Par Leslie Carretero Publié le : 26/10/2023 Dernière modification : 27/10/2023
Les agents de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), chargés de statuer sur le dossier des demandeurs d’asile, sont en grève ce jeudi. Ils dénoncent la pression de la direction, qui les pousse à rendre toujours plus vite une décision d’asile. Une politique du chiffre qui vise à raccourcir les délais de traitement des demandes, mais qui forcent les agents à traiter les dossiers dans l’urgence.
Depuis 8h ce jeudi 26 octobre, environ 200 agents de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) ont installé un piquet de grève, devant les locaux de l’agence, dans le Val-de-Marne. À l’appel de la CGT et du syndicat interne Asyl, ils se sont massivement mis en grève.
Les officiers, chargés d’entendre les récits des exilés, de les vérifier et de rédiger une décision d’admission ou de rejet de leur demande de protection – qui sera validée par leur supérieur – sont à bout. Leurs conditions de travail n’ont eu de cessent de se dégrader ces dernières années, disent-ils.
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À travers ce mouvement, ils dénoncent les pressions subies par leur institution, qui les pousse à rendre toujours plus vite une décision d’asile, au détriment de leur travail de vérifications.
Politique du chiffre
Chaque année, un officier doit émettre 364 décisions d’asile, en vertu d’un contrat signé par la direction de l’établissement avec ses ministères de tutelle, l’Intérieur et le Budget. “Ce chiffre est le seul critère d’évaluation de leur travail”, peut-on lire dans un communiqué de l’intersyndical.
Une politique du chiffre, jugée incompatible avec la mission de ces salariés. “Les agents doivent être attentifs à chaque situation individuelle, prendre le temps nécessaire pour écouter les récits et se renseigner sur la situation politique de tel ou tel pays afin de prendre une décision juste”, insiste à InfoMigrants Anouk Lerais, de la CGT Ofpra. “On a l’impression d’être géré comme une entreprise privée alors qu’on répond à une mission de service public”, continue-t-elle.
Les objectifs chiffrés de la direction peuvent avoir de lourdes conséquences pour les demandeurs d’asile, dont la réponse à leur dossier déterminera leur avenir en France. Sous pression, les agents risquent de négliger un dossier ou d’en expédier un autre. “On est obligé de prendre moins de temps pour faire des recherches ou pour saisir des services d’appui qui pourraient nous aider dans notre tâche”, raconte Paul*, un salarié de l’Ofpra joint par InfoMigrants. “Ce n’est déjà pas évident d’entendre tous les jours les témoignages de personnes ayant vécu des histoires terribles, c’est très prenant. Alors, l’obligation de résultat rend le travail encore plus difficile”, continue-t-il.
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Par ailleurs, au fil des années, la tâche de ces salariés s’est encore complexifiée. Au gré des différentes lois, de nouvelles compétences sont demandées aux agents. Ils doivent désormais “s’improviser enquêteurs afin de détecter des personnes susceptibles de représenter une menace à l’ordre public”, écrivent les représentants syndicaux.
La cadence “infernale” imposée aux agents de protection provoque des départs en cascade. “Face à cette pression du chiffre, de nombreux agent·e·s craquent et ne voient d’autre choix que de quitter l’Office”, notent les syndicats dans leur communiqué. L’ancienneté d’un officier est seulement de deux ans au sein de l’Ofpra. Le turn-over de ces salariés s’élève à 20%.
“Signal fort”
Contacté par InfoMigrants, le directeur général de l’agence, Julien Boucher estime que cette grève est un “signal fort”. “Ces sujets de préoccupation, relatifs aux conditions et à la charge de travail, sont légitimes, mais ils (…) ne doivent pas faire oublier les nombreux progrès accomplis au cours des dernières années”.
Julien Boucher rappelle que “des crédits ont récemment été alloués à l’établissement pour revaloriser la rémunération des agents contractuels (…) notamment parmi les officiers de protection. Et bien sûr, de nombreuses mesures ont été prises au cours des années écoulées pour améliorer les conditions de travail et, notamment, donner aux agents les moyens d’atteindre les objectifs qui leur sont assignés, dont il convient de souligner qu’ils n’ont pas connu d’augmentation”.
À plusieurs reprises, l’État s’est engagé à diminuer le traitement des dossiers d’asile, pour parvenir à un délai de moins de six mois. C’était même une promesse du candidat Emmanuel Macron lors de l’élection présidentielle de 2017.
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Pour ce faire, des agents supplémentaires ont été recrutés. “Depuis 2019, 200 emplois ont été créés”, affirme encore le directeur général de l’Ofpra. Mais selon les syndicats, cela n’empêche pas d’autres services, comme les ressources humaines, d’être débordés. Le service de la Protection, qui délivre les actes d’état civil aux nouveaux réfugiés, est, lui, sous-dimensionné. Ces derniers attendent des mois, voire des années pour obtenir leur document administratif, indispensable à leur intégration en France.
*Les agents de l’Ofpra ayant un devoir de réserve, le prénom de Paul a été modifié pour préserver son anonymat.