Taym et Charlotte Canat signent un récit autobiographique à quatre mains. © Crédit photo : Guillaume Bonnaud/”Sud Ouest”
Par Séverine Guillemet – s.guillemet@sudouest.fr
Publié le 20/12/2022 à 17h37
Mis à jour le 20/12/2022 à 18h24
Dans « Taym, une odyssée syrienne » et avec les mots de Charlotte Canat, un jeune Bordelais raconte sa fuite d’Alep en guerre à 11 ans, son périple de plusieurs années et son rêve d’un avenir meilleur
Tout quitter et tout recommencer. Istanbul, 2015. Taym est un jeune exilé de 15 ans. Voilà quatre ans déjà qu’il a fui sa ville de naissance, Alep, dévastée par une guerre civile, pour Reyhanlı, à la frontière turco-syrienne. Après plusieurs emplois à tout faire dans des clubs de football, un travail qu’il qualifie « d’esclave », il vient de tout quitter. Il a pris le bus pour la grande métropole avec 10 euros en poche.
Taym à Athènes avant son départ pour la Macédoine.
Collection personnelle Taym
En 2015, le réseau social Facebook lui permet de renouer avec ses amis syriens exilés dans des pays européens. « Je vis des photos de belles maisons blanches, de grands jardins, d’écoles aux toits solides. France, Allemagne, Belgique, Angleterre, Pays-Bas, Finlande, tous mes amis y avaient été accueillis. » Cette année-là, malgré les difficultés financières et familiales, Taym pense à l’avenir et à reprendre ses études. Il s’accorde ce qu’il appelle un « droit de vie ». Un an, plus tard, il atterrira à l’aéroport de Bordeaux, la France ayant accepté sa demande de relocalisation dans le cadre d’un programme européen pour les réfugiés. Il y vit toujours et a choisi de raconter son exil.
Janvier 2016. Il travaille quinze heures par jour dans une usine textile d’Istanbul. Le flot d’injures ne faiblit pas. « Les Syriens, vous n’êtes que des bêtes, sales et malodorantes. Des rats, des voleurs. Des minables. Dégage ! » Mais il tient bon. Il engrange en cinq mois 3 000 euros. Le prix de son billet pour l’Europe. Ils partiront finalement à trois, avec son père et sa sœur.
Ce nouveau départ commence sur les rives d’Izmir. Cinq mois plus tôt, Aylan, un Syrien de 3 ans, avait été retrouvé mort sur une plage touristique de Bodrum, plus au sud. L’image de son corps échoué avait alerté le monde entier sur la tragédie qui se tenait en mer Méditerranée.
Camion frigorifique
Taym et une quarantaine de familles syriennes et kurdes, eux, viennent d’être débarqués d’un camion blanc frigorifique à viande. « Du bétail en transhumance. » À leurs pieds, sur le sable, ils trouvent un bateau de vinyle à gonfler. « Là-bas, j’ai traversé la mort, nous étions 60 sur une embarcation de 10 places. » En janvier 2016, l’Organisation mondiale des migrations a enregistré plus de 45 000 entrées d’exilés en Grèce, 31 fois plus qu’en début d’année 2015 et constaté la mort de 45 migrants sur ce seul mois. 1 961 migrants sont portés disparus en Méditerranée en 2022 pour presque 200 000 tentatives de traversées.
Je voulais croire que j’allais vivre encore, vivre assez longtemps pour témoigner »
À Izmir, le pneumatique prend vite l’eau. En pleine nuit, sans qu’aucune des côtes turque et grecque ne soit visible, il s’arrête, à court de carburant. Pris de ce qu’il décrit comme « une étrange lubie », l’adolescent mitraille tout le monde de photos, se surprend à sourire. « Je voulais croire que j’allais vivre encore, vivre assez longtemps pour témoigner. » Cette conviction l’anime depuis son départ de Syrie, il avait 11 ans.
Taym sur la mer Méditerranée entre Izmir et la Grèce sur un bateau pneumatique.
Collection personnelle de Taym
Le petit bateau en perdition fait silence quand le patrouilleur turc approche. « Nous préférions tous la mort à un retour en Turquie. » Finalement, des pêcheurs grecs alertent la police hellène. Au terme d’une nuit d’enfer, ils débarquent à Mytilène, dans l’île de Lesbos, comme 4 000 réfugiés syriens et irakiens ce jour-là. Ce sera la première vision de l’Europe de Taym. « De la pierre blanche, une eau turquoise, un vent doux, un phare au loin. »
De la rage et des larmes
Débarquée à Athènes avec 200 euros, la famille repart aussitôt à pied, direction la Macédoine et un possible avenir en Allemagne. Dans le sillage de milliers d’exilés, ils s’engagent dans une longue marche dont ils ne connaissent pas le chemin, avec pour tout bagage un Caddie et des couvertures. Ils sont forcés à l’arrêt à la frontière entre la Serbie et la Hongrie. Face à eux, en pleine campagne, des barbelés et un camp de 10 000 réfugiés. Sept ans après, il existe toujours.
