Entretien · Pour expliquer le coup d’État militaire du 26 juillet 2023, de nombreuses sources évoquent une intense bataille pour le contrôle de la manne pétrolière. Auteur d’une thèse sur la « pétro-démocratie » nigérienne, Jannik Schritt explique pourquoi l’or noir occupe une place centrale aujourd’hui dans la course au pouvoir. Économie > Politique > Rémi Carayol > 18 septembre 2023
Près de deux mois après le coup d’État orchestré par la garde présidentielle au Niger, la situation n’est toujours pas clarifiée. Le président Mohamed Bazoum, séquestré dans sa résidence officielle avec des membres de sa famille, refuse de démissionner. Le Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP), le nom que s’est donnée la junte, a nommé un gouvernement et a placé ses pions dans l’administration, tout en indiquant que la transition ne durerait pas plus de trois ans. La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), de son côté, n’a pas abandonné l’idée de mener une opération armée pour rétablir l’ordre constitutionnel. Elle est appuyée par la France dans cette perspective.
Les circonstances et les raisons de ce putsch restent floues elles aussi. Mais, au fil du temps, les langues se délient, et les regards se tournent de plus en plus vers l’ancien président Mahamadou Issoufou, au pouvoir de 2011 à 2021. L’entourage de Bazoum, qui refusait dans un premier temps d’évoquer sa complicité avec le général Abdourahamane Tiani, le chef de la garde présidentielle nommé à ce poste par Issoufou en 2011, et considéré comme un fidèle de l’ancien président, a fini par admettre – en off – que les deux hommes avaient peut-être fomenté le coup ensemble. Le principal argument avancé par plusieurs conseillers de Bazoum porte sur le différend autour de la manne pétrolière. Une version que Mahamadou Issoufou conteste1.
Depuis plusieurs mois, Mohamed Bazoum et son ministre du Pétrole, Mahamane Sani Mahamadou, dit « Abba », qui n’est autre que le fils de l’ancien président, étaient en désaccord quant à la gestion des fonds issus de l’extraction du pétrole, relativement récente dans ce pays (2011). S’ils sont pour l’heure limités, le Niger ne produisant que 20 000 barils par jour, ils promettent de devenir plus abondants dans un avenir proche, avec la mise en service, prévue d’ici à la fin de l’année, du pipeline reliant le Niger au Bénin. À terme, le Niger pourrait ainsi produire entre 110 000 et 120 000 barils par jour, soit une rentrée d’argent quotidienne de plusieurs millions d’euros.
Pour faire face à cette nouvelle donne, le gouvernement envisageait de créer une nouvelle société d’État, PétroNiger, qui devait avoir la main sur la gestion du pétrole. Bazoum se méfiait de la Société nigérienne de pétrole (Sonidep), une entreprise dirigée par un de ses hommes de confiance depuis novembre 2021, Ibrahim Mamane, mais gangrenée par la corruption et phagocytée par les proches d’Issoufou. Ce dernier, selon la version avancée par l’entourage de Bazoum, n’aurait pas accepté de perdre la main sur une manne providentielle.
Abonnez-vous gratuitement à la lettre d’information hebdomadaire d’Afrique XXI
Si la lumière reste à faire sur cette histoire, et si elles n’expliquent peut-être pas à elles seules pourquoi Tiani a pris le pouvoir, ces suspicions persistantes rappellent l’importance du brut dans l’économie d’un « État rentier » tel que le Niger et les convoitises qu’il suscite. Auteur d’une thèse intitulée « Petro-Democracy : Oil, Power and Politics in Niger », publiée en 2018, l’anthropologue Jannik Schritt qualifie le Niger de « pétro-démocratie ». Il explique ci-dessous en quoi l’exploitation du pétrole a changé la donne dans ce pays depuis une quinzaine d’années.
« La corruption est une partie indissociable du jeu politique »
Rémi Carayol : Plusieurs hypothèses sont avancées pour expliquer le récent coup d’État. L’une d’elles évoque la bataille pour la manne pétrolière. Vous semble-t-elle plausible ?
