Quand des Martiens étaient aperçus au Sahara
D’un mignon surnom à une infox archéologique, il n’y a qu’un pas. Dans les années 1970, des gravures néolithiques du sud de l’Algérie ont été prises pour des représentations d’un être supérieur venu du ciel. Si cette fausse information prête à sourire, elle n’est pas moins dangereuse que les autres.
Avec
- Jean-Loïc Le Quellec Anthropologue, directeur de recherche émérite au CNRS, spécialiste des images rupestres
Tout démarre de gravures préhistoriques dans des abris-sous-roche de la région de Tassili n’Ajjer, à l’extrême sud de l’Algérie, en particulier d’une peinture rupestre, qui fait partie d’un courant stylistique appelé “les têtes rondes”. Ce sont des grands êtres représentés uniquement par leurs contours et leurs ombres, et qui ont donc une grosse tête sphérique avec des protubérances.
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D’où vient cette infox ?
Mais ce n’est pas la peinture en elle-même qui est à l’origine de cette fausse information, mais un surnom donné par d’un préhistorien vers la fin des années 1950. Jean-Loïc Le Quellec est anthropologue, directeur de recherche émérite au CNRS et auteur Des martiens au Sahara : Deux siècles de fake news archéologiques paru aux éditions du Détour. “Henri Lhote et son équipe relevaient des peintures. C’est un milieu difficile, il fait chaud, il faut beaucoup marcher, c’est vraiment éprouvant. Et donc on comprend bien que pour se délasser, il faisait des plaisanteries, il rigolait… et il donnait des surnoms aux peintures, c’est une habitude de terrain. Au lieu d’utiliser un numéro d’inventaire genre A23B12, on lui donne un surnom, c’est plus facile parce qu’évidemment, tout le monde voit de quoi il s’agit. On dit par exemple : tu sais bien le grand machin qui ressemblait à un Martien qu’on a vu hier, eh bien évidemment, on voit tout de suite à quoi il est fait allusion.”
Henri Lhote publie ensuite un grand ouvrage public de ses aventures en 1957, qui a eu beaucoup de succès. Ces gravures sont ainsi nommées en précisant bien que c’est un surnom, mais il sera pris au pied de la lettre ! Et parce que dans les années 60, les Martiens commencent à être à la mode dans la science-fiction, cette fausse information se répand progressivement.
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Sans oser le demander
58 min
Les fakes news archéologiques sont-elles moins dangereuses que les autres ?
Une infox qui prête à sourire, mais qui a, comme toutes les autres fausses informations, des conséquences. Parce que derrière cette théorie un peu folle, se cache en fait une autre idée, beaucoup moins mignonne. Celle de peuples, en l’occurrence noirs, qui n’auraient pas été capables d’évoluer, d’apprendre et de perfectionner leur technique sans l’aide d’un individu supérieur – et pas forcément venu d’ailleurs….
Jean-Loïc Le Quellec : “On nous dit qu’il y a des êtres primitifs qui vivaient là, et un jour des Martiens, c’est-à-dire en réalité des astronautes, une civilisation beaucoup plus avancée que la nôtre serait venue et les auraient civilisés. Cette façon erronée de voir les choses construit une espèce d’histoire parallèle qui est d’une part totalement inutile parce qu’elle ne s’appuie sur rien de factuel, et puis d’autre part, elle donne une image extrêmement réductionniste des populations du passé, en faisant d’eux des êtres extrêmement primitifs. Et très souvent, quand on lit les textes qui nous racontent ces histoires, ils précisent bien que les êtres supérieurs, qui apparaissent, que ce soit des cosmonautes ou d’autres, ça peut être des Atlantidiens, il y a plusieurs variantes, ce sont des blancs ! Et que ces blancs apparaissent au milieu de sauvages noirs et qu’ils vont les civiliser.”
C’est ce que ce chercheur appelle l’archéologie romantique, un joli nom pour décrire la volonté de réécrire entièrement l’histoire de l’humanité. On trouve aussi le terme de pseudo-archéologie, archéologie intuitive ou archéologie créative.
Mais comment déboulonner ou discréditer ces infox archéologiques ?
Jean-Loïc Le Quellec : “Lutter contre ce type de récit en faisant des démonstrations, grosso modo, c’est inutile, parce que les éléments factuels sont utilisés non pas pour construire un raisonnement, mais pour illustrer une notion préconçue, pour illustrer un récit. Donc tout ce qu’on peut faire comme argumentation contre, grosso modo, c’est inutile sauf, il y a une frange pour laquelle ce n’est pas inutile : les gens qui ont un doute.”
Et on aime les gens qui doutent. Ce sont en réalité les seuls à qui s’adressent l’ensemble des “démontages” en règles de fausses informations, qu’elles soient archéologiques ou non. Parce que lorsque ces infox reposent sur une révélation plutôt qu’une démonstration, rien ne peut vraiment les déconstruire.
À écouter : Jean-Loïc Le Quellec, d’après une pré-histoire vraie