Pour éteindre la révolte contre le rétablissement de l’esclavage dans les Antilles, Napoléon a déporté environ 1200 hommes, femmes et enfants dans son île d’origine. La plupart d’entre eux seront soumis à des travaux forcés.

Tessa Grauman • Publié le 2 juillet 2022 à 12h12

Document daté de 1804. • ©Tessa Grauman

“Nous avons une lettre assez émouvante d’un homme de couleur déporté”… Dans une salle des archives départementales du sud de la Corse, Richard Ravalet, le chef du service des archives du sud de la Corse, sort de leurs boîtes en carton des courriers écrits par des Guadeloupéens et des Haïtiens déportés en Corse entre 1802 et 1814.

Ces documents, issus des archives civiles et militaires, font partie des rares éléments qui attestent de la présence de ces Antillais dans l’île de la Méditerranée au début du XIXᵉ siècle.

Étouffer la révolte aux Antilles

En 1802, Napoléon veut rétablir l’esclavage en Guadeloupe et à Haïti. C’est dans ce contexte qu’il fera déporter près de 1200 anciens esclaves, soupçonnés d’être opposés à son projet, dans son île natale. Des femmes et des enfants feront aussi partie du voyage, ainsi que des militaires noirs ou métisses de l’armée française, et même deux députés de la République.

“Comme ils étaient de gens de couleurs, ils étaient suspectés de soutenir la révolte, et c’est seulement sur le bateau qu’on leur a dit qu’ils étaient déportés” Jean-Yves Coppolani, professeur émérite de droit à l’université de Corse

Les bateaux qui transportent les déportés passent par Brest et Toulon, avant de mettre le cap sur la Corse. Les déportés antillais, mis aux fers pendant la traversée, y sont débarqués. Certains sont laissés libres, d’autres placés dans des familles pour travailler la terre. Mais beaucoup, logés dans des conditions insalubres, sont soumis à des travaux forcés. Ils assèchent les marais, construisent des routes, pour des salaires trois à quatre fois inférieurs à celui des autres personnes affectées à ces travaux. Ceux qui ne meurent pas tout de suite sont envoyés dans un hôpital au centre de l’île, dans la ville de Corte.

Interdit aux Blancs de soigner les Noirs

“Dans cet hôpital, il était interdit aux Blancs de soigner les Noirs. Or, parmi les Noirs, il n’y avait pas de médecins”, raconte Jean-Yves Coppolani, qui a commencé à s’intéresser à cette histoire méconnue de la Corse lorsqu’il était professeur de droit à l’université des Antilles, dans les années 1980, et que l’on s’apprêtait à célébrer le bicentenaire de la révolution française.Jean-Yves Coppolani

Jean-Yves Coppolani, professeur émérite de droit à l’université de Corse. • ©Tessa Grauman


La déportation des Antillais va durer jusqu’en 1814. Beaucoup d’entre eux mourront très vite de maladie, quelques-uns réussiront à s’enfuir (des documents attestent de la fuite de trois Haïtiens en Sardaigne), d’autres s’engageront dans l’armée, et certains réussiront à retourner à Haïti lorsque la Restauration reconnut l’indépendance de l’État noir. Mais en réalité, peu de documents permettent de connaître dans le détail le sort de tous ces déplacés.

Un monument à la mémoire des déportés

Aujourd’hui, il ne reste aucune trace du passage de ces anciens esclaves en Corse. Pourtant, ils ont contribué à la modernisation des infrastructures de l’île, comme la construction de la route qui va d’Ajaccio à Corte, et le cours Napoléon, qui traverse la ville d’Ajaccio.

À Corte, l’hôpital où les Antillais malades étaient emmenés a été détruit. À sa place se trouve un parking où l’on pourrait imagine installer, un jour, une plaque à leur mémoire. Ancien emplacement de l’hôpital où étaient emmenés les Antillais. • ©Emmanuel Morel


“Ça serait une idée”, lâche Jean-Yves Coppolani. “Le maire de Corte est mon médecin, et je pourrais peut-être lui en parler”.

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