Jannik Schritt : Il semble que ce coup d’État puisse être le résultat d’un conflit entre Mahamadou Issoufou et son fils Mahamane Sani Mahamadou (dit « Abba ») d’un côté, et le président Mohamed Bazoum de l’autre, conflit qui pourrait être lié à la création de PétroNiger et à la rente pétrolière attendue avec les exportations anticipées de pétrole brut en 2024. À mon sens, la controverse autour de PétroNiger ne peut être qu’un aspect parmi d’autres qui a conduit à ce coup d’État, même s’il est important de noter que le volume des exportations de pétrole devrait augmenter avec l’achèvement de l’oléoduc Niger-Bénin prévu pour fin 2023. À partir de 2024, la production de pétrole devrait être portée à 110 000 barils par jour, dont environ 90 000 barils seront exportés, contre 20 000 aujourd’hui. Alors que la rente pétrolière est restée jusqu’à présent assez marginale puisqu’elle ne représente même pas 5 % du PIB du Niger, les autorités nigériennes s’attendent à ce que l’industrie pétrolière génère à terme un quart du PIB et près de 50 % des recettes fiscales.
Il y a des éléments qui semblent aller dans le sens de cette thèse, mais aussi des éléments qui jouent en sa défaveur. Mahamadou Issoufou est toujours considéré par beaucoup comme le véritable homme fort de la politique nigérienne aujourd’hui. On parle au Niger d’une « présidence bicéphale ». Cependant, Mohamed Bazoum a récemment remplacé certains proches d’Issoufou par des hommes de confiance, et il a engagé des poursuites contre des membres de l’entourage d’Issoufou, notamment dans des affaires de corruption. La corruption étant une partie indissociable du jeu politique au Niger, indissociable également de sa logique, les accusations de corruption sont forcément toujours d’ordre politique.
Cependant, si la junte avait agi au nom d’Issoufou, elle aurait sans doute annoncé une courte période de transition, comme ce fut le cas lors des coups d’État précédents, qui ont été considérés comme « correctifs » et qui avaient pour but affiché de rétablir l’ordre démocratique. Or, dans le cas présent, c’est le contraire qui s’est produit. Tout d’abord, aucune phase de transition n’a été évoquée, et ce n’est que lorsque la pression de la Cedeao s’est accrue qu’une transition de trois ans a été annoncée. Une durée aussi longue est plutôt un signe que les militaires ont l’intention de rester au pouvoir. Pour Mahamadou Issoufou et son fils « Abba », cela signifierait qu’ils auraient plus à perdre qu’à gagner avec ce coup d’État. Une explication possible est que les putschistes avaient le soutien d’Issoufou au début, mais qu’ils ont ensuite joué leur propre jeu.
Rémi Carayol : Vous qualifiez le Niger de « pétro-démocratie ». Que revêt ce terme ?
Jannik Schritt : Pour comprendre l’impact du pétrole, il faut se pencher sur le contexte dans lequel il est produit. Dans le cas du Niger, le pétrole a commencé à être produit dans un système multipartite. Ce constat est important dès lors que l’on s’intéresse à la « thèse de la malédiction des ressources » et la « théorie de l’État rentier » – des concepts quasi hégémoniques dans le monde universitaire. L’argument principal de mon travail est que la politique et la société au Niger n’ont pas changé structurellement à la suite de l’exploitation du pétrole.
L’argument de mes recherches a toujours été que les conflits au Niger portent moins sur la rente pétrolière en tant que telle que sur le pouvoir politique et le « butin » (marchés publics, factures gonflées, exonérations fiscales, impunité, etc.) qu’il peut permettre d’accaparer. Par exemple, pour être élu, il faut beaucoup d’argent, que l’on obtient auprès de riches hommes d’affaires qui devront être dédommagés pour leur investissement par l’obtention de marchés publics, etc., en cas de victoire. En plus, le Niger est depuis longtemps un « État rentier » même si le volume des rentes n’est pas comparable à celui des États rentiers classiques du Moyen-Orient : il y a d’abord eu l’uranium, mais aussi et surtout l’aide au développement, aujourd’hui liée à la répression de l’immigration clandestine et à la présence de bases militaires étrangères.
