Oliver Varhelyi, commissaire européen et fidèle du président hongrois Viktor Orban, voulait soumettre le versement de 224 millions d’euros à une révision des manuels scolaires en Palestine, régulièrement mis en cause par les groupes de pression israéliens.
Mardi 14 juin, le premier ministre palestinien Mohammed Shtayyeh affichait un large sourire en accueillant à Ramallah la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. Les Vingt-Sept venaient de parvenir à débloquer les 224,8 millions d’euros d’aide européenne à la Palestine, gelés depuis des mois dans un imbroglio politique et institutionnel. Tous les pays membres ont voté pour ce déblocage, à l’exception de la Hongrie. Son commissaire, Oliver Varhelyi, proche du premier ministre nationaliste Viktor Orban, est celui qui bloquait ce financement. Contre l’avis des autres Etats membres, il demandait que l’aide européenne soit conditionnée à un remaniement des manuels scolaires palestiniens, régulièrement accusés par Israël d’inciter à la violence. Il a été débouté : les financements seront versés et ils ne sont assortis d’aucune condition. « Toutes les difficultés sont derrière nous, a assuré Mme Von der Leyen,à Ramallah. L’Union européenne continue d’être le plus gros donateur en Palestine. »
Pour l’économie palestinienne sous perfusion internationale, ce blocage, qui s’ajoute à l’assèchement des aides arabes et américaine, a des conséquences directes. Ces derniers mois, 120 000 familles pauvres ne recevaient plus leur allocation trimestrielle, les fonctionnaires palestiniens ont vu leurs salaires amputés de 20 % et les hôpitaux de Jérusalem-Est tournaient au ralenti, contraints de refuser certains patients malades du cancer, faute de fonds.
L’aide aurait dû être programmée depuis début 2021, mais à l’époque, l’assistance extérieure de l’Union européenne (UE) est suspendue pour des raisons techniques. Le problème une fois résolu, le commissaire Varhelyi fait obstacle au versement des fonds, exigeant de les conditionner à la modification des manuels scolaires. Pour appuyer sa demande, il brandit le rapport de l’Institut allemand Georg Eckert, commandé par la Commission européenne et remis fin 2020, sur le sujet. L’étude a pourtant conclu que les livres scolaires palestiniens respectaient globalement les standards de l’Unesco ; elle a trouvé deux exemples de contenus jugés antisémites, qui ont été modifiés ou supprimés depuis.
Bataille idéologique
Malgré l’opposition de la majorité des pays européens, « il a fallu six mois et quatre votes différents au sein du Conseil, c’est-à-dire les Etats membres, avant que la Commission finisse par enlever cette condition sur les manuels scolaires », détaille Martin Konecny, du cabinet d’analyses bruxellois EuMEP. Selon lui, face à la bataille idéologique menée par le commissaire hongrois, « la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, aurait dû intervenir plus tôt ». Mardi, M. Varhelyi a affirmé sur Twitter que la Commission allait « financer une seconde étude sur les manuels scolaires palestiniens », sans confirmation officielle.
« Cela montre à quel point l’Union européenne est faible, remarque Tariq Dana, chercheur palestinien d’Al-Shabaka (réseau palestinien de politique stratégique). