Série · En 2015, Moussa (prénom d’emprunt) s’apprête à entrer au lycée lorsqu’il rencontre un homme qui lui propose un job en attendant la reprise des cours. Il ne se doute pas qu’il finira de l’autre côté de la frontière, au Mali, dans une base djihadiste, et qu’il lui faudra ruser pour s’en échapper. Kalidou Sy > 26 janvier 2023
Ouahigouya, nord-ouest du Burkina Faso. La quatrième plus grande ville du pays est l’ancienne capitale du royaume mossi de la province du Yatenga. C’est dans cette ville que m’a donné rendez-vous Moussa (prénom d’emprunt), devant le portail d’une de ses nombreuses églises. Nous sommes un dimanche matin de janvier. Un jour de messe. À mon arrivée, alors que je l’attends, je suis accueilli par trois militaires armés de kalachnikovs postés devant le lieu de culte. Il faut dire que depuis la montée en puissance des groupes djihadistes plusieurs églises ont été attaquées. Or Ouahigouya est située à une cinquantaine de kilomètres seulement de la frontière malienne.
Vingt minutes plus tard, alors que les regards des militaires deviennent de plus en plus insistants, mon contact arrive. Il me salue au loin d’un geste de la main. Voilà les militaires rassurés. Nous partons pour un lieu plus discret : une petite salle de classe. En ce dimanche matin, Moussa est venu réviser. Le jeune homme de 24 ans passe son bac cette année. « Je suis né à Kongoussi, explique-t-il. J’y ai grandi jusqu’à mon entrée en 6e. Ensuite, je suis venu faire mon collège ici, à Ouahigouya, chez mon oncle. À l’école, j’étais plutôt un bon élève. En dehors des cours, j’aidais mon père qui est jardinier. En 2015, j’ai eu mon BEPC [Brevet d’études du premier cycle]. »
Cette année-là, alors qu’il s’apprête à rentrer au lycée, Moussa croise pendant les vacances un homme qui a une panne. « Son pneu était crevé. Je me suis arrêté pour lui apporter mon aide. On s’est mis à discuter. Je lui ai dit que je cherchais un boulot [pour les vacances]. Il m’a dit que ce n’était pas un problème. On s’est échangé nos numéros de téléphone. À la suite de ça, on s’appelait souvent pour causer, boire un verre… » Un jour, cet homme lui parle d’un travail sans donner plus de détails. « Il m’a juste précisé que c’était vers Koro, une ville du Mali. Sur le coup j’ai dit : “OK, il n’y a pas de problème.” Il m’a dit de le prévenir quand je serais prêt. J’ai expliqué à mon oncle que j’avais trouvé un boulot au Mali. Il a posé une condition : que je revienne à la rentrée afin de poursuivre mes études. Je lui ai promis de revenir et il m’a donné sa permission. »
« C’est quel genre de travail ? »
Une fois obtenu l’accord de son père, Moussa informe son contact. L’homme vient le chercher à moto, direction le Mali. « Nous avons passé une nuit chez lui. Puis deux nuits. Puis trois. » Le doute commence à s’installer dans l’esprit de Moussa. « À un moment, je me suis posé des questions sur ce fameux travail. Je lui ai demandé quand je commencerai. » Le lendemain, les deux amis de circonstance prennent enfin la route. « Plus on avançait, plus on rentrait dans la brousse. Je lui ai demandé : “C’est quel genre de travail ?” Il m’a dit de ne pas m’inquiéter… »
Après deux heures de route, les voilà enfin arrivés. « C’était dans une brousse. Et là, je vois des gens armés. Je lui demande s’ils sont de la police. Il me dit que c’est ici le travail. Moi je vois des centaines de gens enturbannés avec des armes et des motos. Sur le coup j’ai vraiment eu peur. » C’est alors que le chef du groupe armé demande à Moussa de s’approcher. « Il me dit : soit je reste et je travaille pour eux, soit je décide de partir et ils me tuent. » Le voilà pris au piège. Selon Moussa, ces hommes parlaient français. L’étudiant explique au chef la raison de sa venue. « J’ai vraiment pris mon courage à deux mains pour lui parler. Le ton que j’ai employé ne lui a pas plu. Il a été très direct avec moi. Il m’a demandé si j’avais déjà entendu parler de terrorisme. Et lui disait qu’ils étaient des rebelles. J’étais choqué. »
Moussa n’arrive plus à parler. Il est bloqué par la peur. Il sait qu’il risque se faire tuer à tout moment. « Je lui ai donc donné mon accord. Pour qu’il se calme mais surtout pour ne pas qu’il me tue », explique-t-il. Les « rebelles » lui ont ensuite confisqué son portable. Dès lors, Moussa n’a qu’une obsession : fuir. « Je n’avais même pas commencé à travailler que je pensais déjà aux futurs stratagèmes pour m’échapper de ce camp. »
« Certains priaient, d’autres non »
Moussa se retrouve avec une trentaine de jeunes, dont certains sont des mineurs. Il se lie d’amitié avec un jeune de son âge originaire de la ville de Koro. Il est placé sous la responsabilité d’un homme chargé des entraînements. « On avait des kalachnikovs et des pistolets automatiques. On s’entraînait à tirer toute la journée. On tirait à l’arme sur des cibles factices », assure-t-il.
