Depuis deux semaines, l’armée israélienne répète aux habitants du nord de l’enclave et de la ville de Gaza de se déplacer vers le sud pour « leur propre sécurité ». Selon l’ONU, plus d’un million de personnes ont suivi cet ordre d’évacuation. Elles n’ont pas pour autant été épargnées par les bombardements.
Céline Martelet
28 octobre 2023 à 18h51
« J’étais« J’étais en train de charger mon téléphone dans un endroit où il y a de l’électricité et ils ont visé l’immeuble juste à côté. » Mercredi 25 octobre, Youssef* (le prénom a été modifié) envoie toute une série de messages WhatsApp. Ce père de deux garçons est sous le choc. Il vient d’échapper à la mort. Une nouvelle fois. « C’est encore un miracle ! », ajoute le Gazaoui.
Le vendredi 13 octobre, il a quitté Gaza City dès que l’armée israélienne a lancé son appel à évacuer la ville. Avec sa femme et leurs deux enfants, ils ont pris la direction du camp de réfugié·es de Nuseirat. Il était persuadé de mettre sa famille à l’abri. Il a voulu y croire, s’accrocher à ce dernier espoir pour ne pas devenir fou. « Ici, c’est plus calme. Il n’y a pas d’eau mais je vais rester en attendant de voir comment les choses évoluent », écrit Youssef le samedi 14 octobre.
Il attend l’ouverture du point de passage de Rafah vers l’Égypte pour sortir de « l’enfer ». Sortir pour offrir une meilleure vie à ses enfants. « Aujourd’hui, nous avons appris que ma femme est enceinte. J’espère que c’est le signe d’un meilleur futur. » Un bébé, une pulsion de vie pour continuer à prendre les bonnes décisions. Youssef vit dans un petit appartement de Nuseirat avec sa mère, son frère, d’autres membres de sa famille et plusieurs amis. Toutes et tous dorment entassés dans deux grandes pièces.
La journée, il faut trouver à manger, à boire. Les prix des denrées alimentaires ont explosé mais Youssef garde espoir et demande très régulièrement si nous avons des informations sur « un cessez-le-feu ». Comme dans toutes les guerres, des rumeurs circulent. Certaines annoncent une trêve humanitaire imminente.
Mais rien de tout cela n’aura lieu.
Le samedi 21 octobre, le vacarme de la guerre a de nouveau rattrapé Youssef. En fin de journée, une frappe aérienne a pulvérisé un bâtiment du marché de Nuseirat. « C’est à 50 mètres de là où l’on vit. Ils ont visé un restaurant de falafels et une boutique d’électronique. Je me suis jeté sur ma femme et mes fils pour les protéger de mon corps. Je refuse de voir l’un des miens mourir encore. Je refuse de leur survivre. »
Cette fois, l’espoir s’est envolé. « Quand ils veulent éliminer un membre du Hamas, ils rasent tout autour de lui sans la moindre pitié. Ce n’est pas une guerre contre le Hamas, c’est une guerre contre nous, les Palestiniens de Gaza. Ils veulent qu’on quitte cette terre. »
La musique pour résistance
Youssef est un musicien palestinien très engagé. Pour lui, l’art était une réponse au blocus imposé par les autorités israéliennes depuis quinze ans. Avant cette offensive israélienne, il avait l’habitude de dire que ses textes, sa musique lui permettaient d’évacuer ses traumatismes. Le Gazaoui avait monté un studio pour que d’autres comme lui soignent par la musique leurs blessures invisibles. Aujourd’hui, il ne sait pas ce qu’est devenu cet espace de création niché au cœur de Gaza City.
C’est depuis son « refuge » de Nuseirat que Youssef a vécu presque en direct la disparition de tout son quartier. Une barre d’immeubles, un peu à l’écart du centre de Gaza City. Il a reçu sur son téléphone une vidéo d’une minute où l’on voit sept immeubles d’habitation pulvérisés par un raid aérien. Les uns après les autres, les bâtiments sont réduits en miettes. Youssef a tout perdu. Les souvenirs de toute une vie ne sont plus que de la poussière. Cette poussière noire qui envahit depuis trois semaines maintenant le ciel de la bande de Gaza.
Comme Youssef, des milliers de familles se sont résigné à quitter Gaza City pour trouver refuge vers le sud de la bande de Gaza, à Khan Younès et à Rafah, bien en dessous de Wadi Gaza, la ligne de démarcation citée par l’armée israélienne dans ses nombreux ordres d’évacuation. Mais, depuis plusieurs jours, de nombreux témoignages nous proviennent de ces deux villes et font état des mêmes frappes aériennes sur des infrastructures civiles.
« Aucun endroit n’est sûr à Gaza. », déclarait vendredi 27 octobre la porte-parole du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme. Ravina Shamdasani ajoutait que « bien qu’elles aient ordonné à plusieurs reprises aux habitants du nord de la bande de Gaza de se déplacer vers le sud, suggérant que celui-ci était sûr, les forces israéliennes ont intensifié leurs frappes sur les deux gouvernorats du Sud et sur le centre de la bande de Gaza au cours des derniers jours ».
Ces frappes touchent des Palestiniens et Palestiniennes qui avaient fui le nord de l’enclave, comme ce mardi 24 octobre, lorsque toute une famille originaire de la ville de Gaza est tuée dans un bombardement. Hani, le père, était banquier. Il est mort à 35 ans avec sa femme et leurs trois enfants. Le plus jeune avait seulement 3 mois. « Il a fui sa maison pour mourir là-bas, écrit son ami Hassan* (le prénom a été changé). Je n’oublierai jamais les soirées qu’on a passées ensemble dans la cour de sa maison à fumer le narguilé. »
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Hani avait longtemps hésité avant de quitter cette maison qu’il aimait tellement. Selon plusieurs sources, de nombreuses familles qui étaient parties vers le sud tentent désormais de revenir à Gaza City. « Le problème, c’est que tout le monde me demande depuis plusieurs jours : “On fait quoi ? On part ? On reste ?” Je leur réponds juste : “Moi, je prends la responsabilité seulement de ma famille.” Et j’ai décidé de rester chez moi à Gaza City », confie Hassan.
Dans un long message audio qu’il nous envoie par WhatsApp, on entend son fils de 3 ans rire, et toujours le bourdonnement des drones israéliens qui tournent au-dessus de l’enclave palestinienne. Quant à Youssef, depuis vendredi 27 octobre, nous n’avons plus de nouvelles de lui. Son téléphone est coupé. Dans un dernier message, il écrivait : « Je ne vais plus me déplacer maintenant, je n’ai nulle part où aller avec ma famille. Et puis, si je me déplace, qu’est-ce que ça va changer ? »