La loi du 5 août 1850 autorise officiellement les colonies pénitentiaires à destination des enfants et adolescents. Par le travail agricole, maritime ou industriel, il s’agit pour l’État de régénérer une jeunesse en perte de repères et de se substituer à des cellules familiales dysfonctionnelles.
Avec
- Véronique Blanchard Historienne, enseignante-chercheuse à l’Université d’Angers
- Julien Hillion Historien, membre associé du laboratoire TEMOS-CNRS, spécialiste de la colonie pénitentiaire de Belle-Île-en-Mer
Le 12 avril 1937, le journal Ce soir publie un article au titre qui interpelle : “Des enfants souffrent encore” ; ils souffrent “dans des bagnes qu’avec l’opinion publique le ministre de la Justice condamne”. Dans cet article, il est question de cellules, d’un régime inhumain, et d’indignations. Mettray, Loos, l’Îlet à Guillaume, Eysses, Aniane, et bien sûr Belle-Île-en-Mer où, c’est bien connu, “vous, c’est l’eau, c’est l’eau qui vous sépare, et vous laisse à part”.
Une utopie du redressement des enfants
Au XIXe siècle, l’enfance devient une catégorie distincte dans le monde judiciaire. De nouveaux modèles répressifs sont pensés “sur mesure” pour corriger et redresser une enfance déviante. Les philanthropes, médecins, juges, hygiénistes, pédagogues et hommes politiques définissent l’enfance comme un espace particulier, qui doit être pris en charge selon des principes distincts de ceux qui encadrent le reste de la population. Après les prisons pour mineurs du début du siècle, une nouvelle forme d’institutions apparaît : les colonies pénitentiaires. D’abord exclusivement agricoles, elles proposent peu à peu des sections maritimes ou industrielles.
L’historienne Véronique Blanchard explique que les premières expériences des colonies agricoles cherchent une autre solution que l’enfermement carcéral et pénitentiaire des mineurs : “On veut prendre en compte l’enfance et son ‘innocence’. Certains historiens ont parlé d’innocents coupables. On veut sortir les enfants de la prison pour ‘les mettre au champ’. L’idée est de redresser l’enfance par la nature et le travail. C’est une forme de moralisation très importante et progressiste à l’époque – même si on pourra réfléchir sur ce que deviennent ces expériences et ce que l’enfermement produit comme violence vis-à-vis des enfants. Au départ, c’est une utopie du redressement et de la correction des enfants très différente de la prison et de l’enfermement cellulaire.”
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Qui sont les jeunes détenus ?
Les jeunes détenus, appelés “pupilles”, sont souvent envoyés dans ces colonies pénitentiaires pour des faits de petite délinquance : vols, mendicité, bagarres, vagabondage. Ils sont issus de milieux populaires et ont en commun des parcours de vie souvent chaotiques et des familles peu présentes.
Véronique Blanchard insiste sur la distinction genrée de l’encadrement des jeunes : “Dans la perception sociale, les jeunes filles ne sont pas perçues particulièrement comme délinquantes ou violentes. Ce qui pose problème, c’est qu’elles ne respectent pas toujours les normes de genre, c’est-à-dire la pureté, la virginité, ce qu’on attend de leur sexe. On va plutôt confier les jeunes filles qui posent problème à des institutions religieuses.”
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Un quotidien violent pour les jeunes détenus
D’Aniane à La Réunion en passant par Belle-Île-en-Mer et Mettray, ces colonies essaiment sur le territoire français. “Belle-Île devient l’étendard de l’éducation correctionnelle”, raconte Julien Hillion. “La colonie pénitentiaire de Belle-Île est vendue comme une réussite totale et absolue : on a pris des petits vauriens, on les a amenés à Haute Boulogne (nom de l’établissement pénitentiaire, ndrl.), ils sont devenus des marins obéissants et maintenant, ils vont grossir les rangs de l’armée pour défendre la nation”, rapporte l’historien.
Les conditions de vie sont rudes dans ces établissements : sévices physiques et psychologiques, cachots, rations de nourriture à peine suffisantes. Les jeunes gens mettent en place des stratégies pour résister à la violence institutionnelle, même si la solidarité entre détenus est entravée par le système et que les évasions ne réussissent que rarement. À partir des années 1910, la presse se fait le relais du destin tragique des petits détenus et l’opinion publique s’émeut. Julien Hillion cite un article de L’Ouest-Éclair qui conclut par “Ces enfants sont aux bagnes pendant que nos enfants sont en vacances”.
Le modèle des colonies pénitentiaires tend à disparaître à partir des années 1930, alors que les idéaux hygiénistes, professionnalisants, et paternalistes prônés par ce modèle coercitif ne portent pas leurs fruits et semblent désormais appartenir à un temps révolu.
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Pour aller plus loin :
- Julien Hillion, Le Bataillon des “nuisibles”, Jadis éditions, 2022
- Véronique Blanchard, Mathias Gardet, La parole est aux accusés. Histoires d’une jeunesse sous surveillance, 1950-1960, Textuel, 2020
- Véronique Blanchard, Mathias Gardet, Mauvaise graine : deux siècles d’histoire de la justice des enfants, Textuel, 2017
- Véronique Blanchard, David Niget, Mauvaises filles : incorrigibles et rebelles, Textuel, 2016
Références sonores :
- Archive INA sur Belle-Île-en-mer, Bretagne Actualités, 14 juin 1966
- Lecture par Charlie Nelson d’un extrait de Miracle de la rose de Jean Genet dans Les Chemins de la connaissance, France Culture, 5 juin 2003
- Chanson de Laurent Voulzy Belle-Île-en-mer interprétée par Philippe Katerine
- Archive INA d’un habitant de Belle-Île-en-Mer face aux colons, Pot-au-feu, France Culture, 24 juillet 2002
- Poème Chasse à l’enfant de Jacques Prévert, sur la musique de Joseph Kosma, interprété par Marianne Oswald, enregistré en 1936
- Extrait de la fiction radiophonique La Fleur de l’âge à partir d’un scénario de Jacques Prévert, 5 octobre 1997
- Archive INA de La Tribune de Paris, 1947
- Archive INA de Jean Genet sur les murailles de la colonie pénitentiaire de Mettray, FR3, 1986
