 novembre. Le lendemain des faits, Isaac a déposé plainte « contre X menace de mort matérialisée par écrit, dégradation et vol par effraction commis en raison de la race, l’ethnie ou la religion ». Le procureur de Grenoble Éric Vaillant a annoncé l’ouverture d’une enquête pour « cambriolage à caractère antisémite ». « Les investigations sont toujours en cours », confirme le parquet à Mediapart, qui dit n’écarter aucune piste.

Si son cas est venu grossir le chiffrage des actes antisémites dans la presse, Isaac n’a pas souhaité en être le visage, il a refusé les sollicitations des principaux médias et l’aide des associations cultuelles. « Je n’ai tout simplement pas les mots », dit le jeune homme « dégoûté » qui avoue ne pas avoir réussi à l’annoncer à toute sa famille. Fils d’un couple mixte issu d’un mariage entre un père juif d’origine maghrébine et d’une mère chrétienne, Isaac marié à une non-juive pratique son judaïsme en pointillé sans renier sa foi ou sa judéité et a toujours fait preuve d’humour pour faire rempart aux clichés antisémites vécus à l’école. 

Depuis les faits, sa traditionnelle jovialité n’y fait rien, le jeune homme cumule « des nuits sans sommeil » et une interrogation qui l’empêche de dormir : « Puisque je ne porte pas d’étoile de David, et que mon appartement n’a pas de mezouza je m’en viens à me demander si l’acte n’a pas été commis par une personne de mon entourage. »

  • « Sale juive ! », en pleine rue

Il pleut le 5 novembre après-midi à Paris, alors personne ne flâne sur le boulevard Diderot pourtant plus peuplé qu’à l’habitude. La station Reuilly-Diderot est fermée donc les gens se rendent à pied vers la place de la Nation. Esther* et Mila* font partie du flux mais ralentissent un peu : l’homme qu’elles viennent de croiser, la cinquantaine, leur a adressé un « Sale juive ! » très sonore.

Militantes dans des collectifs antiracistes depuis plusieurs années, les deux trentenaires viennent de déjeuner ensemble afin de peaufiner les détails d’une action qu’elles préparaient pour exiger un cessez-le-feu immédiat à Gaza. Esther doit attraper son train à la gare de Lyon pour rentrer à Marseille : elles terminaient leur conversation en marchant.

Au PMU où je bois mon café chaque matin, c’est la foire au complotisme au sujet de la Palestine.

Esther

L’homme a déjà filé lorsqu’elles réalisent ce qui vient de leur arriver. Incrédules, elles se toisent l’une et l’autre : brunes aux cheveux courts, elles portent toutes les deux un jean et un blouson noir. Mila a mis son écharpe sur sa tête pour se protéger de la pluie.

 « J’ai entendu l’insulte, j’ai compris que c’était raciste, mais c’est comme si mon cerveau n’avait pas voulu que ça s’adresse à moi », confie Esther qui décrit quelques secondes de déni : « J’ai cru que c’était de l’islamophobie et qu’il criait sur Mila à cause de son écharpe ! » Mais Esther porte une petite étoile de David en or autour du cou et Mila est formelle : « Il a regardé Esther, a vu son collier et l’a insultée. »

Illustration 2
L’étoile de David que portait Esther lorsqu’elle a été traitée de « sale juive ». © Photomontage Mediapart

Plus de dix jours après, les deux jeunes femmes relatent l’histoire, encore un peu abasourdies. Pour l’une comme pour l’autre, cette insulte criée dans un espace public fréquenté, en plein après-midi, dans une grande proximité physique et par un homme absolument inconnu, est sans commune mesure avec leurs expériences antérieures de confrontation avec l’antisémitisme.

Elles évoquent leur adolescence, au milieu des années 2000, traversée par la deuxième intifada et les amalgames entre les Juif·ves et Israël pouvant donner lieu à des menaces et des insultes. Esther vivait alors à Créteil (Val-de-Marne), Mila dans le XIXarrondissement de Paris où elle se souvient, aussi, avoir été fétichisée par les garçons du collège qui la considérait comme « une fille facile, parce que juive ».

Si le niveau d’agressivité est nouveau, Esther n’est pas étonnée de l’antisémitisme : « Depuis le 7 octobre, au PMU où je bois mon café chaque matin, c’est la foire au complotisme au sujet de la Palestine. Le patron me connaît, on s’entend bien, mais il ne sait pas que je suis juive. »

  •  « Tu devrais avoir honte d’être juive », sur Instagram

Léa* est suivie par plus de 60 000 personnes sur son compte Instagram. La jeune femme de 29 ans y vulgarise ses compétences professionnelles sans aucun sponsor. Avec son mari, elle fréquente une synagogue « moderne orthodoxe » parisienne mais la plupart de ses followers l’ignorent, à moins d’avoir vu passer sa story de vœux pour Roch Hachana (le nouvel an du calendrier juif), en septembre. La jeune femme souligne qu’elle fait partie d’une communauté « de gauche, qui s’oppose à la colonisation ».

