Par Pierre Penin
Publié le 01/06/2023 à 17h00
Mis à jour le 01/06/2023 à 18h18
Ils ont secouru un homme de 59 ans qui sombrait dans l’Adour, mercredi 31 mai en fin d’après-midi : quatre exilés de passage au centre Pausa, à Bayonne, témoignent de ce moment décisif
Kecouta Nomoko s’est le premier jeté à l’eau. « On a entendu quelqu’un qui criait. On a vu un homme qui se noyait… » En cette fin d’après midi bayonnaise, le jeune Malien de 16 ans bondit du banc face à l’Adour, où il trompait le temps avec trois autres migrants accueillis au centre Pausa. L’adolescent enjambe la barrière de sécurité et saute dans le fleuve, bientôt suivi par ses camarades. Quelques minutes plus tard, ils tirent du bouillon l’homme en perdition.
Ce dernier a 59 ans. « Quand on l’a vu dans l’eau, il était très fatigué », témoigne Bamba Arouna, Ivoirien de 14 ans et plus jeune de la bande.
Le lendemain matin, sur la berge où ils n’ont pas hésité, les jeunes hommes rejouent la scène. Un couple de retraités à l’allure de routards s’arrête et les salue : Ana et David sont Australiens, ils ont tout vu, la veille. En anglais, David désigne Kecouta, « this guy » : « Lui, il a fait du sacré bon boulot ! »
Branche pourrie
Mamoutou Coulibaly, 26 ans, vient lui aussi du Mali : « On était en train de discuter quand on a entendu du bruit dans l’eau. Le monsieur n’arrivait pas à nager, on l’entendait souffler très fort. Il avait un sac sur le dos. Il était dans la panique. » Kecouta saisit d’abord le plus long bâton qu’il trouve sur la berge. « Il a essayé de le tendre au monsieur. Mais le bâton était pourri, il s’est cassé. Alors il a plongé », appuie Mamoutou.
« Derrière, on est entré nous aussi dans l’eau pour l’aider à sortir l’homme sur le côté », complète Moussa Doumbia, 32 ans, originaire de Côte d’Ivoire. Kecouta tient le malheureux contre lui : « Je l’ai serré fort pour pas l’échapper. » Les trois autres exilés « se positionnent derrière », intervient David. Les quatre garçons comprennent que l’homme dans l’Adour a tenté d’attenter à ses jours. Moussa : « Quand on est sorti de la rivière, les premiers mots qu’il a dits c’est ‘‘merci’‘ et puis ‘‘je suis désespéré’‘. Il répétait ces mots-là. »
« Pas le choix »
Quand tu es migrant, que tu as notre parcours, tu ne peux pas laisser quelqu’un dans la difficulté »
« Je n’avais pas le choix, minimise Kecouta. Cet homme se noyait. Il a l’âge de mon père. C’est important. » Mamoutou veut déceler un signe de la providence dans l’événement : « Dieux nous a donné la possibilité de sauver un homme. On est content de ça. Quand tu es migrant, que tu as notre parcours, tu ne peux pas laisser quelqu’un dans la difficulté. On a traversé la mer, on a vu des gens morts, on n’a plus peur de rien. »
Les pompiers du BAB et des agents de la police municipale ont pris le relais des quatre hommes, auprès du rescapé. Il a subi des soins à l’hôpital, ses jours ne sont pas en danger. « Quand on a vu les policiers, on est rentré dans le centre », confie Moussa. « On est des illégaux, ici. Alors on ne savait pas, on n’est pas resté dehors quoi. On n’a pas de papiers. » Comme toutes les personnes qui font une halte dans l’abri transitoire, après la frontière. Pour trois nuits maximum, c’est la règle du lieu paradoxal qu’est Pausa, géré et financé très officiellement par l’Agglomération Pays basque, en marge de la légalité.
Avant de l’atteindre, les quatre exilés ne se connaissaient pas. De longs parcours, des mois, voire des années de route, les ont fait converger vers le quai de Lesseps. Qu’ils soient passés par la Libye comme Moussa, le Maghreb comme Kecouta et Mamoutou, l’Italie ou l’Espagne, tous sont venus « chercher (leur) vie ». « On veut travailler, on veut aider la famille. On vient pour faire du mieux qu’on peut. On recherche la stabilité. »
Bamba Arouna, Kecouta Nomoko, Moussa Doumbia et Mamoutou Coulibaly sont nés de l’autre côté de la chance. Ils n’ont jamais tenu les bonnes cartes. Alors cette fois, après une nuit de réflexion, les clandestins parlent volontiers et à visage découvert. Un homme leur doit la vie, ils savent ce qu’ils ont fait. Peut-être que cela compte… « Nous cherchons aussi à nous sauver. »