Mais le terme « pétro-démocratie » va plus loin. Outre le fait de considérer le pétrole uniquement sous l’angle de ses revenus, ce concept met l’accent sur les dimensions infrastructurelles et discursives de la production de pétrole (et aussi d’uranium). La configuration politique de l’uranium au Niger a longtemps été caractérisée par une forme d’« impérialisme nucléaire ». Cette longue histoire d’exploitation coloniale et néocoloniale de la France a abouti à de forts sentiments antifrançais – le fait que le Niger soit pauvre malgré la richesse de ses réserves d’uranium servant de cas d’école. En revanche, la configuration pétro-politique émergente a engendré un nouveau nationalisme des ressources dans l’opinion publique et la gouvernance – ce que j’appelle une « pétro-démocratie » – dans lequel les gens ne blâment pas les puissances extérieures comme responsables du « sous-développement » – comme dans le cas de la France avec l’uranium (pour le pétrole, ce serait la Chine) – mais s’adressent à leur propre gouvernement pour demander des subventions pour le prix des carburants2. En ce sens, la Chine n’est pas considérée comme une puissance néocoloniale au Niger, notamment parce qu’elle a accepté d’y construire une raffinerie, à Zinder [NDLR : inaugurée en 2011], contrairement aux compagnies pétrolières occidentales.
« L’uranium est emblématique de l’exploitation de la France »
Rémi Carayol : Avant le pétrole, vous l’avez rappelé, il y a eu l’uranium. Une activité économique « inextricablement mêlée à la politique », écrivez-vous. Comment en est-on arrivé là ?
Jannik Schritt : Dès le début, avant même l’indépendance, la France a considéré l’uranium du Niger comme stratégiquement important, tant pour ses centrales électriques que pour sa force de frappe nucléaire3. Elle s’est donc immiscée dans la politique nigérienne alors que les prix de l’uranium nigérien étaient définis par des contrats secrets. La France a ensuite aidé le premier président, Hamani Diori, loyal aux intérêts français, à prendre le pouvoir, à réprimer l’opposition et à consolider un État à parti unique. Plus tard, le successeur de Diori, Seyni Kountché [1974-1987], a récolté d’importantes rentrées d’argent grâce à l’uranium, ce qui lui a permis de mettre sur pied son projet de « société de développement » – un programme qui s’est effondré lorsque les revenus de l’uranium ont commencé à diminuer, en 1980. Aujourd’hui, dans la mémoire collective du Niger, l’uranium est emblématique de l’exploitation (néo)coloniale de la France, ce qui explique en partie les forts sentiments antifrançais dans le pays.
Rémi Carayol : « Comprendre cette configuration politique de l’uranium est essentiel pour comprendre les transformations induites par le pétrole », écrivez-vous. Doit-on conclure que le pétrole n’a fait que remplacer l’uranium dans le système politico-économique du Niger ?
Jannik Schritt : Non, ils coexistent. Pour ce qui est des revenus, l’uranium reste plus important que le pétrole. Les statistiques montrent à quel point la rente pétrolière est actuellement faible par rapport au PIB total. De même, la rente totale des ressources (pétrole, uranium, or) représente moins de 10 % du PIB du Niger. Cela ne changera que lorsque le pétrole brut sera exporté, ce qui est envisagé pour 2024. Mon argument n’est pas lié aux aspects financiers des productions respectives de ces ressources. Il porte sur la logique de la politique au Niger, qui n’a pas changé structurellement. Le système politique était et est toujours basé sur le « butin ». S’il y a eu des changements avec la production de pétrole, ce n’est pas tant au niveau national, mais plutôt aux niveaux régional et local, puisque 15 % des revenus doivent être redistribués aux régions dans lesquelles le pétrole est produit. C’est donc ici, au niveau local, qu’entre une nouvelle forme de rente qui existait déjà au niveau national à travers l’uranium et l’aide au développement.
En outre, le changement se situe également sur le plan des discours et au niveau de l’identité. Mais là encore, des lignes de conflit préexistantes ont été ravivées. Ainsi, du point de vue de la capitale, Niamey, située dans l’Ouest, on reproche aux régions de l’Est, en particulier à Zinder, de faire preuve de sécessionnisme, par exemple lorsque ses ressortissants demandent une préférence dans l’attribution des emplois dans la raffinerie ou des prix régionaux de l’essence. Ces conflits entre l’Est et l’Ouest remontent à la colonisation française, lorsque Zinder est devenue la capitale, en 1901, avant qu’elle soit transférée à Niamey, en 1926. Cela a également été considéré comme une préférence française pour les Djermas contre les Haoussas.
