Et vous, vous allez regarder les matchs de la Coupe du monde qui débute ce dimanche 20 novembre au Qatar, ou vous allez les boycotter ? En Europe, la question se pose à chaque fan de football. Les partisans du boycott avancent que cette Coupe du monde est, plus que toutes les précédentes, une aberration écologique autant qu’un scandale humanitaire. C’est une réalité – et elle devrait à elle seule suffire à révolter les supporters. Si l’on ignore le nombre exact de travailleurs étrangers morts au Qatar pour que cet événement planétaire puisse se tenir, on sait qu’il dépasse l’entendement : dans une enquête publiée en février 2021, The Guardian avançait le chiffre de 6 500 travailleurs étrangers morts depuis que la Coupe du monde a été attribué à l’émirat. Face à ces arguments imparables, Doha (qui ne reconnaît que 37 morts dans le cadre de la construction des stades) crie au « Qatar bashing » et certains observateurs, en France, évoquent une forme de racisme anti-arabe. Une défense qui n’est pas complètement infondée, comme le rappelle Sarra Grira dans Orient XXI aujourd’hui.
En Afrique, le débat est bien moins sensible. Pourtant, le continent est doublement concerné par ce scandale. D’abord parce que parmi les étrangers morts au Qatar ces dernières années, on compte de nombreux Africains. Certes, la plupart des victimes sont originaires du continent asiatique. Mais le journaliste Quentin Müller, auteur d’une enquête remarquée sur les coulisses du Mondial (Les Esclaves de l’homme pétrole, publié chez Marchialy), et qui a publié sur Afrique XXI en janvier dernier un reportage sur les travailleurs est-africains partis dans le Golfe, rappelle que la plupart des agents de sécurité de la Coupe du monde sont des Kényans ou des Ougandais, et que s’ils ont trouvé un travail qui leur permet de faire vivre la famille restée au pays, certains y subissent des conditions de vie inhumaines.
La deuxième raison est plus ancienne. On a tendance à l’oublier, mais les responsables du football africain, à commencer par le premier d’entre eux à l’époque, le Camerounais Issa Hayatou, ont joué un rôle majeur dans l’attribution de la Coupe du monde au Qatar en 2010. Celui qui était alors l’inamovible patron de la Confédération africaine de football (CAF) a pesé de tout son poids pour aider le Qatar à obtenir « sa » Coupe du monde. Il avait notamment permis à l’émirat de « sponsoriser » le congrès de la CAF qui s’était tenu à Luanda en janvier 2010 (à hauteur de 1,25 million d’euros). Une générosité loin d’être gratuite : en échange, les Qataris avaient été les seuls à pouvoir présenter leur projet pour la Coupe du monde, quelques mois avant son attribution, et alors que les voix africaines étaient, de par leur nombre, décisives.
Dans la capitale angolaise, Phaedra Almajid, chargée de la communication au sein de l’équipe de campagne du Qatar, a affirmé plus tard (et à plusieurs reprises) avoir assisté à des scènes peu ordinaires : trois responsables du football africain entrant, l’un après l’autre, dans une suite occupée par le président du comité, Cheikh Mohamed, et négociant avec lui leur voix contre des « dons ». Cet épisode illustre la corruption du monde du football professionnel. La Coupe du monde qui s’ouvre ce dimanche n’est probablement pas la première à avoir été achetée. Et les responsables africains ne sont pas les seuls à en avoir profité. Mais cela ne doit pas nous empêcher de le dénoncer.