Le camp de Gurs, antichambre de l’extermination où furent envoyés une grande partie des raflés du Périgord, en couverture du livre édité chez Fanlac. © Crédit photo : Archives Mémorial de la Shoah/Cimade
Par Hervé Chassain – h.chassain@sudouest.fr
Publié le 11/02/2023 à 10h05
Mis à jour le 11/02/2023 à 14h34 Bernard Reviriego décrit, dans un livre très documenté, les rafles des juifs en Dordogne en février 1943 et leur organisation méthodique
Il y a 80 ans, les 23, 24 et 27 février 1943, 75 Juifs étrangers, réfugiés dans le département de la Dordogne, étaient arrêtés et rassemblés au gymnase Secrestat de Périgueux, avant d’être envoyés en déportation. À ceux-là, furent ajoutées 44 personnes ayant résidé en Périgord, arrêtées au cours des mois précédents et déjà internées dans des camps de la région.
Ces grandes rafles étaient presque tombées dans l’oubli. Mais grâce au travail de fond de Bernard Reviriego, ancien conservateur aux archives départementales de la Dordogne, la mémoire revient. Le nouveau livre qu’il vient de publier aux Éditions Fanlac (1) après vingt ans de recherches, détaille cette histoire.
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Le gouvernement de Vichy s’était engagé à livrer 2 000 Juifs aux nazis, en guise représailles à la suite de l’exécution par des résistants de deux officiers allemands à Paris le 13 février. La Dordogne devait participer à hauteur de 90 otages. L’administration de l’époque s’est basée sur les recensements obligatoires des israélites (6 065 dont 2 265 étrangers en 1941) pour dresser des listes d’hommes de 18 à 65 ans. Étaient normalement exemptés « ceux qui avaient rendu des services civils ou militaires à la France ». Pour prévoir large, 256 noms ont été retenus.
Grâce aux documents d’époque, on découvre la mécanique administrative pour organiser cette terrible opération
Arrestations à l’aube
Grâce aux documents d’époque, on découvre la mécanique administrative pour organiser cette terrible opération, jusqu’à son coût, 32 889,50 francs, pour dédommager les propriétaires de véhicules réquisitionnés, louer un gymnase et livrer des repas. « Je suis allé d’étonnement en étonnement, » avoue Bernard Reviriego qui a dépouillé les archives. On y lit la froideur de cette organisation face à « l’inhumaine réalité des arrestations, à l’aube et en catimini, afin de prévenir toute résistance », note l’historien. La préfecture coordonne et les gendarmes exécutent sur le terrain.
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Les rapports de gendarmerie éclairent sur les comportements des différentes brigades. Il y a les zélés, qui opèrent dès 4 heures du matin et font des recherches jusque dans les hôtels pour ne rater personne. Il y a ceux qui passent la veille en repérage et qui ne trouvent personne le lendemain. Certains font du chiffre alors que d’autres gendarmes, comme ceux de Terrasson-Lavilledieu, n’ont pas de chance, leurs cibles ayant été prévenues. Il y a des résistants parmi les gendarmes, dont le chef d’escadron Clech, déporté en juillet 1943 : la caserne de Périgueux porte son nom. Dans l’administration, certains fonctionnaires s’arrangent pour faire fuiter les préparatifs de rafles. Une lumière, allumée le soir au troisième étage de la préfecture de Périgueux, est alors un signal connu.
Une enquête policière
Dans la préface du livre, Serge Klarsfeld, l’historien incontournable de la déportation des Juifs, explique que ce travail mené à l’échelle d’un département « n’est pas de la micro-histoire, mais tout simplement de l’histoire ». Bernard Reviriego, connu pour sa rigueur, a mené une enquête quasi policière pour identifier les victimes en retrouvant les familles : « Pour certains, il n’y a plus personnes, tous ont disparu »… L’orthographe des noms d’origine étrangère a souvent été malmenée dans les rapports officiels, compliquant les choses. « Ce travail de mémoire ne sera jamais achevé », soupire-t-il.
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Les 75 raflés de Secrestat ont été envoyés dans des camps de regroupements comme ceux de Gurs, près d’Oloron-Sainte-Marie dans les Pyrénées, ou Nexon, près de Limoges (87). Ces otages, ainsi que les 44 déjà internés, ont fini dans les chambres à gaz ou les chantiers d’extermination à Sobibor, Maïdanek ou Auschwitz. Tous, sauf un qui a réussi à s’évader durant un transfert.
À travers les biographies de toutes les victimes, parfois avec une photo, l’auteur rappelle qui étaient ces hommes raflés en Dordogne et que l’on n’a pas vu mourir ici. Les stèles et les commémorations alimentent le devoir de mémoire. Il y eut environ 2 000 déportés durant la guerre en Dordogne et plus de 1 000 fusillés. On ne peut plus les oublier.
« Juifs réfugiés en Dordogne, les rafles de février 1943 » par Bernard Reviriego (Fanlac). Prix : 22 euros. L’auteur doit aussi donner une conférence à la médiathèque de Périgueux mercredi 22 février.
Secrestat
À l’ancienne salle des Enfants de la Dordogne, rue du Gymnase à Périgueux, lieu d’internement lors des rafles de 1943, il a fallu attendre 2005 (après la sortie du premier livre de Bernard Reviriego) pour qu’une première plaque soit posée à l’extérieur rappelant ces événements. Une autre a été installée en 2015 à l’intérieur, avec tous les noms des personnes arrêtées. Des cérémonies commémoratives y sont désormais organisées tous les ans.