Par La rédactionPublié le : 07/08/2023

Dans un rapport paru début août, les équipes de Médecins sans frontières (MSF) basées à Vintimille documentent les pratiques de refoulement dans cette zone frontalière entre l’Italie et la France. Des refoulements à caractère “systématique”, qui touchent des mineurs non accompagnés, voire séparent des familles, d’après les témoignages recueillis.

Alors qu’il tentait d’entrer en France depuis l’Italie avec sa famille, un jeune Guinéen raconte son refoulement vers l’Italie. “La police nous a arrêtés à Menton. Nous avons été obligés de passer la nuit dans un container. Ma sœur était terrifiée. Elle a 10 ans et est en situation de handicap”.

À la frontière franco-italienne, “les personnes migrantes sont systématiquement refoulées par la police française, sans évaluation appropriée et parfois violemment”, épingle Médecins sans frontières dans un rapport paru début août, dont est issu ce témoignage.

Le document produit par l’ONG est basé sur les observations de ses équipes médicales installées à Vintimille, récoltées entre février et juin 2023. Au niveau de ce point de passage frontalier, la pratique des refoulements est “systématique”, insiste ce rapport. Sur les 320 personnes soignées par MSF entre février et juin, pas moins de 80 % témoignent avoir tenté d’entrer en France avant d’être refoulées par la police. Parmi elles, un quart assurent l’avoir été plus d’une fois.

Vintimille n'est qu'à une dizaine de kilomètres de Menton. À pieds, il faut compter environ deux heures et demi. Crédit : InfoMigrants
Vintimille n’est qu’à une dizaine de kilomètres de Menton. À pieds, il faut compter environ deux heures et demi. Crédit : InfoMigrants

“Des personnes extrêmement vulnérables sont refoulées sans discernement par la police française, qui ne tient pas compte de leur situation personnelle ou de leur âge”, résume Sergio Di Dato, coordinateur de projet MSF à Vintimille.

80 refoulements par jour en moyenne

Depuis les attentats de novembre 2015, la France a rétabli le contrôle à ses frontières intérieures avec l’Italie. D’année en année, les effectifs policiers y sont renforcés. En novembre 2022 par exemple, 500 agents supplémentaires ont été déployés. Pourtant, le fondement légal des refus d’entrée et refoulements a été maintes fois remis en question, y compris par le Conseil d’État fin 2020.

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Entre janvier et mi-juin, 13 395 personnes ont été interpellées à la frontière puis remises aux autorités italiennes, affirme la préfecture des Alpes-Maritimes, auprès de BFM Nice Côte d’Azur. Soit 30 % de plus que l’an dernier. En moyenne, cela reviendrait à 80 migrants refoulés par jour.

Sauf que ces chiffres sont à prendre avec des pincettes. Les personnes retentent généralement la traversée plusieurs fois de suite. Les forces de l’ordre refoulent nécessairement à plusieurs reprises les mêmes individus.

“Nous ne pensions pas devoir continuer à courir en arrivant en Europe”

“Sur le chemin de la montagne la nuit, la police a commencé à nous pourchasser. En essayant de nous échapper, nous sommes tombés dans un ravin”, raconte un jeune homme dans le rapport, arrivé à pied depuis l’Afghanistan avec son frère pour rejoindre de la famille en Allemagne. “Les équipes de MSF nous ont soignés, mais nous avons perdu tout ce que nous avions dans le ravin”, poursuit-il. “Nous avons dû traverser la Turquie, la Grèce et les Balkans pour trouver un endroit où nous nous sentions en sécurité. Nous ne pensions pas devoir continuer à courir en arrivant en Europe”.

Sur les 320 personnes soignées par MSF, nombre d’entre elles souffraient, comme ces deux frères, de blessures liées aux pratiques policières à la frontière. Les équipes relèvent aussi des “mauvais traitements” relevant de “discriminations à caractère racial”.

Un exemple : à la gare de Menton, une femme enceinte assure avoir été insultée par une policière. Celle-ci l’aurait accusée de “faire semblant d’être enceinte, parce que c’est ce que “vous les migrants, vous faites toujours”. Elle a commencé à tâter mon ventre avec ses mains pour voir si j’étais vraiment enceinte”, témoigne cette femme, originaire de Guinée. “Ça m’a fait mal et j’avais honte d’être traitée comme ça devant tout le monde”.