« Tu devrais avoir honte d’être juive », « Vous allez brûler en enfer », « Arrêtez de bombarder les enfants à Gaza », « Les juifs commettent des crimes » ou encore « Crève sale juive ! ». Le 9 octobre, Léa désinstalle l’application de son téléphone face à l’afflux de messages qu’elle reçoit, mêlant questions déplacées, amalgames, insultes et menaces antisémites.

Illustration 3
Capture d’écran de quelques messages reçues par Léa sur Instagram. © Photomontage Mediapart

La veille, la jeune femme avait partagé son « immense tristesse et [son] inquiétude » auprès de son audience car elle n’envisageait pas de continuer à alimenter son compte sans évoquer la situation en Israël et en Palestine. Elle y disait la peur qu’elle éprouvait pour ses proches en Israël et sa « dévastation à l’idée de ce qui attend encore les civils (TOUS les civils) de la région ». Elle exprimait sa peur d’une explosion de l’antisémitisme en France et condamnait la déclaration de guerre par Nétanyahou qui « fera encore couler le sang d’enfants et d’innocents ».

À sa demande, son mari s’occupe de bloquer les comptes insultants et d’effacer les messages antisémites pendant plusieurs jours. Rapidement, Instagram détecte le harcèlement et bloque la possibilité de laisser des commentaires sous ses publications.

« La première semaine, Léa était paralysée et se levait en pleurs », confie son époux. Horrifiée par les bombardements contre les habitant·es de Gaza et les détails de la violence déployée par le Hamas lors des massacres, la jeune femme est très affectée par la situation au Proche-Orient et peine à accomplir les tâches du quotidien. « Ce sont les réactions de mes proches, lorsque je leur confiais le contenu des messages reçus, qui ont commencé à me faire peur », se souvient la jeune femme. La semaine suivante, elle vérifie que rien ne permette d’identifier ses adresses personnelles et professionnelles sur son compte Instagram et, parfois, ressent la peur dans la journée, au travail ou dans la rue.

Rapidement, la peur est remplacée par la colère. « Je n’oublierai jamais ces mots », explique la jeune femme qui a renoncé à déposer plainte, préférant s’investir dans le cercle de parole de sa synagogue où elle s’est sentie soutenue et utile : « Nous n’avions jamais parlé d’antisémitisme et cela nous a fait, à toutes et tous, un bien fou. »

Le harcèlement a cessé. Léa a repris ses activités d’influenceuse bénévole à un rythme un peu moins soutenu après quinze jours de pause. Son mari voit un changement : « Bien que son compte ne soit pas du tout militant, à chaque fois qu’elle poste quelque chose, elle stresse un peu alors qu’avant ce n’était pas le cas. » Léa, elle, considère que c’est l’ambiance générale qui est lourde, et rend son usage des réseaux sociaux moins léger.

  • Humiliation publique antisémite, à deux pas de l’Arc de Triomphe

« Rassurez-vous, madame, votre heure n’est pas encore arrivée », lâche un septuagénaire bon chic bon genre, sourire aux lèvres, en replaçant l’écharpe tombée au sol sur les épaules de sa voisine de table. La vieille dame visée est centenaire. Elle n’entend plus très bien et ne comprend pas l’interaction. Avant de faire allusion à sa possible mise à mort, l’homme avait pointé et moqué son accent dans un rire gras. « Complètement sidéré, mon père est intervenu en soulignant l’âge de ma grand-mère, espérant que cet homme s’en aille enfin et cesse de nous harceler : il avait passé son repas à faire des allusions à notre judéité », résume Tatiana*, sa petite-fille, plasticienne de 34 ans.

Les faits se sont déroulés le 5 novembre en début d’après-midi à deux pas de l’Arc de Triomphe, dans l’atmosphère ouatée d’une brasserie accueillant ses client·es par une débauche de glace pilée parsemée de fruits de mer. Ce jour-là, Tatiana y rejoint l’une de ses cousines et sa mère, son père et sa grand-mère, qui a gardé sa Roumanie natale nichée dans ses « r » qui roulent. La famille habite le quartier, elle déjeune dans cette brasserie plusieurs fois par an.

Si c’était arrivé il y a deux mois, je sais que je lui serais rentré dedans, mais… ça ne serait pas arrivé il y a deux mois.

