Provenant du podcastEntendez-vous l’éco ?
https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/entendez-vous-l-eco/crimes-ecologiques-l-heure-des-comptes-a-sonne-3975150?at_medium=newsletter&at_campaign=culture_quoti_edito&at_chaine=france_culture&at_date=2023-01-17&at_position=1
Quelles sont les chances de succès de voir appliquer le droit de l’environnement par la voie du procès ?
Avec
- Mathilde Hautereau-Boutonnet Professeure de droit à Aix-Marseille Université
- Aline Robert Journaliste à L’Informé, spécialiste de l’environnement
Le vent semble tourner pour toutes les multinationales qui ne respecteraient pas leur engagement ou qui vont à l’encontre dans leurs activités de la limitation du réchauffement climatique. Marées noires, pollution de l’air et des sols… les multinationales doivent de plus en plus faire face à des procès souvent intentés par des ONG et les tribunaux semblent de leur côté avoir un nouveau rôle à jouer dans la protection du domaine environnemental.
Quand le droit s’attaque aux multinationales et défend la nature
A l’heure où les problématiques environnementales se constatent et se discutent à l’échelle mondiale, l’application du droit de l’environnement se joue devant diverses juridictions et essaye de s’imposer comme régulateur des pratiques polluantes des multinationales, longtemps ignorées. En France, le devoir de vigilance est imposé par la loi aux multinationales depuis 2017, il est de plus en plus utilisé par les associations pour attaquer en justice de grands groupes, Mathilde Hautereau-Boutonnet ajoute “on a un certain nombre de groupes français qui se retrouvent devant le juge, tels que Total, Casino, Danone, Perenco…tout l’intérêt de ce devoir de vigilance c’est qu’il est extraterritorial. On demande aux sociétés mères qui ont leur en France de veiller à leurs activités, non pas seulement sur le sol français, mais sur les sols étrangers. Et c’est là que cela devient intéressant, puisque finalement ces activités ont été profitables du point de vue de la mondialisation pendant des années, à la France et aux citoyens qui sont sur les sols des sociétés mères et là elles doivent davantage rendre des comptes et veiller aux effets néfastes de leurs activités“. Aline Robert complète “il y a plusieurs affaires qui concernent Total aujourd’hui au tribunal, par exemple une qui a été intentée contre Total pour inaction climatique par plusieurs ONG et des collectivités locales, dont Nanterre où Total a son siège social ; il y en a une autre pour pratique commerciale trompeuse par rapport à des objectifs climatiques que Total s’était fixé. Dans ces deux affaires on a le même objectif que quand le juge demande à Shell de réduire ses émissions de CO2 de façon plus sérieuse, mais je ne sais pas dans quelle mesure les juges français vont pouvoir instruire ces affaires et s’inspirer de ce qui s’est passé ailleurs, ils s’appuient sur un corpus juridique différent“.
Des inégalités dans la bataille juridique : quand le droit est du côté des multinationales
Si les jurisprudences et les lois permettent de plus en plus de condamner les comportements climaticides et polluants des multinationales, ces dernières ont les moyens de contrattaquer et cela passe par différentes stratégies, notamment le fait d’intimider ces opposants, Aline Robert explique “c’est un des enjeux, notamment dans les pays qui ne sont pas dans l’Union européenne et où les droits humains ne sont pas aussi bien protégés que chez nous. On a de vrais soucis car les témoins potentiels n’osent même pas se manifester, manifester leur identité parce qu’ils ont peur des représailles sur place, notamment dans certains pays d’Afrique. On a certes notre droit à nous, mais qui se confronte au fait que les droits de l’homme ne sont pas aussi bien respectés partout dans le monde”. Cela peut aussi passer par des procès dits bâillons, des procès qui visent à faire le silence autour de ces affaires, et ces procès sont souvent gagnés par les organisations incriminées, mais cela exige beaucoup d’engagements financiers et humains, Mathilde Hautureau-Boutonnet ajoute “c’est effectivement ce qu’on appelle les procédures bâillons. L’idée étant qu’on contrattaque par le biais d’un autre procès, par exemple par le biais de la diffamation, ces opposants. Heureusement dans certains pays, comme au Québec ou au Canada, il y a des lois qui limitent ce type de procédure dites bâillons“.
Pour aller plus loin
- Mathilde Hautereau-Boutonnet : Le Code civil, un code pour l’environnement (Dalloz, 2021)
- Aline Robert : Carbone connexion (Max Milo, 2012)
- Cécile Renouard : Ethique et entreprise (Editions de l’Atelier, 2015)
- Valérie Cabanes : Un nouveau droit pour la Terre. Pour en finir avec l’écocide (Points, 2021)
Références sonores
- Extrait du journal de 20h du 6 février 2015 sur l’effondrement du Rana Plaza
- Archive du Journal de 20h de France 2 le 15 janvier 2000 sur le naufrage de l’Erika
- Extrait du film Erin Brockovich, seule contre tous, réalisé par Steven Soderbergh en 2000
- Archive ORTF pollution du 13 mai 1973
Références musicales
- Un bateau mais demain, par Anne Sylvestre
- Panapticom, par Peter Gabriel