Des migrants viennent récupérer de la nourriture auprès des associations qui font des maraudes à Vintimille. Crédit : Mehdi Chebil pour InfoMigrants
Des migrants viennent récupérer de la nourriture auprès des associations qui font des maraudes à Vintimille. Crédit : Mehdi Chebil pour InfoMigrants

Un autre homme, Malien, témoigne avoir été menotté après avoir été sorti de force d’un train à Menton. “Quand j’ai demandé des explications, l’officier de police m’a poussé, et m’a blessé à la cheville. Quand j’ai insisté, il m’a frappé au visage”.

Un mineur sur trois déclare avoir été refoulé

En outre, des mineurs non-accompagnés sont concernés par ces refoulements, selon MSF. Plus d’un tiers des 48 mineurs non accompagnés aidés par MSF depuis le début de l’année (37,5 % précisément) déclare avoir été refoulés. Parmi eux se trouvaient “une mère de 16 ans avec son bébé”, indiquent les équipes médicales.

Ces pratiques contreviennent au droit des mineurs non accompagnés de demander l’asile, rappelle l’ONG. “Nous constatons souvent des erreurs dans la transcription des noms et des dates de naissance”, rapporte en outre le personnel.

Ces irrégularités sont anciennes. Déjà en 2019, une enquête avait été ouverte pour faux et usage de faux ; et le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) avait constaté le refoulement de mineurs “alors qu’ils ne peuvent en aucun cas faire l’objet d’une mesure d’éloignement”.

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Des migrants traversent la rivière Roja, près de Vintimille, à la frontière franco-italienne, juin 2017 | Photo: ANSA/ CHIARA CARENINI
Des migrants traversent la rivière Roja, près de Vintimille, à la frontière franco-italienne, juin 2017 | Photo: ANSA/ CHIARA CARENINI

Des familles séparées au cours des refoulements

Les équipes de MSF relèvent aujourd’hui de nombreux cas de “séparation familiale ou de contestation de la minorité” sans que les personnes concernées puissent faire appel de la décision du refus d’entrée. De fait, il arrive que des familles soient séparées au cours des opérations de refoulements, selon les témoignages recueillis.

Arrêté à Nice, un Ivoirien raconte aux équipes médicales : “Ma femme est enceinte et elle a été emmenée à l’hôpital parce qu’elle s’est évanouie pendant qu’ils la menottaient. Mon fils de deux ans et moi-même avons été emmenés au poste de la police des frontières de Menton. Nous avons passé la nuit dans le froid et le lendemain nous avons été refoulés en Italie, mais nous n’avons aucune nouvelle de ma femme”.

L’ONG a recensé “au moins quatre cas” de séparation de familles au cours de refoulements, entre février et juin 2023.

Hébergements précaires côté italien pour les refoulés

Les personnes refoulées se retrouvent, côté italien, prises en charge quelques nuits dans des centres de première assistance (Punto Assistenza Diffusa, PAD). Deux nouveaux centres viennent d’ouvrir. Malgré ces ouvertures récentes, “des dizaines de personnes en transit sont toujours forcées de dormir dans les rues ou dans des abris de fortune”, relève MSF. En outre, “deux des quatre PAD promis ne fonctionnent toujours pas et les services de base tels que l’hébergement, les soins et l’assistance juridique sont assurés par des associations locales et la société civile”, rappelle l’ONG.

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Quatre-vingt sept mille exilés sont arrivés par la mer en Italie entre janvier et fin juillet, selon les derniers chiffres du HCR. Ces données ont doublé par rapport à 2022, sur la même période. “Le goulot d’étranglement créé à Vintimille n’est pas un cas isolé et reflète la tendance plus large des politiques migratoires européennes qui donnent la priorité à l’endiguement et à la sécurisation plutôt qu’aux droits fondamentaux et à la protection internationale”, conclut Sergio Di Dato, le coordinateur de projet de MSF.

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