Selon Moussa, le soir venu, l’ambiance au camp était plutôt détendue. « Ils nous donnaient à manger puis c’était quartier libre : on s’asseyait, on causait, on préparait le thé, on lavait les chaussures. » Selon lui, les règles religieuses étaient assez souples. « Certains priaient, d’autres non. Ceux qui ne priaient pas n’étaient pas montrés du doigt. On était libres sur la question de la prière. Moi je priais. Mon ami également. »
Les jours passaient, les entraînements devenaient plus intenses, Moussa commençait à perdre espoir. Mais un jour, il a été choisi pour partir en ville afin de ravitailler le camp en nourriture. « On était dans un pick-up. Les chefs devant et nous derrière. Ils avaient des pistolets automatiques. Arrivés sur place, ils sont descendus et nous sommes restés dans la voiture. C’est là que j’ai compris qu’ils avaient des complices en ville qui leur rendaient service. » Il sait que cette occasion ne se représentera peut-être plus. Malgré la peur, il décide de passer à l’action : « J’ai eu l’idée de descendre de la voiture et de me cacher. Un moment, un des leurs est sorti pour vérifier si j’étais toujours là. J’ai fait un signe de la main [il mime, NDLA] pour les rassurer. C’est à ce moment que j’ai pris la fuite. Mon ami est resté, lui. »
Moussa marche sur plus de trois kilomètres. Fatigué, il entre dans une boutique. « J’ai salué le vendeur et je lui ai demandé si je pouvais me reposer. Il m’a dit qu’il n’y voyait pas d’inconvénient. Il m’a donné de l’eau et s’est assis à côté de moi. » Malgré la crainte d’être dénoncé, le jeune homme lui raconte son histoire. « Je lui ai demandé s’il pouvait me cacher pendant quelques jours. Sa réaction a été sans appel. Il voulait me jeter dehors. Je l’ai supplié à maintes reprises. » Le boutiquier finit par accepter. « Je me suis caché jusqu’à la fermeture. Ensuite, il m’a hébergé chez lui durant trois jours. Et il m’a payé le transport pour rentrer chez moi. »
« Si je le dis, ils peuvent me bannir »
Moussa n’avait rien sur lui, hormis sa carte d’identité. « Je suis parti tôt le matin. J’ai fait du stop. J’ai marché une semaine avant d’arriver à Ouahigouya. Je dormais dans la brousse. La faim allait me tuer. J’avais perdu espoir. Je me suis servi de l’argent initialement destiné au transport pour manger. Je marchais jusqu’à la tombée de la nuit et je dormais où la nuit me trouvait. J’ai marché jusqu’à ne plus sentir mes pieds », raconte-t-il les yeux humides.
Le 28 juillet au matin, il arrive enfin à Ouahigouya. « Je n’oublierais jamais cette date. » Après avoir franchi le barrage policier tant bien que mal – « un homme qui s’est fait contrôler juste devant moi et qui avait vu que j’étais stressé a dit aux policiers que nous étions ensemble ; ce jour-là, il m’a sauvé » –, il arrive enfin dans son quartier. « Je ne suis pas rentré directement chez moi, je suis allé chez un ami. Si j’étais rentré directement, cela aurait été suspect auprès de mes parents que je sois déjà de retour, seulement deux semaines après être parti. Encore aujourd’hui ils ne savent pas que j’ai été là-bas. Si je leur dis, ils peuvent me rejeter et me bannir. »
Moussa est donc rentré chez son oncle sans rien lui raconter. Il s’est inscrit au lycée pour prendre un nouveau départ. « J’essaye d’oublier cet épisode et de refaire ma vie. J’ai des flashs, je fais des cauchemars », confesse-t-il.
S’il faut tirer un aspect positif de cette mésaventure, c’est l’électrochoc que cela a provoqué chez Moussa. « Maintenant, lorsque j’entends des gens discuter du terrorisme, j’interviens dans la conversation en leur disant qu’il n’y a rien de bon dedans, explique-t-il. Certains disent que les jeunes rejoignent ces groupes parce qu’ils n’ont pas de travail. Il y a même un homme qui m’a dit qu’ils recrutaient en promettant de l’argent. Je peux vous garantir qu’ils ne nous donnent pas d’argent. Aujourd’hui, mon rôle est d’empêcher les jeunes de tomber dans ce piège. Là-bas c’est simple, on ne te laisse pas le choix : tu tues ou on te tue. »
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Kalidou Sy a été correspondant pour France 24 au Burkina Faso et au Niger entre 2016 et 2022. Il a également collaboré avec… (suite)