Nous reproduisons ci dessous le texte publié par Claire Mestre sur la page FB d’Ethnotopies. Claire Mestre sera l’invitée de l’émission du 21 décembre du Guide du Bordeaux colonial sur le clé des ondes (90.1) pour parler du travail indispensable que son association réalise auprès des précaires, des femmes, des migrants. Autre invité de cette émission, Christophe Lagabrielle, psychiatre, animateur de l’EMPP, l”équipe mobile psychiatrie précarité qui prend “soin ” aussi des gens de la rue. JFM
“Nous avons appris la disparition de l’école des femmes de l’association Mana, située dans le quartier du Lac à Bordeaux. Cette action faisait partie d’un ensemble d’actions construit il y a plus de 20 ans : une consultation transculturelle attelée au CHU de Bordeaux, une équipe d’interprètes en milieu social et médical, et l’école des femmes, dans un quartier populaire de Bordeaux, destinée à proposer des actions de prévention et de soutien aux femmes, migrantes particulièrement. Un réseau dense,des médiations en langue arabe et turque, des pratiques de prévention pour les enfants de la crèche, des ateliers artistiques, tout une foison de pratiques et d’évènements eurent lieu dans cette école…
Il aura fallu 4 ans pour le grand groupe, leader en entreprenariat social, pour écraser toutes les actions de feue l’association Mana. En 2018, l’association Mana, alors en pleine expansion, saine sur le plan financier acceptait d’être absorbée… un discours séducteur et trompeur, faussement conciliant nous avait décidé à prendre cette lourde décision. Je m’en suis déjà expliqué plusieurs fois.
Nous avons compris rapidement que le rouleau compresseur d’un grand groupe ne convenait pas à nos actions construites sur mesure grâce à une très bonne connaissance du terrain et de la clinique transculturelle et grâce à la créativité de son CA et de ses salariées. Nous redoutions l’affaiblissement d’actions normées par un management brutal et vertical, le risque d’un défaut de médiation avec la politique migratoire de l’Etat pouvant ainsi relayer de l’inhospitalité et de la méfiance, la maltraitance des salariés déjà soumis à une forme d’impuissance face à la réalité migratoire, la perte d’une liberté de pensées critiques. L’association Mana a disparu et cependant…
Les actions de l’équipe ont survécu : avec la création d’Ethnotopies (les lieux des autres) nous avons repris notre capacité du care et de la création. La consultation transculturelle fonctionne grâce à une convention avec le CHU de Bordeaux (montage mixte hospitalier et associatif) agencée à des ateliers de médiation culturelle et artistique. Le groupe d’interprètes a créé sa propre association Imédi, fort d’une compétence et d’une expérience importantes. Nous avons ouvert de nouvelles causeries avec des femmes : les Bate papo en lien avec une autre association et notre besace d’idées est pleine !
Ces nouveaux investissements se font certes au prix de contraintes : la recherche de financements, l’organisation et le travail dans des conditions peu confortables avec des publics menacés par une rhétorique du ministère de l’intérieur qui entraîne la peur, la précarité et l’exclusion, la stigmatisation. Cependant la venue d’adhérents et de bénévoles, des liens solidaires avec d’autres associations donnent du sens à notre engagement et permettent de retrouver un pouvoir d’action et de contestation. Ainsi nous avons retrouvé notre Mana, cette force qui s’élève de notre groupe motivé et engagé.
Mana, ce vieux terme étudié par Mauss en anthropologie, la force cachée des choses, pensé comme le “signifiant vide” par Levi Strauss, nous l’avons réinvesti pour le diffuser dans les soins, la prévention, le plaidoyer, la pratique artistique. Cette force qui donne un style, un « je ne sais quoi de plus », il faut savoir la manier. Abandonnée à la violence d’un pouvoir lointain et quasi abstrait, pouvant se montrer arrogant et intimidant, elle ne peut survivre.
Alors, l’association Mana est morte… Vive le mana !”