Méline Pulliat
Une semaine après les violences qui ont éclaté au centre de Thouars, cité au sud de Talence, les habitants et les commerçants oscillent encore entre colère, peur et incompréhension. Alors que le calme est revenu, l’heure est à la réconciliation et à la poursuite du travail social dans ce quartier de 7000 habitants, le plus pauvre de la quatrième ville de Gironde.
« Salut mec ! », lance un jeune homme en tapant deux fois dans la main de ses amis. Ils ont entre 13 et 17 ans, boivent des sodas sur la terrasse du bar-restaurant le Gromm, place Charles-de-Gaulle à Thouars, dans le sud de Talence. Un peu plus loin, une femme promène son chien, des mères prennent le goûter avec leurs enfants et deux moniteurs d’auto-école s’apprêtent à donner une leçon de conduite. Le calme habituel semble avoir regagné ce quartier de 7 000 habitants, qui a connu des violences dans les nuits de mercredi 28, jeudi 29 et vendredi 30 juin, dans le contexte de la mort du jeune Nahel.
La vitrine de la pharmacie comme celle de l’auto-école ont été légèrement abîmées, une voiture a été brûlée. Le bureau de tabac est le commerce le plus touché : ses vitrines et sa porte ont été cassées et son magasin pillé. Une semaine après, Asna, habitante du quartier assise avec sa nièce sur un banc de la butte Rosa Parks, est plus que soulagée de ce retour au calme : « Ah oui ça fait du bien ! », s’exclame-t-elle en riant.
Ce que souhaite maintenant Sonia* (*pseudonyme), médiatrice sociale de la ville de Talence, c’est éviter que l’amalgame soit fait entre une « minorité » qui a commis des violences et le reste des jeunes du quartier. Selon les médiateurs, les associations et des élus, les violences n’auraient pas uniquement été commises par des jeunes de Thouars.
« J’aimerais qu’on ne réduise pas les jeunes de ce quartier à ces violences, qu’on dise qu’ils ne savent pas s’exprimer autrement que par la violence », résume Sonia.
« Les habitants sont déçus »
Même si la situation est revenue à la normale, les sentiments oscillent encore entre peur, incompréhension mais aussi déception. Sonia avoue :
« Les habitants sont déçus, ils n’auraient pas pensé que ça se passerait comme ça ici. »
« Nos vitres c’est chiant, mais ce n’est que matériel, ça se change », assure Romain Noiret, gérant du bar le Gromm, assurant le service d’un pas rapide un plateau de boissons posé sur la paume de sa main. Le restaurateur s’estime simplement heureux de ne pas avoir subi davantage de dégâts. Au coeur de ce quartier prioritaire de la ville (QPV), les commerces et les services sont des ressources indispensables. La fermeture de certains d’entre eux aurait pu impacter la vie sociale du quartier.
Pour Pedro Fernandez, gérant du tabac-presse, la pilule a encore du mal à passer. Une semaine plus tard, sa colère n’est pas retombée : « J’ai encore la rage… moi je n’y suis pour rien ». En 15 ans de métier, il dit n’avoir jamais connu ça. Il raconte que les événements de la semaine dernière l’ont particulièrement affecté : « C’est différent d’un braquage. Là ce sont des jeunes qu’on voit tous les jours ! » Le buraliste dit ne plus dormir et mentionne un préjudice moral impossible à évaluer :
« On aime notre métier, clame-t-il, mais je ne vais pas risquer ma vie pour vendre des clopes. Si l’État me rachète mon commerce, je me casse maintenant ! »
Face à la colère des jeunes, une compréhension en demi-teinte
Certains habitants partagent cette inquiétude. « Il y a des enfants, il faut penser à l’avenir ! », s’insurge Asna. Venilina, kinésithérapeute à domicile, mère de trois enfants vivant à Thouars depuis qu’elle a quitté sa Bulgarie natale il y a 7 ans, confirme cette crainte : « Je stresse pour les enfants », chuchote-elle en montrant de la tête sa fille Valérie âgée 9 ans, et son fils de 2 ans Danî qui gambade dans le parc.
Les habitants interrogés oscillent, non sans un certain malaise, entre compréhension de la colère de ces jeunes et condamnation des violences.
« On ne sait pas quoi vous dire, confesse un moniteur d’auto-école, c’est un tout. Les jeunes en ont marre de se faire contrôler pour rien, ils en ont marre de pleins de choses ».