De cette période, Taym garde de la rage et des larmes. Il s’est fait voler la tente qui devait abriter sa famille, ses papiers, ses relevés de notes, plusieurs clés USB. Dans la grande file d’attente pour le pain quotidien, il se sent condamné. Pourtant, une association grecque, Praksis, leur propose d’intégrer un nouveau programme européen de relocalisation de réfugiés. « Je n’y ai pas cru du tout. » Chance ou arnaque, son père, lui, accepte, ses enfants suivent. Il choisit l’Allemagne, la France, le Luxembourg, la Suède et les Pays-Bas.
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Bordeaux, « belle et lumineuse »
En attendant, direction Athènes, et un peu de répit dans un appartement loué face à la mer. C’est, pour Taym, un premier amour et de nombreuses parties de football, un break pour un ado en suradaptation permanente. « Je dormis vingt-quatre heures d’affilée. Mon père prit des douches toutes les deux heures. Il enlevait la crasse du camp de réfugiés. La crasse de son passé aussi peut-être. » Car le père reprend son travail de sape sur ses enfants. Cette accalmie temporaire n’a rien effacé de ses années de brutalité et de violences en Syrie.
Lors de son arrivée à Athènes, après avoir été débarqué sur l’île de Lesbos.
Collection personnelle de Taym
Au bout de sept mois, la France accepte leur demande de relocalisation. « Moi, j’avais tout misé sur l’Allemagne, j’avais commencé à apprendre la langue. » C’est donc « par hasard » que le jeune homme arrive à Bordeaux, avec le statut de réfugié auprès de l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides. Il découvre une ville, « belle et lumineuse, avec des croix d’église à la place des minarets ». Sa famille s’installe dans un grand appartement au Centre d’accueil de demandeurs d’asile. D’autres années noires suivront.
Aujourd’hui, Taym a 22 ans et c’est accompagné de Charlotte Canat qui travaille au Réseau des acteurs de l’histoire et de la mémoire de l’immigration qu’il a écrit son « odyssée », pour « témoigner, me libérer, j’avais envie de tout dire, j’y pense depuis que j’ai fui la Syrie ». Il l’avait rencontrée à l’occasion de la sortie du précédent ouvrage de cette spécialiste en droit des étrangers « Syriens en regards » avec le photographe Ken Wong-Youk-Hong. « J’avais besoin d’un traducteur, Taym était là. Lui aussi avait besoin de raconter son histoire. Nous nous y sommes attelés pendant trois ans. Il a beaucoup de force, une envie d’avenir meilleur. La plupart sortent cassés d’un tel exil. »
En ce moment, Taym travaille en CDI dans un laboratoire de prothèses dentaires après avoir obtenu le diplôme. Il compte reprendre ses études, devenir dentiste. Son dossier de naturalisation est prêt. Il vit en colocation avec son père et économise pour vivre seul. Sa sœur a été internée dans un hôpital psychiatrique.
« Taym, une odyssée syrienne », de Charlotte Canat et Taym, ed. Elytis, 17,90 euros, 144 p.
Le livre
Dans « Taym, une odyssée syrienne », Charlotte Canat brosse le parcours d’un jeune Syrien installé à Bordeaux. Son enfance de chaos et de violence intrafamiliale, les études comme bouée de sauvetage, sa fuite d’Alep en 2011 au début de la guerre en Syrie, début d’une véritable odyssée, de la Méditerranée à la frontière hongroise. C’est un grand récit de vie haletant et sans concession. Au bout, il y a une renaissance, des personnes-ressources et des rêves d’avenir meilleur.
« Taym, une odyssée syrienne »
Elytis éditions
La bio express
2000 Naissance à Alep en Syrie.
2009 Premier travail dans un bar à jus de fruits.
2011 Début de la guerre en Syrie, décès de sa grand-mère, exil de sa tante.
2012 Exil en Turquie, chez sa tante, à ReyhanlI. Emploi de travaux et d’entretien dans un club de football.
2014 Second emploi cumulé dans un autre club de football de ReyhanlI.
2015 Départ pour Istanbul. Emploi de ménage puis dans une usine textile.
2016 Départ d’Izmir pour la Grèce. Trajet pour rejoindre la côte en camion frigorifique puis traversée en bateau pneumatique à 60 dans un Zodiac pour 10 personnes. Un bateau de la police grecque les secourt. Débarquement de 4 000 réfugiés syriens et irakiens à Mytilène sur l’île de Lesbos. Reconduction à Athènes. Départ immédiat à pied pour la Macédoine avec l’objectif d’aller en Allemagne, avant d’être stoppé à la frontière serbo-hongroise. Perte des papiers, départ à Athènes dans le cadre d’un programme de relocalisation européen des réfugiés avec l’association grecque Praksis. Départ pour Bordeaux, installation au Centre d’accueil pour demandeurs d’asile (Cada) de Bordeaux.
2017 Inscription au lycée Kastler de Talence.
2018 Garde à vue de deux jours au commissariat de Bordeaux suite à des accusations de violence par sa sœur. Premier stage chez un prothésiste dentaire. Inscription au lycée Toulouse-Lautrec de Bordeaux.
2019 Obtention d’un logement social à Mérignac. Convocation par le juge pour enfants.
2021 Diplôme de prothésiste dentaire. Arrêt des études, premier CDI.