D’après la Direction de la Recherche, des Études, de l’Évaluation et des Statistiques, les pensions des femmes sont déjà 40 % inférieures à celles des hommes en 2022. Quel serait l’impact supplémentaire de la réforme des retraites sur les conditions socio-économiques des femmes ?
Avec
- Mathilde Guergoat-Larivière Professeure d’économie, membre du Centre lillois d’études et de recherches sociologiques et économiques (Clersé) et chercheuse au Centre d’études de l’emploi et du travail.
- Hélène Périvier Economiste à l’OFCE Sciences Po, directrice du programme PRESAGE Programme de Recherche et d’Enseignement des Savoirs sur le Genre
Le report de l’âge légal de départ à la retraite pèse davantage sur les femmes
Hélène Périvier rappelle qu’il existe “à la fois ce qui est du ressort des droits propres, ce que les femmes acquièrent au titre de leurs revenus, et les droits dérivés, que le système permet de mettre en place pour compenser le fait que les femmes se retirent davantage du marché du travail lorsqu’elles ont des enfants.” Pour l’économiste, “ce qui est problématique avec cette réforme, c’est que l’avancement de 62 à 64 ans de l’âge légal de départ à la retraite conduit à neutraliser certains de ces effets d’avantages familiaux.”
Mathilde Guergoat-Larivière précise que “l’un des principaux dispositifs qui permet de réduire les inégalités notamment en terme d’âge de départ à la retraite, c’est ce que l’on appelle la majoration de durée d’assurance pour enfants, c’est à dire les trimestres accordés aux femmes en lien avec les naissances d’enfants, même si elles ne les ont pas cotisés.” Or, avec le décalage de l’âge légal de départ en retraite de 62 à 64 ans, “lorsque ces femmes – à peu près un tiers des femmes partent pile à 62 ans avec tous leurs trimestres validés aujourd’hui – là, quand elles vont arriver à 64 ans, elles auront cotisé 2 ans de plus, et leurs trimestres accordés pour enfants ne leur serviront plus à rien ou leur serviront dans une moindre mesure.”
Des inégalités en amont
Mathilde Guergoat-Larivière considère que “certes les trajectoires de carrière des femmes se rapprochent progressivement de celles des hommes, mais la réforme a tendance à freiner cette évolution (…) Les inégalités à la retraite des hommes et des femmes sont liées à celles qui se sont produites avant. On a pas de recette miracle pour corriger toutes ces inégalités, simplement, il y a des dispositifs qui les réduisent un peu, et il serait préférable de ne pas y toucher tant que les inégalités n’ont pas été résorbées en amont. Il y a quand même beaucoup de marge de manœuvre. Là encore cela reflète des choix politiques.”
“Sur la question des salaires par exemple, ajoute Hélène Périvier, il y a eu des améliorations ; les inégalités de salaire se sont réduites ces trente dernières années. Aujourd’hui le problème c’est que l’on est à un stade – à peu près 25% d’écart de salaire – qui stagne. Ce qui explique cet écart de salaire, c’est d’abord le temps de travail. Les femmes sont beaucoup plus souvent à temps partiel que les hommes – 30% des femmes travaillent à temps partiel contre 6 à 7% des hommes – cela explique à peu près 40% de cet écart de salaire. On parle souvent de temps partiel pour raison familiale, mais il est en partie contraint…Cet écart de salaire s’explique aussi par la ségrégation de l’emploi, et une petite part que l’on explique pas, qui est de la discrimination pure. La division sexuée des rôles est encore très importante dans notre société. L’effort demeure insuffisant. Il faut que l’on arrive à trouver des politiques publiques qui permettent de corriger cela.”
Les femmes s’auto-censurent-elles dans le monde du travail ?
“Je n’aime pas du tout le terme d’auto-censure. Je pense que l’une des raisons pour lesquelles des catégories – en l’occurrence des femmes – ne se portent pas candidates à des postes mieux rémunérés ou des filières sélectives, c’est aussi parce que ces environnements ne sont pas toujours très accueillants. Il faut d’abord réfléchir de ce point de vue là, estime Hélène Périvier. C’est une solution collective qu’il faut prendre en compte, parce que l’auto-censure sous-entend que les individus n’ont pas assez confiance en eux, mais il y a très clairement une dimension sociale derrière cela. On est identifié quand on est une femme à partir de biais de genre et de stéréotypes . Je voudrais signaler une étude de l’OFCE que l’on vient de publier, sur les entrées à l’ENA. À toute étape du processus, ce sont plutôt les femmes, de milieux populaires en particulier, qui vont s’éliminer. (…) Il y a des phénomènes très importants issus de la structure sociale.”