Par Guilhem Herbert
Publié le 07/02/2023 à 15h18
Mis à jour le 07/02/2023 à 17h53
Depuis 2015, Djamila Zahir, habitante de Biscarrosse dans les Landes, est en plein imbroglio administratif. Une erreur de saisie bloque sa demande de renouvellement de carte d’identité
Imaginez un peu : alors que vous vous êtes toujours pensé Français, on vous explique, malgré votre carte d’identité française, que « vous pensiez l’être mais vous ne l’avez, en fait, jamais été ». C’est l’histoire de Djamila Zahir. Pour comprendre la situation de cette mère de famille installée à Biscarrosse, il faut se plonger dans des méandres administratifs et bien retenir son souffle.
Née en 1971 à Bastia de parents marocains, elle pensait être devenue française à sa majorité. Or, selon l’article 44 du code de la nationalité française en vigueur à l’époque, « tout étranger né en France de parents étrangers peut acquérir la nationalité française à condition qu’il en manifeste la volonté ». Il aurait donc fallu qu’elle effectue une démarche. Pourtant, en 1990, la sous-préfecture de Dax lui délivre une Carte nationale d’identité (CNI). Qui aurait pu prédire les déboires de Djamila Zahir ?
En 2015, elle se présente à la mairie de Biscarrosse, pour demander une CNI pour sa famille et renouveler la sienne, éditée en 1990 et donc périmée. L’agent en charge du dossier se trompe et coche dans les deux cas la case « première demande ». Djamila Zahir se rappelle : « C’est à partir de là que tout s’est enclenché. »
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Des documents impossibles à trouver
Pour sa « première » demande, l’administration lui réclame un Certificat de nationalité française (CNF). Une démarche relativement simple, qu’elle effectue en envoyant un dossier complet. En retour, il lui est demandé de prouver sa présence ininterrompue sur le sol français de ses 13 à 18 ans. Ce qu’elle ne peut pas faire : mariée contre son gré à 17 ans, elle vit alors sous l’emprise de son mari et n’a aucun document attestant de sa présence en France pour les années 1988 et 1989… Son ex-mari aurait bien pu l’aider fournissant une attestation d’hébergement mais refuse de le faire.
Accompagnée dans ses démarches par un agent de la mairie de Biscarrosse, elle échange avec le tribunal judiciaire (TJ) de Mont-de-Marsan, pour obtenir son CNF. Ce dernier lui propose de fournir d’autres pièces justificatives comme son inscription à la CAF, à la CPAM ou un suivi médical de sa grossesse. Djamila Zahir tente tout mais « la CAF et la CPAM ne conservent aucune archive et mon gynécologue pendant la grossesse est à la retraite et tous les dossiers ont été détruits » explique-t-elle. Laëtitia Chanuc, directrice de greffe du TJ, a compris. « Nous avons essayé d’être arrangeants, mais sans les pièces justificatives nous ne pouvons rien faire. » Djamila Zahir est dans un no man’s land administratif. Pour Karim Kenoudi, directeur de cabinet à Biscarrosse, « c’est une histoire de procédure, elle ne coche pas toutes les cases de l’administration et ça coince ».
« Transparente, invisible »
Sans papiers d’identité, certaines choses basiques de la vie deviennent beaucoup plus difficiles. En 2021, elle ouvre un nouveau compte bancaire grâce à un conseiller compréhensif qui lui demande de fournir sa pièce d’identité « dès que possible ». Mais début janvier, ce même agent l’appelle et la prévient que ce compte risque d’être fermé à tout moment. « Ça me rend malade, deux jours après l’appel, j’ai fait un malaise au travail et j’ai fini à l’hôpital », raconte la quinquagénaire, employée au collège de Biscarrosse comme agent polyvalent.
En mai prochain, son CDD au collège se terminera et l’entreprise landaise Fox Ten Logistique, basée à Sanguinet, souhaiterait l’embaucher. Mais là encore, sans papier d’identité, impossible d’établir le contrat de travail. La spirale infernale continue. « Je suis transparente, invisible, je n’ai pas d’identité », déplore-t-elle.
Dernière démarche en date, la demande de naturalisation par « possession d’État ». L’article 21-13 du code civil précise : « Peuvent réclamer la nationalité française, les personnes qui ont joui, d’une façon constante, de la possession d’état de Français, pendant les dix années précédant leur déclaration ». Initiée en novembre dernier, cette demande peut prendre jusqu’à un an pour aboutir, sans certitude de l’obtenir.
La préfecture, de son côté, la renvoie vers une demande de titre de séjour, réservée… aux étrangers. Ce qu’elle refuse catégoriquement : « C’est inadmissible, je suis Française, un point c’est tout ! » Au mur, chez Djamila Zahir, est affichée une citation de Mère Teresa : « Il n’y a pas de clé pour le bonheur, la porte est toujours ouverte ». Dans son cas, la clé du bonheur réside pourtant bel et bien dans une carte d’identité.