«<small class="fine d-inline"> </small>Convaincus de porter une cause juste, les élus Verts sont offensifs<small class="fine d-inline"> </small>»
Pierre Hurmic, maire de Bordeaux, en 2020. – © Mehdi Fedouache / AFP

Depuis leur élection, les maires Verts ont pris de la bouteille. Sans pour autant se départir de leurs «réflexes d’opposants», qui peuvent crisper, dit Aurélien Martinez, auteur du livre «Quand les Verts arrivent en ville».

Aurélien Martinez, journaliste qui a vécu dans deux villes passées sous administration écolo (Annecy et Grenoble), est allé à la rencontre des nouveaux élus Verts confrontés à l’exercice du pouvoir et à ses réalités. Il en a tiré un livre enquête, Quand les Verts arrivent en ville (paru en mai 2022 aux éditions Bouquins).




Reporterre — Le 28 juin 2020, les Verts remportaient de nombreuses villes. Deux ans après, comment ces élus ont-ils marqué leur territoire? Quelle est la marque de fabrique des municipalités écolos?

Aurélien Martinez — Malgré leur diversité, le trait commun à toutes les équipes municipales vertes, c’est qu’elles s’intéressent à changer leur ville de manière écologique avec trois axes : la végétalisation, le logement et les transports. Il s’agit donc de rendre les cités bétonnées plus vertes, en plantant des arbres notamment, de limiter l’étalement urbain – Bordeaux a ainsi développé tout un programme pour encadrer la promotion privée, ils assument de ne plus donner de permis de construire aussi facilement qu’avant – et de développer les mobilités «actives», c’est-à-dire autres qu’automobiles. La marque de fabrique des élus écolos, c’est aussi la volonté d’une démocratie participative (avec de grosses limites de ce côté-là).

Pour le moment, les élus Verts n’ont pas pris de «grandes mesures», ils ne sont pas adeptes des grands projets urbains, mais avancent plutôt par des petits projets. Quelques arbres ici, des pistes cyclables là… Il n’y a donc pas de chambardement évident, à part des mesures visuelles, faites aussi pour envoyer des signaux aux électeurs : devant la mairie de Bordeaux, des dalles ont notamment été dessoudées pour planter des arbres; à Tours, on a fermé un des principaux ponts sur la Loire. Les “vrais” changements, on les verra selon eux au bout du mandat, voire de plusieurs mandats!



Une des difficultés rencontrées par les municipalités écolos, c’est d’être des nouveaux venus, peu rompus à l’exercice du pouvoir. Ce renouveau est en même temps ce qui a séduit nombre de citoyens. Comment les élus surmontent-ils cet obstacle?

Toutes les listes vertes ne s’attendaient pas à gagner; un proche de Pierre Hurmic m’a même confié que le maire de Bordeaux n’avait pas prévu de discours de victoire au soir du 28 juin! Beaucoup d’équipes se sont donc retrouvées à devoir gouverner sans y être vraiment préparées.

Il y avait pourtant parmi eux plusieurs politiques aguerris – Pierre Hurmic, Anne Vignot (Besançon), Jeanne Barseghian (Strasbourg) pour citer certains de ceux qui avaient déjà siégé dans un conseil municipal. Mais les Verts comptaient aussi des novices, des militants associatifs comme Fabien Bagnon, activiste du vélo à Lyon devenu vice-président aux mobilités actives de la métropole. Les opposants leur ont ainsi beaucoup reproché leur dogmatisme, en disant : faire du militantisme et diriger une ville, ce n’est pas la même chose. De fait, comme les nouveaux élus sont convaincus de porter une cause juste, ils sont souvent offensifs et peu ouverts au compromis. Récemment, Fabien Bagnon a ainsi braqué nombre d’élus et de citoyens en lançant son idée de pistes cyclables non genrées.



On a beaucoup parlé des municipalités vertes à l’occasion de décisions controversées – le sapin de Noël (à Bordeaux), le Tour de France (à Lyon), les subventions aux aéroclubs (à Poitiers). Que montrent ces polémiques?

Je pense que les élus n’avaient pas conscience de la portée de leurs propos. C’est l’inexpérience qui parle. Au début de leur mandat, les édiles écolos étaient en plus sous le feu des projecteurs; leur moindre déclaration était scrutée. Le focus médiatique est beaucoup moins important aujourd’hui. Et depuis, ils ont pris de la bouteille.



Beaucoup d’élus écolos entendent «faire de la politique autrement». Concrètement, ça veut dire quoi?

