Épisode 1/4 : L’impossible reconstruction de l’Etat

21 mars 2023, il y a vingt ans, les États-Unis envahissent l’Irak. Les Américains ont alors l’ambition de construire un état démocratique sur les ruines du régime de Saddam Hussein. Pourtant, l’Irak est encore pris dans un bourbier politique et sécuritaire et l’horizon ne semble pas se dégager.

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Avec

  • Adel Bakawan Directeur du Centre français de recherche sur l’Irak (CFRI)
  • Myriam Benraad Politologue, spécialiste du Moyen-Orient, professeure associée en relations internationales
  • Zahra Ali Sociologue, professeure à l’Université Rutgers de Newark

Le 20 mars 2003, il y a exactement vingt ans, le président américain George W. Bush envoie des troupes américaines sur le sol irakien. Le but est de renverser Saddam Hussein, accusé de cacher des armes de destruction massive. L’Irak fait alors parti de la liste des pays appartenant, selon les Américains, à “l’Axe du mal” défendant le terrorisme international, un argument de poids pour une Amérique encore sous le choc des attentats du 11 septembre 2001. Les néoconservateurs autours du Président ambitionnent alors d’installer en Irak une démocratie libérale. Pour ce faire, le diplomate américain Paul Bremer est envoyé à Bagdad pour mettre sur pied les bases d’un nouvel État irakien, fonctionnel et débarrassé des vestiges du régime de Saddam Hussein.

Lorsque le président Obama décide de retirer les troupes américaines en 2011, il explique que les Américains laissent derrière eux “un État souverain, stable, autosuffisant, avec un gouvernement représentatif qui a été élu par son peuple”. Pourtant, dès 2014, la moitié du pays tombe en moins de quarante-huit heures sous les armes des soldats de Daesh. La faiblesse de l’armée et de l’Etat irakien éclate au grand jour. Après la défaite de l’État islamique, le pays s’enfonce dans une longue crise politique. La nomination récente d’un Premier ministre, Mohamed Chia al Soudani, ne semble pas effacer la montée en puissance des milices chiites, qui semblent directement concurrencer l’Etat. La population, elle, réclame l’instauration d’une véritable démocratie lors de grandes manifestations initiées en 2019.

Quelles sont les traces de l’invasion américaine dans le fonctionnement de l’État irakien ? Quelles politiques ont été mises en place pour “construire” un Etat irakien, et pourquoi ont-elles échoué ? Face à l’incurie des élites irakiennes, quelles sont les aspirations de la population ?

Pour répondre à ces questions, Julie Gacon reçoit Adel Bakawan, directeur du Centre français de recherche sur l’Irak (CFRI) et Myriam Benraad, politologue, spécialiste du Moyen-Orient, professeure associée en relations internationales.

En 2003, les Américains ont mis en place un système politique basé sur les trois principales composantes de la société irakienne que sont les chiites, les sunnites et les kurdes. On cristallise alors le découpage communautaire du pays. Aujourd’hui il est complètement impossible de parler de nation ou de société irakienne tellement les divisions sont profondes. Les différentes composantes communautaires elles-mêmes sont profondément fracturées en leur sein et n’ont plus de discours communs” explique Adel Bakawan.

Selon Myriam Benraad “En 2003, après plus d’une décennie d’embargo, la guerre civile était déjà présente sous forme de ferments dans la société irakienne. Loin de pacifier le pays, l’invasion américaine va le brutaliser. En 2006, le nombre de violences intercommunautaires explose. Les Américains ne sont absolument plus tolérés, l’administration irakienne négocie leur départ. Lorsque Barack Obama annonce le retour des GI, il prend simplement acte de cet échec.

Pour aller plus loin

À réécouter : Irak : sous le feu des factions chiites

Cultures Monde

58 min

Seconde partie : le focus du jour

Les luttes féministes irakiennes, piliers des mobilisations sociales malgré le recul de leurs droits

Les femmes irakiennes sont très actives dans les contestations anti-gouvernementales, à Bagdad, le 29/11/19
Les femmes irakiennes sont très actives dans les contestations anti-gouvernementales, à Bagdad, le 29/11/19 © Getty – Ameer Al Mohammedaw

Avec Zahra Ali, sociologue, professeure à l’Université Rutgers de Newark.

L’invasion américaine en Irak, en plus de vouloir transplanter une idée de démocratie libérale, a fait des “droits des femmes”, ou de la libération des femmes irakiennes, un symbole important pour prouver le bien fondé de son entreprise. Or, vingt ans après, force est de constater que le régime qu’ils ont contribué à mettre en place n’a en rien amélioré la condition des Irakiennes. Au contraire, depuis 2003, le Code du statut personnel, adopté en 1959 et l’un des plus progressiste de la région, est régulièrement attaqué. Pourtant, dans ce contexte difficile, les femmes irakiennes participent de plus en plus aux mouvements sociaux réclamant la fin du confessionnalisme, notamment au grand mouvement de contestation de 2019.

Alors que les années 1950 et 1960 avaient vu le développement des droits des femmes en Irak, l’invasion américaine marque un retour de bâton selon Zahra Ali : “en 2003, des partis chiites très conservateurs arrivent au pouvoir grâce à l’établissement d’un système politique confessionnel par les Américains. L’abolition du code du statut personnel est l’une de leurs premières tentatives de réforme, marquant une volonté de rompre avec cet héritage progressiste. La mobilisation des féministes fait échouer cette tentative mais celle-ci a ouvert la porte à une confessionnalisation des droits des femmes et des questions de genre.

Pour aller plus loin

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Une émission préparée par Bertille Bourdon

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