Raphaël

« Vous allez m’offrir le déjeuner monsieur, c’était shabbat hier, non ? » Énoncée depuis la table qui jouxte la leur, la phrase est adressée à Raphaël*, le père de Tatiana, un élégant architecte d’intérieur de 70 ans. L’homme l’interpelle à haute voix, « avec arrogance », à différents moments du repas. « Je vous laisse l’addition, puisque c’est shabbat ! », « Enfin je veux dire, c’était bien shabbat hier ? », « Vous nous offrirez bien le déjeuner ! » Il rit, prenant à témoin la femme et le trentenaire qui partagent sa table à lui. Le père de Tatiana se fige et « rentre, petit à petit, dans sa coquille ». Ces mots associant les Juif·ves à l’argent s’inscrivent directement dans la vieille tradition antisémite et complotiste.

« Je ne l’avais jamais vu dans un tel état de désarroi », s’émeut Tatiana.« Désarçonnée », la jeune femme a finalement couru rejoindre l’homme sur le trottoir « pour lui dire ses quatre vérités ». Le trentenaire qui accompagnait l’homme l’en a empêchée : « Je suis désolé, il a un peu bu, il va toujours un peu trop loin dans ces cas-là. »

Sollicitée par Mediapart, la brasserie a refusé de communiquer le nom et les coordonnées du serveur ayant assisté à la scène aux abords de l’établissement, au motif qu’il ne ferait plus partie du personnel.

Raphaël, le père de Tatiana, insiste sur le caractère inédit de cette agression : « J’ai vécu une humiliation publique parce que je suis juif, c’est la première fois en soixante-dix ans. » « Si c’était arrivé il y a deux mois, je sais que je lui serais rentré dedans, mais… ça ne serait pas arrivé il y a deux mois », se désole-t-il, confiant son effroi de voir le décompte des actes antisémites monter en flèche depuis le 7 octobre.

Toujours sous le choc plus d’une semaine après les faits, il répète certaines phrases en boucle et se décrit comme « très traumatisé et sensible sur le sujet ». Pour la jeune femme, comme pour son père, c’est l’accent de l’aïeule qui a permis à l’homme de les identifier. « Dans un établissement huppé, j’imagine qu’un esprit antisémite qui entend le phrasé de ma grand-mère fait des hypothèses », analyse Tatiana en passant la situation en revue : « Nous étions dans un restaurant de fruits de mer [qui comptent parmi les interdits alimentaires du judaïsme – ndlr], nous ne portons aucun signe religieux et n’avons absolument pas évoqué la situation en Israël ni le judaïsme. »

Sans avoir vécu les persécutions antisémites du siècle dernier, Raphaël a hérité et transmis cette peur d’être « découvert » comme juif : le nom qu’il a légué à sa fille n’est pas le nom de naissance de son propre père. Comme de nombreux juif·ves arrivé·es en France depuis l’Allemagne, l’Ukraine ou la Pologne, avant ou après la Seconde Guerre mondiale, ses parents ont francisé leur nom de famille en prenant la nationalité française, effaçant les traces administratives de leur migration et de leur judéité.

Évoluant dans d’autres milieux culturels et sociaux que son père, Tatiana le rejoint : elle n’a jamais vécu une telle violence antisémite. « Il n’y a eu ni cri ni insulte, mais c’était glaçant, et je témoigne pour le dire : cet antisémitisme bourgeois, dominant et humiliant, est loin d’avoir disparu. »

Un décompte fragile mais une montée des actes incontestable

Depuis le 7 octobre, le gouvernement communique régulièrement sur la hausse des actes antisémites. Au moins deux ministères permettent d’y voir plus clair. Ainsi, celui de la justice décompte ​​340 enquêtes ouvertes pour des actes antisémites et apologie du terrorisme en lien avec la guerre au Proche-Orient et l’attaque terroriste à Arras, tandis que le parquet de Paris précise que 216 signalements concernent le Pôle national de lutte contre la haine en ligne en rapport avec le conflit. « Des faits majoritairement déclarés ou perçus comme antisémites », explique une source judiciaire à Mediapart.

Le décompte publié par le ministère de l’intérieur évoque un total de 1 518 actes antisémites, parmi lesquels 50% de tags, affiches, banderoles (dont des « morts aux juifs », des croix gammées, etc), 22% de menaces et insultes,  8% d’atteintes aux biens, 2% de coups et blessures, 2% d’atteintes aux lieux communautaires, ainsi que 10% d’apologie du terrorisme et, enfin, 6% de comportements suspects. Ces deux dernières sous-catégories ont pu, récemment, poser question, en ce qu’elles peuvent se mêler à des expressions politiques de soutien au peuple palestinien.

Et comment tenir un bilan aussi détaillé alors que ni dans les statistiques du ministère ni dans le code pénal, on ne trouve de catégorie qualifiant strictement l’antisémitisme ? Sa définition est laissée, dans les faits, à l’appréciation des services de police.