Pour les équipes écolos, il s’agit de ne plus faire de la politique de manière verticale, avec un maire qui dicte seul les décisions. Ils veulent tout questionner avec les citoyens, les amener dans la machine politique. Sauf que cette démocratie participative reste très compliquée à mettre en place. On en est aux balbutiements, comme on le voit dans plusieurs villes. À Grenoble, le bilan est controversé : des outils simples ont été mis en place – comme le budget participatif – mais il y a eu de gros ratés. Le dispositif souhaité par la mairie, le droit d’interpellation [1], a été retoqué par la préfecture, car inconstitutionnel. Besançon a organisé une grande convention citoyenne à propos d’un projet d’urbanisation controversée, le quartier des Vaîtes, pour finalement… aboutir à un statu quo. À Lyon, la création d’une ligne de transport par câble a été soumise à un dispositif participatif… avant que les élus n’abandonnent le projet, devant la levée de boucliers de certains habitants. Tout ceci donne une impression d’esbroufe. Une autoroute à vélo, à Grenoble, ville dirigée par Éric Piolle. ©Moran Kerinec/Reporterre



Quels sont les rapports des élus Verts avec les oppositions?

Avant 2020, dans les grandes villes, les Verts étaient souvent opposants, à part à Montreuil entre 2008 et 2014 et à Grenoble depuis 2014, ou des partenaires de second plan des majorités de gauche. Ils ont donc des réflexes d’opposants, qu’ils ont gardé une fois aux commandes. Dans la pratique du pouvoir, ils ne semblent pas chercher l’adhésion des autres groupes politiques, en essayant de les convaincre. Persuadés qu’ils ont raison, ils sont plutôt à critiquer le bilan de leurs prédécesseurs, ce qui peut crisper. Arriver en conseil municipal à Bordeaux en disant que Juppé a mené une politique non écologique, c’est l’assurance de tensions! Ceci dit, leurs opposants le leur rendent bien.



Beaucoup d’équipes écolos sont en fait des alliances entre plusieurs partis – avec des socialistes, des insoumis, des communistes. Comment travaillent ces majorités plurielles?

Dans la plupart des villes, ça se passe bien, l’urgence écologique soude les équipes. Beaucoup d’élus Verts ont d’ailleurs poussé pour la Nupes [Nouvelle Union populaire écologique et sociale], en expliquant que c’est ce qu’ils avaient fait dans leurs villes.

À Besançon et à Annecy en revanche, c’est beaucoup plus compliqué. À Besançon, les Verts ne sont pas majoritaires au sein de leur propre majorité, ils doivent composer avec une alliance large, trop hétéroclite. À Annecy, la liste des Verts a fait alliance avec une dissidente macroniste – qui s’est révélé être le mariage de la carpe et du lapin.



Vous expliquez dans votre livre que les nouveaux élus semblent avancer à tâtons sur des sujets comme l’économie, la culture, la sécurité ou la laïcité.

Les Verts ont un corpus idéologique assez fort, mais ils ont laissé certains sujets de côté. Dans leurs programmes notamment, ils ne portaient pas de grands discours sur la culture – mis à part le street art et la culture amateure – ou l’économie… Même si sur ce sujet, la maire de Poitiers, Léonore Moncond’huy a fait du soutien à l’économie locale l’un des piliers de sa politique.

Sur la sécurité, beaucoup de leurs adversaires pointent un certain angélisme, un certain déni des réalités. Et sur la laïcité, la plupart des élus Verts sont mal à l’aise, tiraillés. Ils voudraient promouvoir une laïcité inclusive, tout en apparaissant en républicains responsables. Cette ligne de crête n’est pas évidente. Et il n’y a pas de consensus au sein même des équipes, comme on l’a vu à Grenoble au moment des débats sur le burkini dans les piscines municipales. La première adjointe, Élisa Martin, ne partageait pas le point de vue d’Éric Piolle. Grégory Doucet, maire de Lyon, lors de sa victoire. © Moran Kerinec/Reporterre



Les villes écolos sont-elles le laboratoire d’une future politique de gauche, à mener à l’échelle nationale?

La force des Verts réside aujourd’hui dans les territoires. Leurs équipes municipales administrent près de deux millions de personnes [2]. Il pourrait s’y créer des modèles politiques. Mais il faut pour cela que ces maires travaillent ensemble, ce qui n’est pas encore le cas. Il faudrait aussi que le parti écolo prenne les sujets «qui fâchent» – comme la sécurité, l’économie, la laïcité – à bras-le-corps, et qu’il développe un projet qui s’adresse à tous. Et pas seulement, pour caricaturer, aux bobos de centre-ville – qui sont le cœur de l’électorat vert, comme on l’a encore vu lors des dernières élections.

Des figures politiques émergent aussi de ce terreau municipal : Grégory Doucet, le militant convaincu qu’il faut changer les choses par la politique, et Léonore Moncond’huy, avec un parcours politique déjà construit, idéologiquement très solide. Ces deux-là auront à mon avis un rôle à jouer dans la reconstruction du parti écolo dans les années à venir.

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