Salut l’artiste !
Il n’y avait que la Camarde pour le faire taire.
C’est fait.
Le cœurs sont tristes, mais pas question de rallier le cercle des pleureuses. Au risque d’insulter sa mémoire et l’entendre s’étrangler de rire du haut de son petit nuage.
Roger Louret fut un personnage attachant au cent visages. Un enfant de Coulx (Lot-et-Garonne) façonné aux rudes mœurs de la paysannerie des coteaux monclarais. Un « fada » capable des pires facéties héritées d’une imagination féconde. Un saltimbanque de génie, révélateur de talents, auteur, interprète, metteur en scène. Une véritable bibliothèque éclectique, touchant à tous les domaines, des plus classiques aux créations les plus imprévisibles. Et, plus que tout, sans doute, ce Molière des temps modernes qui trimballa sa troupe «les Baladins en Agenais » et leurs tréteaux des fossés de Montastruc aux contreforts pyrénéens. Ils furent ainsi des milliers à gouter dans les coins les plus reculés d’Occitanie le talent de l’ancien élève de Simone Turc du théâtre toulousain Daniel Sorano. A découvrir les textes de Molière, Marivaux, Cocteau et tant d’autres en des lieux investis de silence.
Monclar (Lot-et-Garonne) et son Théâtre de Poche devinrent ainsi au fil des années le phare rural de cette culture enracinée dans la glaise. Le monde à l’envers. Michel Déon, Jean Marais, Annie Girardot dans les rues de la petite bastide de 800 âmes. Paris qui débarque à Monclar. Et Monclar qui triomphe à Paris. Nom de Dieu quelle aventure. Salut l’artiste !
Joël Combres
Nous vous proposons ci dessous le portrait de Roger Louret publié par Martine Salmon-Dalas dans Ancrage
Roger Louret le fils de paysan qui devint baladin
Si vous avez déjà été voir un one-man-show de Pierre Palmade, de Guy Bedos ou d’Elie Semoun entre 2002 et 2007 ou si vous avez assisté à des spectacles musicaux comme Les années twist ou La fièvre des années 80, sans doute ignorez-vous que c’est un Lot-et-Garonnais, Roger Louret, qui a mis en scène ou réalisé ces représentations et a donc ainsi très largement contribué à leur succès. Il est d’ailleurs à l’origine de la création et de la diffusion de bien d’autres manifestations théâtrales ou musicales.
Roger Louret est né, le 20 mai 1950, au lieu-dit Lamérique dans la commune de Coulx, à quelques 20 kilomètres au nord-ouest de Villeneuve-sur-Lot. Ses parents, paysans atypiques anars et fous de culture, s’installèrent ensuite à Monclar, village voisin, pour éviter la faillite. Sa mère, Huguette Pommier, après avoir pendant des années fait des ménages pour faire vivre sa famille, rachèta le café du village. Roger lui, passionné de danse, musique et théâtre et un temps tenté par des études de médecine, opta pour le conservatoire d’art dramatique de Toulouse où il obtint le premier prix d’interprétation. Puis Il gagna la capitale pour suivre les cours de Raymond Girard. Mais toujours attaché à sa région d’origine, à l’été 1973, il décida de monter avec quelques comédiens Tchekhov à Monclar dans le café maternel et dans les fossés de l’ancien château de Montastruc. Deux ans plus tard, avec Nicolas Marié et Marianne Valéry il fondait la troupe de théâtre les Baladins en Agenais qu’il installa définitivement à Monclar dans le bistrot de sa mère et mit sur pied une salle de 60 places, le Théâtre de poche baptisé théâtre Huguette-Pommier en l’honneur de sa mère. Il sera pendant quarante ans auteur, acteur, metteur en scène et directeur artistique de cette compagnie qui, au fin fond de la campagne, va servir de laboratoire théâtral, découvrir ou accueillir plus d’un millier d’artistes et rayonner dans le sud-ouest et dans toute la France. C’est à Monclar que furent montées plus de cent vingt pièces, certaines de classiques (Molière, Goldoni, Corneille, Marivaux, Labiche…), d’autres de contemporains (Pirandello, Aurélie Viel ou Michel Déon) sans oublier les oeuvres de Roger Louret lui-même. Les locaux ne furent pas oubliés : ‘en 1980 Roger Louret monta avec la néracaise Annie Grégorio, Galla ou Le jour de congé d’après l’ ouvrage d’Inès Cagnati, née elle aussi à Monclar. La pièce fut jouée par les Baladins pour la première fois au théâtre Ducournau d’Agen.
En outre, il inventa et organisa pour la première fois ,le 21 décembre 1985, La Nuit du théâtre qui attira quelques 5000 spectateurs à Monclar, village de quelques 900 habitants : pendant seize heures plus de 40 pièces furent jouées par quelques 28 acteurs. En 1987, puis 1989 les nuits se succédèrent avec un public de plus en plus nombreux : pour la troisième édition les acteurs jouèrent partout dans la rue, dans l’église, dans la cave du maire et même dans la caserne des pompiers et quelques 20 000 entrées furent enregistrées.
Roger Louret se lança également très vite dans l’écriture de spectacles musicaux. Il en écrivit et mit en scène plus de quarante : deux furent nommés aux Molières , La java des mémoires en 1993 et La fièvre des années 80 en 1999 tandis que Les années twist recevaient le Molière du meilleur spectacle musical en 1995 et triomphaient dans la capitale. Parallèlement, de 1995 à 2000, il conçut, tous les mois, les séquences musicales de l’émission Les années tubes sur TF1, ce qui accrut encore la popularité nationale de sa troupe qui devint un théâtre missionné par l’Etat en milieu rural.
Diriger le Théâtre de poche de Monclar, assurer les mises en scène des nombreuses pièces au répertoire des Baladins, monter des spectacles musicaux à Monclar puis dans la capitale ne suffit pas à ce boulimique de la culture populaire. Il mit en scène les one-men-shows de divers artistes connus ou débutants qu’il contribua ainsi à faire connaitre. Ce fut le cas de Muriel Robin qui fit partie des Baladins pendant trois ans et pour laquelle il conçut quatre spectacles de 1988 à 2005. Mais il fut également le metteur en scène des seul en scène de Mimie Matthy, de Pierre Palmade, d’Elie Semoun ou encore Guy Bedos qui, au départ, ne voulait pas entendre parler de metteur en scène pour ses one man shows.
Dans les premières années du 21e siècles, Roger Louret et son frère Guy connurent de graves difficultés financières : il leur fallut vendre le Théâtre Huguette-Pommier, puis le louer pour continuer à créer pièces de théâtres et spectacles musicaux à Monclar. La compagnie fut un temps arrêtée avant de renaître sous le nom des Nouveaux Baladins en 2004 et d’organiser les Nuits de Monclar de 2009 à 2014 . Mais, l’année suivante, au bord de la faillite et sans aide des pouvoirs publics, la troupe fut définitivement dissoute.
Cela ne mit nullement un terme à l’énergie et à la créativité de Roger Louret. Malgré la perte de son lieu fétiche et de ses racines, il se remit à écrire, produire, jouer dans le sud-ouest et au-delà. Ainsi en 2018 il remonta sur scène comme comédien à Monclar avec une pièce qu’il a écrite, La Morfle, avant de partir en tournée en Gironde et en Dordogne. En 2019 il présenta à Pont-du-Casse un spectacle de chansons Voyage des années 80 à nos jours et, deux ans plus tard, à la demande des Chevaliers du fiel il fit son retour à Toulouse avec Femmes des années 70 et 80 et tout récemment Couleurs de Provence de Vincent Scotto à nos jours, spectacles musicaux qui connurent un grand succès.
Dans le futur, on ne peut que souhaiter que Roger Louret écrive et mette en scène l’histoire si particulière et riche des Baladins en Agenais qu’il a créés et fait vivre pendant quarante ans.
Martine Salmon-Dalas
Enfin, voici à propos des balladins en agenais un magazine de la télé régionale France 3 Aquitaine tourné en 1976 par Jean-Pierre Dinand et Robert Carmet