« Le discours sur la Chine est très différent de celui sur la France »
Rémi Carayol : La France jouait – et joue toujours – un rôle central dans l’uranium. Peut-on établir le même constat pour la Chine en ce qui concerne le pétrole ?
Jannik Schritt : La Chine n’est apparue que récemment dans le secteur pétrolier au Niger. Alors que les compagnies pétrolières françaises et américaines ont acquis des permis d’exploration dès les années 1970, les réserves pétrolières du Niger sont restées longtemps sous-explorées. La situation n’a changé qu’avec la flambée des prix du pétrole et l’émergence de la Chine. Cependant, depuis la signature du contrat pétrolier, en 2008, la Chine domine la production de pétrole au Niger, même si d’autres compagnies ont acquis des permis d’exploration et de production (par exemple la Savannah Energy, une société britannique, en 2014). Mais là encore, le discours sur la Chine (qui « fait des affaires ») est très différent, au Niger, de celui sur la France (qui « fait de l’exploitation néocoloniale »).
Rémi Carayol : Vous parlez de « catalyseur », et préférez ce terme à ceux souvent employés dans les pays pétroliers de « bénédiction » et de « malédiction ». Pouvez-vous nous expliquer ce que signifie ce terme ?
Jannik Schritt : La dichotomie « bénédiction » et « malédiction » s’apparente à une pensée binaire, en noir et blanc : « le pétrole profite au pays ou lui nuit ». Le concept de « catalyseur », en revanche, fait référence aux dynamiques, spécifiques au contexte, qui existent déjà (ici, avant la production de pétrole) et décrit la manière dont elles sont accélérées. L’ouverture de la raffinerie de pétrole à Zinder en 2011, par exemple, a transposé des conflits politiques préexistants sur la scène publique et les a, d’une certaine manière, intensifiés. Mais si l’on regarde leur genèse historique, il s’agit de conflits politiques et non de conflits pétroliers, comme on le pense souvent de manière simpliste.
Rémi Carayol : Dans votre thèse, vous évoquez longuement la décision de construire la raffinerie de Zinder en 2011 et le tollé que son inauguration a provoqué. Comment l’expliquez-vous ?
Jannik Schritt : Il s’agissait d’un conflit politique et non d’un conflit pétrolier. Personne au Niger n’est contre la production de pétrole ! L’ouverture a eu lieu à une époque et dans un contexte où Issoufou venait de prendre le pouvoir alors que Zinder était le fief de l’opposition, notamment du CDS-Rahama (aujourd’hui RDR-Tchanji) de Mahamane Ousmane, et dans une moindre mesure du MNSD-Nassara. Aujourd’hui, Niamey est le fief de l’opposition de Hama Amadou et de son Moden-FA Lumana – il faut le rappeler pour comprendre les manifestations pro-junte qui s’y déroulent depuis quelques semaines. Les manifestations sont toujours liées à deux choses : premièrement, le potentiel de mobilisation de la population, et deuxièmement, les efforts concrets entrepris pour aboutir à cette mobilisation.
Le potentiel de mobilisation en 2011 était important puisque l’ancien président Mamadou Tandja était encore très populaire et que l’inauguration de la raffinerie était un événement très médiatisé. Mais pour mobiliser les gens, il faut les y pousser, et notamment en payer certains, que l’on appelle les « courtiers de protestation ». Il faut garder cela à l’esprit si l’on veut comprendre la mobilisation en faveur de la junte aujourd’hui. Le potentiel de mobilisation existe parce que pour beaucoup, une réorganisation des relations avec la France (et l’Occident en général), considérée comme néocoloniale, est plus important qu’un système multipartite, qui a de toute façon perdu une partie de sa légitimité. Le succès de la mobilisation dépend alors également de la somme d’argent dépensée pour que les « courtiers de la protestation » mobilisent la population.
