700 mineurs non accompagnés, sans solution de logement, ont tenté une action coup de poing devant le Conseil d’État, le 20 juin. Carte blanche de Soumaïla, 16 ans.
• 5 juillet 2023
Article paru
dans l’hebdo N° 1765
700 mineurs non accompagnés n’ont toujours pas de solution de logement. Après avoir passé deux mois dans une ancienne école du 16e arrondissement de Paris, pris en charge par des associations non mandatées, ils ont tenté une action coup de poing devant le Conseil d’État, le 20 juin. Soumaïla, 16 ans, est de nouveau à la rue.
Une violence. Une de plus. Ce soir du 20 juin, après que l’on a installé les tentes et que l’on s’est mis dedans, les policiers ont débarqué. Ils ont encerclé la place, faisant pression et commençant à s’en prendre aux bénévoles qui nous protégeaient. Ils en ont plaqué certains contre des camions, les matraquant puis les gazant, juste devant moi. Une fois tous les bénévoles écartés, ils se sont mis à marcher sur nos tentes, à nous sortir par les pieds et à nous traîner au sol. Jamais nous n’avons répliqué à leurs coups car c’est cette brutalité que l’on fuit, que l’on a fuie en venant en France.
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Nigériens, Sénégalais, Guinéens, tous exilés, on la connaît trop, cette violence. Au moment de quitter la Côte d’Ivoire, il y a quatre mois, mon unique raison pour partir était la suivante : échapper aux menaces de ma propre famille. Quand mon père est mort, mon oncle a pris le pouvoir dans la maison et tout était prétexte à ce qu’il me batte. Quoi que je lui demande, je prenais ses poings. Je voulais être scolarisé ? Il me battait. Voilà ce qui m’a décidé à partir. J’ai traversé le Mali, l’Algérie, la Tunisie, l’Italie pour enfin arriver en France. Mais là encore, tout était violence. Je ne peux pas vous dire ce que j’ai vu pendant le voyage, je ne veux pas me rappeler les détails. La vérité, c’est que j’ai des images qui me hantent, qui m’empêchent de dormir, ou, quand j’arrive à me reposer, me réveillent en sursaut. Je fais très souvent des cauchemars, pourtant le médecin a conclu que je n’étais pas traumatisé. Peut-être que je ne vois pas ce que veut dire « traumatisme ».
Je m’attendais à être reconnu en tant que mineur, à aller à l’école, à être considéré comme les autres.
Jamais je ne me serais dit que j’allais autant endurer quand je suis parti. Je m’attendais à être reconnu en tant que mineur, à aller à l’école, à être considéré comme les autres, à m’intégrer et à pouvoir m’insérer professionnellement. Ce n’est pas le cas. On fait tout pour nous rejeter. Pendant l’évaluation de l’aide sociale à l’enfance, ce qu’ils ont écrit était mensonger par rapport à ce que je leur ai raconté. Ils ont dit que j’avais été pris en charge en Italie, ce qui est absolument faux. J’avais juste été enregistré en tant que mineur. Sans prise en charge. Et je ne suis toujours pas pris en charge d’ailleurs. Je me sens laissé. Comme abandonné. C’est le sentiment que l’on partage tous aujourd’hui. Les associations nous aident mais comme nous ne sommes pas considérés comme mineurs, nous ne sommes pas mis à l’abri. Entre le 4 avril et le 20 juin, les bénévoles nous logeaient dans une ancienne école, rue Erlanger, à Paris, ce qui a paru être une bonne solution au début parce qu’on était tranquilles et que l’on avait un toit sur la tête, même provisoire. On savait où on allait se coucher le soir et les bénévoles avaient le contrôle de l’école, jusqu’à ce qu’il y ait de plus en plus de mineurs et que ça devienne ingérable. Certains jeunes, traumatisés et exténués, se battaient. Personne n’arrivait à dormir dans cette tension ambiante et la nuit était bruyante. Mais, malgré tout, il y avait des personnes pour veiller sur nous et nous n’avions pas à nous préoccuper de notre sécurité. Ce n’est plus le cas. Depuis notre action coup de poing devant le Conseil d’État, on ne peut plus y retourner, la mairie a bloqué le lieu.
Nous n’avons plus un seul endroit pour dormir, pas de dortoir. Rien.
Maintenant nous n’avons plus un seul endroit pour dormir, pas de dortoir. Rien. Pas un lieu fixe. Chaque journée est un marathon pour essayer de trouver des parcs dans lesquels on pourra se coucher le soir. On finit, pour certains d’entre nous, par dormir dans la rue, dans des endroits que l’on ne connaît pas, que l’on ne maîtrise pas, ce qui est forcément très risqué. Comment se sentir en sécurité ? Cette situation n’est pas normale et doit cesser. Tout ce que l’on souhaite, c’est d’être enfin reconnus comme mineurs, de pouvoir aller à l’école, de s’intégrer comme les autres, d’avoir une protection sociale, enfin des conditions de vie dignes. C’est un véritable combat au quotidien, mais un combat pacifique. Toute cette violence qui continue à nous marquer nous pousse à vouloir éviter toute forme de brutalité. Nous devrons peut-être encore mener des actions, mais des actions inoffensives. On ne peut pas dire que cela ne nous fait pas peur, parce qu’on ne sait jamais quelle sera la réaction en face : la surenchère, les agressions, encore, et toujours, la mise en danger. Mais nous n’avons pas le choix. Nous refusons cette violence.