Après la découverte des pochoirs sur les murs de bâtiments situés en région parisienne, l’enquête s’oriente sur la piste d’un commanditaire basé à l’étranger. Reste à déterminer le mobile, acte antisémite ou non, et une éventuelle tentative d’ingérence d’un État comme la Russie.
8 novembre 2023 à 20h09
C’est une affaire à la fois simple et compliquée, une enquête déjà bien avancée et qui pourtant soulève plus de questions qu’elle n’en résout. Pour tenter d’y voir plus clair, un juge d’instruction a été désigné mardi 7 novembre, pour identifier les auteurs des tags d’étoiles de David bleues en région parisienne et « analyser l’intention ayant guidé cette opération ».
Selon un communiqué de presse de la procureure de la République de Paris, Laure Beccuau, publié mardi en fin d’après-midi, ce marquage pourrait avoir « été réalisé à la demande expresse d’une personne demeurant à l’étranger ».
Tout commence le 27 octobre avec l’interpellation dans le Xe arrondissement de Paris d’un couple de Moldaves, un homme et une femme âgés respectivement de 33 et 28 ans. Un riverain les avait vus taguer une étoile bleue au pochoir. Interrogés par les policiers, ils avaient déclaré avoir agi sur la commande d’un tiers, et ce contre rémunération. La procédure judiciaire fait aussitôt ou presque l’objet d’un classement au motif qu’ils ont été placés en centre de rétention administrative en vue de leur expulsion du territoire.
Fin de l’histoire ? Non, car quatre jours plus tard, le 31 octobre au matin, une soixantaine d’étoiles de David bleues, marquées au pochoir, ont été découvertes sur les murs de bâtiments à Paris. La nuit du 30 au 31, des étoiles identiques ont été marquées sur des murs des départements de Seine-Saint-Denis et des Hauts-de-Seine.
Le parquet de Paris confie alors à la sûreté territoriale de Paris une enquête pour « dégradation aggravée par le fait qu’elle a été commise en raison de l’origine ou de la religion », une infraction punie de quatre ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende.
Première difficulté : si la référence est évidente, le motif est l’étoile de David bleue, similaire à celle figurant sur le drapeau d’Israël, le symbole n’est en rien dégradant. Par ailleurs, ces pochoirs ont été marqués sur des façades, de manière manifestement indifférente à ce que les bâtiments abritaient et les individus qui y vivaient. Il est donc, précise la procureure de Paris, « nécessaire de poursuivre les investigations sur le caractère antisémite de l’intention des auteurs de ces dégradations, notamment au regard du contexte géopolitique et de son retentissement en France ».
Un commanditaire en Europe de l’Est
Les investigations de la sûreté territoriale de Paris permettent d’établir que ces inscriptions ont été faites par un homme et une femme, au cours d’un parcours unique. Sur des images de vidéosurveillance, on les aperçoit en compagnie d’une troisième personne en train de photographier leurs dégradations. Les policiers déterminent ensuite que les deux auteurs des pochoirs, encore un couple de Moldaves, ont quitté le territoire français dès le lendemain après-midi.
Le rapprochement est fait avec les dégradations du 27 octobre. Le premier couple avait raconté aux enquêteurs avoir agi sur les ordres d’un tiers, ce que l’examen d’un de leurs téléphones permettait d’attester. Dans des messages échangés en langue russe, le couple a envoyé une photo d’étoiles de David posées sur les murs et une rémunération a été évoquée.
Selon le communiqué de Laure Beccuau, les recherches téléphoniques « permettent de penser que les deux couples d’auteurs ont été en relation avec la même tierce personne ».
Non saisie en judiciaire, la DGSI, cheffe de file de la contre-ingérence française, se met, selon nos informations, à travailler en renseignement administratif sur cette affaire dès le jeudi 2 novembre. Hier, Europe 1 assurait que le commanditaire des tags d’étoiles de David en région parisienne serait un certain « Anatoli P., un ressortissant moldave animateur de cercles prorusses », un homme qui, affirme la radio, « a été géolocalisé en Russie ». « Désormais, l’enquête s’oriente sur la piste d’une ingérence étrangère, directement pilotée par la Russie », conclut Europe 1. Et ce, alors que quelques heures plus tôt, une source haut placée au sein de la communauté du renseignement français insistait auprès de Mediapart : la DGSI « ne confirmait pas du tout » la piste d’un commanditaire en Russie.
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Mardi soir, Le Monde, dans un article très détaillé, dévoile l’identité complète d’Anatolii Prizenko, « un homme d’affaires moldave prorusse, spécialisé dans le marketing en ligne ». Le quotidien du soir, qui a mené sa propre enquête, révélait que les tags d’étoiles de David ont été « largement relayés par le réseau de propagande prorusse Doppelgänger ». « Aux yeux des services de renseignement français, la piste d’une tentative de déstabilisation orchestrée de l’étranger ne fait plus de doute », affirmait Le Monde qui, contrairement à Europe 1, ne situe pas le commanditaire en Russie mais « basé dans un pays de l’Est ». Cet après-midi, la source haut placée au sein de la communauté du renseignement français précitée a confirmé à Mediapart l’identité d’Anatolii Prizenko comme le commanditaire présumé des tags d’étoiles de David.
Au même moment, Libération publiait les propos d’un homme affirmant être ce Prizenko et qui revendiquait la paternité de cette action faite, selon lui, en « soutien aux juifs d’Europe ». « L’action n’avait pas pour but d’offenser ou de blesser négativement les sentiments de qui que ce soit, et encore moins de les effrayer. Elle était pacifique. De plus, les étoiles ont été peintes avec une peinture spéciale lavable, ce qui exclut tout dommage aux biens », a argumenté le commanditaire revendiqué.
Tard la veille au soir, le parquet de Paris assurait à Mediapart que le commanditaire n’avait, à ce stade, été ni identifié ni géolocalisé.
Alors comment expliquer ces versions, en apparence contradictoires ?
Sans doute, par les vitesses et les logiques différentes d’une enquête judiciaire et d’une enquête en renseignement administratif. En attendant de pouvoir tirer des conclusions définitives, restons-en sur la déclaration de Laurent Nuñez. Dimanche, sur BFMTV, le préfet de police de Paris a évoqué une « affaire atypique par rapport aux autres actes antisémites ».