« Le PNDS a réussi à imposer son hégémonie »
Rémi Carayol : Beaucoup pensent que Mamadou Tandja a voulu s’accrocher au pouvoir à la fin de son deuxième mandat, en 2010, pour profiter de la manne pétrolière. Vous semblez en douter…
Jannik Schritt : Oui, j’en doute, car d’une part il y a eu de nombreuses tentatives de s’accrocher au pouvoir dans les pays voisins où il n’y a pas de pétrole ; d’autre part, le débat académique sur la politique en Afrique suggère qu’il s’agit d’une logique générale de la politique, qui doit être considérée indépendamment de la richesse des ressources. Mais le plus important est que, si l’on examine la genèse historique de ce conflit particulier, l’on constate que les velléités de Tandja sont antérieures à la production de pétrole. Il s’agit d’un conflit entre Tandja et son ancien Premier ministre, Hama Amadou, pour la suprématie au sein du MNSD-Nassara et la future présidence du pays. Ce conflit remonte au moins à 2005, avant même que la China National Petroleum Corporation (CNPC) ait obtenu la licence pour le bloc pétrolier d’Agadem.
Rémi Carayol : Le PNDS, qui est arrivé au pouvoir au moment où les premiers barils étaient produits au Niger, est-il le bénéficiaire exclusif de cette rente ?
Jannik Schritt : Le PNDS est le principal bénéficiaire du fait que c’est le parti au pouvoir et qu’il occupe tous les postes stratégiques pour exploiter les revenus. Lors d’un changement de pouvoir, les postes dans l’administration sont également souvent remplacés par des loyalistes du parti, parfois jusqu’au niveau le plus bas. Le PNDS a par ailleurs réussi à affaiblir l’opposition politique à tel point que le système multipartite est devenu de facto un système à parti unique au fil des années. Lorsque le PNDS est arrivé au pouvoir, il y avait quatre principaux partis (PNDS, MNSD, Moden-FA, CDS). En cooptant des hommes politiques de tous les autres partis dans un « gouvernement d’union nationale », en jouant sur les conflits internes (en particulier au sein du CDS) et en réprimant les opposants (notamment Hama Amadou), le PNDS a réussi à imposer son hégémonie.
Au Niger, aucun parti au pouvoir n’a jamais perdu d’élections. Ainsi, même si un coup d’État est toujours surprenant, il était presque la seule possibilité de changer la configuration du pouvoir dans le pays.
Rémi Carayol : La population nigérienne a-t-elle bénéficié de la manne pétrolière, ou celle-ci a-t-elle été totalement captée par l’élite politico-économique ?
Jannik Schritt : La population nigérienne en profite principalement lorsque le prix national du carburant est inférieur au prix du carburant de contrebande en provenance du Nigeria, qui dépend quant à lui des subventions allouées dans ce pays. C’est pourquoi le prix de l’essence est toujours une pomme de discorde et est considéré comme trop élevé par de nombreux Nigériens. Sinon, seule une minorité bénéficie d’emplois dans le secteur pétrolier ou dans l’appareil d’État, qui s’est considérablement gonflé sous le PNDS. Mais ces emplois ne peuvent être obtenus que par le biais de réseaux (les fameux « parents », « amis », « connaissances »), où l’affiliation au PNDS joue un rôle majeur. C’est pourquoi, dans un contexte de chômage très élevé, la frustration des jeunes augmente presque chaque jour. Et la politique dans son ensemble, c’est-à-dire le système multipartite, a perdu sa légitimité aux yeux de nombreux Nigériens.
Rémi Carayol : Et l’armée, en a-t-elle profité ?
Jannik Schritt : Au Niger, l’armée et la politique sont intimement liées. La logique du jeu politique veut que les officiers supérieurs de l’armée soient particulièrement choyés si l’on souhaite rester au pouvoir. Comme le pays a déjà connu de nombreux coups d’État militaires (ratés ou réussis), il est essentiel pour le pouvoir politique de rallier l’armée, ou du moins des fractions importantes de l’armée. Par conséquent, certains militaires de haut rang en ont énormément profité – non seulement du pétrole mais des « caisses noires » en règle générale. Ils font partie de l’élite du pays et vivent parfois dans de somptueuses villas.
Journaliste. Il a fondé deux journaux dans l’archipel des Comores (Kashkazi, Upanga) avant de rejoindre la rédaction de… (suite)