« Ils ont cassé pour se faire entendre et c’est important de se faire entendre », commente Yanis* (*pseudonyme), 17 ans. Lui et ses amis précisent cependant qu’ « il y a d’autres moyens de faire la justice ». Pour Sonia, le contexte actuel doit mener à des réflexions importantes, car « il suffit d’un incident, et ça fait une étincelle, explique-t-elle, on se doute bien qu’il y a un malaise plus profond ».
« Un immense gâchis »
Ce que les habitants ne comprennent pas en revanche, c’est la cible des violences : les commerces de proximité. Bernard, ancien postier de 67 ans, acquiesce en soupirant : « C’est un immense gâchis. Le buraliste et le propriétaire de la voiture n’y sont pour rien ! »
Jawad, 40 ans, a vécu à Thouars une grande partie de sa vie et y élève désormais ses enfants. Il comprend la colère qui s’est exprimée et se désole d’un contexte social dans lequel les jeunes sont stigmatisés et peinent à trouver un emploi dans un quartier où le taux de chômage avoisine les 17%. Thouars est aussi le quartier le plus pauvre de la quatrième ville de Gironde, avec un taux de pauvreté supérieur à 40% en 2018 et 36% de famille monoparentale en 2017.
Malgré tout, selon Jawad, « dégrader des choses qui n’ont rien à voir avec l’État » ne sert à rien.
Un quartier qui évolue
Salem Erchouk adjoint à la cohésion sociale, politiques de prévention et politique de la ville, insiste sur les efforts déployés par la mairie pour réhabiliter Thouars, un territoire « qui fait l’objet de toute l’attention des pouvoirs publics depuis des années », assure-t-il.
Implantation de commerces, rénovation de la piscine et du stade depuis 2021, et projet de bus express pour améliorer l’offre de mobilité, l’élu insiste : « Thouars n’est pas un ghetto urbain, les services sont partout ». Le 3 juillet dernier, le conseil municipal de Talence votait la réhabilitation de plus de 600 logements et l’investissement de 96 millions d’euros dont plus de la moitié par le principal bailleur social du quartier, Domofrance.
Les jeunes constatent également l’évolution de leur quartier. « On est bien ici ! », affirme l’un d’entre eux. « On ne manque de rien », renchérit son ami en décortiquant des graines de tournesol au-dessus de la table du bar.
« Il y a eu du travail de fait sur ce territoire », reconnaît Isabelle Rami, conseillère municipale d’opposition (EELV). Le quartier a vocation à devenir « moins enclavé ». Mais elle et son groupe politique souhaitent accroître encore la mixité sociale et poursuivre la réflexion sur les modalités de transports. « Requalifier un quartier c’est long », admet-elle.
Écoute et compréhension
« Le travail se poursuit pour panser des plaies indéniables », affirme Salem Erchouk. Il détaille les différentes réponses apportées pour dépasser ces événements : cellule de veille, mise en place d’espace d’expression et médiation… À Talence s’esquisse un « travail de long terme pour éviter les fractures », annonce l’adjoint de quartier, auquel participe le tissu associatif.
« Heureusement qu’il y avait la médiation pour calmer les tensions ! », s’exclame Yanis en regardant Sonia, désignée à l’unanimité des jeunes présents sur la terrasse comme « la maman de tous ici ».
Après les violences, l’heure est à « l’écoute active » des jeunes qui ont participé aux casses. La médiatrice insiste aussi sur la nécessité d’identifier les fautifs et de les sanctionner.
Tous ces événements doivent, selon elle, amener à faire évoluer les méthodes de travail des médiateurs sociaux : « Ça fait réfléchir, est-on assez proche d’eux ? »
« Il faudra du temps de l’écoute, de la compréhension et de l’empathie mutuelle entre les professionnels et les jeunes. »
« Il y a de l’espoir tant qu’un quartier est en transition », Sonia en est convaincue.
Nouveau plan pour les quartiers prioritaires
Le 7 juillet, les maires des communes girondines les plus touchées par les violences urbaines ont été reçus par le préfet de la Gironde, Étienne Guyot, ainsi que Bernard Lauret, président de l’association des maires de Gironde.
Le bilan des violences, survenues entre le 28 juin et le 2 juillet 2023, a été dressé : une centaine de véhicules et près de 150 poubelles incendiés, plus de 25 bâtiments publics et para-publics ainsi que des commerces et du mobilier urbain dégradés.
Lors de cette réunion, le préfet a annoncé entre autres l’ouverture de plusieurs chantiers prioritaires dont l’élaboration de nouveaux contrats de ville dans les quartiers prioritaires. Cela devrait se traduire par des mesures en faveur de « la jeunesse, l’emploi, la mixité sociale, la tranquillité publique, l’accès aux soins, l’égalité fille/garçon et la lutte contre toute forme de discrimination ».