Illustration 4
À l’issue d’une réunion de sécurité Place Beauvau, le 9 octobre 2023. © Xose Bouzas / Hans Lucas via AFP

Ce décompte presque quotidien du ministère de l’intérieur suscite d’ailleurs des interrogations et parfois des suspicions. Interrogé mi-novembre sur BFM-TV, Abdelali Mamoun, imam à la Grande Mosquée de Paris, avait ainsi demandé « où sont ces 1 200 et quelques actes antisémites qu’il y a en France ? » « Moi, j’aimerais bien qu’on les dévoile pour que nous puissions être véritablement solidaires et sensibles à cette question », avait-il ajouté. Des propos pour lesquels il s’est excusé, quelques jours plus tard.

Sur les réseaux sociaux de nombreuses personnes mettaient aussi en cause la véracité de ce chiffre et s’appuyaient sur deux histoires récentes pour attaquer sa crédibilité. Les dizaines d’étoiles de David taguées dans plusieurs arrondissements de Paris, d’abord considérées comme étant un acte antisémite avant que les autorités ne privilégient la piste d’une ingérence russe. Et l’agression au couteau d’une femme juive à Lyon, présentée comme antisémite par certains médias avant que le déroulé de l’enquête n’incite à la prudence. 

À lire aussi « Aujourd’hui un tag sur un mur, demain un cocktail Molotov en pleine prière ? »

27 octobre 2023

Sur X (ex-Twitter) enfin, certains laissent penser que le décompte des actes antisémites provient uniquement d’un recensement de la communauté juive via le SPCJ (Service de protection de la communauté juive) et qu’il suffirait « d’inventer un acte antisémite » et de le signaler sur leur formulaire internet pour gonfler les chiffres du ministère de l’intérieur. 

Ce qui remonte est recoupé, fiabilisé, ce n’est pas du doigt mouillé, ce sont tous les actes liés au conflit.

Une source au sein de la direction générale de la police nationale

Ce n’est pas le cas. Le décompte du ministère de l’intérieur se fonde essentiellement sur les faits signalés à ses services dans tous les territoires, avec si besoin un travail de fiabilisation en lien avec le travail de collecte du SPCJ – un organisme créé en 1980 après l’attentat de la rue Copernic, aussi discret qu’unique en France.

Il s’agit d’éviter de prendre en compte deux fois le même fait, voire de prendre en compte des victimes qui ne s’étaient pas manifestées auprès des pouvoirs publics. Un processus de croisement des données et de visibilisation qui n’est pas organisé de manière similaire pour d’autres communautés religieuses, la communauté musulmane en particulier, suscitant de nombreuses critiques.

Au ministère, ce sont les services de police, de gendarmerie, et du renseignement territorial qui recensent et font remonter les actes antisémites. « De manière générale, on remonte systématiquement les actes qui ont une connotation antisémite, de près ou de loin. Ça a toujours été comme ça. La manière de travailler n’a pas changé, c’est le contexte politique qui a changé », appuie un commissaire de région parisienne. 

« Les services de police font remonter les faits de nature pénale, les mains courantes. On est dans une période où, dès qu’il y a quelque chose, on judiciarise », décrypte une source policière qui suit de près les remontées quotidiennes. « En temps normal, ces statistiques sont du ressort du renseignement territorial, qui les remonte mensuellement et trimestriellement. Là, ça remonte en continu, et il y a un recensement matin et soir, poursuit-il. Mais ce qui remonte est recoupé, fiabilisé, ce n’est pas du doigt mouillé, ce sont tous les actes liés au conflit. »

Certes, la méthodologie de ce décompte est moins rigoureuse que les chiffres annuels livrés par le ministère de l’intérieur car il ne sont pas « consolidés », mais ils seraient néanmoins filtrés avant d’être révélés à la presse. Si des actes sont d’abord jugés antisémites avant que l’enquête ne démente cette qualification, ils sont alors retirés de la liste. 

Autre interrogation, celle d’une possible sur-déclaration, liée à une forme de « sensibilité » conjoncturelle ces dernières semaines. Or d’après nos différentes sources, le signalement des actes antisémites auprès des services de police est une pratique habituelle et ancrée au sein de la communauté juive. Par ailleurs, le bilan quotidien délivré par le ministre de l’intérieur n’est pas non plus exhaustif. Ainsi, trois des témoignages révélés par Mediapart n’y figurent pas. « On observe clairement une montée du phénomène, une montée de l’antisémitisme et des gens qui se sentent autorisés à l’exprimer », analyse une source policière.

Sarah Benichou, Sarah Brethes, David Perrotin et Lou Syrah

Images liées:

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.