La Cour nationale du droit d’asile a récemment accordé le statut de réfugié à un jeune exilé du Darfour qui avait été ciblé, l’été dernier, par un communiqué de la préfecture du Calvados. Une publication « illégale », tranchent les juges. Retour sur un « dérapage ».
4 juillet 2022 à 11h02
Maintenant qu’il a obtenu son statut de réfugié, Idriss* se sent libre de dénoncer ce qu’il a subi. Et ce Soudanais en a gros sur le cœur, s’agissant du préfet. « Il a parlé de moi sans connaître ma vie, les problèmes au Darfour, et tout ce que j’ai enduré en Libye et à Malte pour venir jusqu’ici », confie-t-il. La préfecture, en effet, a beaucoup trop « parlé » de lui, dans un communiqué de presse que la justice a récemment qualifié de « publicité illégale », d’après des informations obtenues par Mediapart.
L’affaire commence en juillet dernier. Parti du Darfour en 2014 et torturé en Libye, arrivé en France via Malte et l’Italie, Idriss dort alors sous une tente à Ouistreham (Calvados), d’où démarrent des navires pour l’Angleterre. Après une tentative d’infiltration dans un camion et une altercation avec le chauffeur, ce Soudanais de 22 ans écope de six mois de prison avec sursis et se retrouve enfermé en centre de rétention administrative (CRA), en vue d’un retour forcé au Soudan.
Un groupe de migrants soudanais près du terminal des ferries de Ouistreham en décembre 2018. © Photo Artur Widak / NurPhoto via AFP
Il dépose une demande d’asile. Mais les associations et collectifs qui se mobilisent pour lui ont le malheur d’énerver le préfet : la réplique tombe sous la forme d’un communiqué de presse d’un genre tout à fait inhabituel, diffusé sur les réseaux sociaux.
La préfecture y désigne nommément le Soudanais, sous son identité complète, et dévoile plusieurs éléments sur sa situation en France, dont sa requête déposée à l’Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides, chargé d’accorder ou non l’asile en France), aggravant ainsi les menaces pesant sur la vie d’Idriss s’il devait être renvoyé au Soudan. Une faute.
Un communiqué illégal
Dans une décision datée de mars dernier, les juges de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) ont non seulement donné tort à l’Ofpra (qui avait rejeté la demande d’Idriss après cet « épisode ») et accordé le statut de réfugié au jeune Soudanais, mais ils ont tancé la préfecture du Calvados.
« Certains éléments de la demande d’asile […]sont restés accessibles sur Internet et sur les réseaux sociaux pendant plusieurs semaines, regrettent les juges. Cette publicité illégale de la demande d’asile est de nature à accroître encore les risques de l’intéressé en cas de retour dans son pays d’origine. »
« C’est un rappel que les préfets ne peuvent pas publier n’importe quoi, gronde l’avocat du jeune homme, qui avait dû se tourner vers le tribunal administratif pour faire retirer les publications. Avec ce communiqué, le préfet a mis encore davantage Idriss en danger. »
Ce n’est qu’à la mi-avril, après toutes ces batailles de procédure, qu’Idriss a reçu son récépissé de titre de séjour. Le Graal. « C’est que du bonheur, exulte Cécile, du collectif Citoyen/ne/s Ouistreham, qui l’avait soutenu l’été dernier. On a vraiment cru qu’il allait devoir repartir. Ç’a été une lutte. »
Idriss, cependant, dort toujours sous une tente dans le camp d’exilés soudanais du petit bois de Ouistreham, un espace investi après le démantèlement de la jungle de Calais, en 2016. « On est en train de faire les démarches auprès de la CAF [Caisse d’allocations familiales] pour qu’il puisse se loger », explique Nina, du même collectif.
« Je voudrais apprendre le français et travailler dès que possible », confie aujourd’hui Idriss, qui aimerait, sur le long terme, aider les exilé·es de la guerre du Darfour.
Contactée, la préfecture du Calvados, elle, n’a pas souhaité répondre à nos questions. Philippe Court, le préfet en poste au moment de la publication du communiqué, a été nommé en avril dernier, au même poste, dans le Val-d’Oise.
* Le prénom a été modifié. Nous avons sollicité par mail à plusieurs reprises Philippe Court, le préfet en poste au moment de la publication du communiqué mis en cause, sans réponse.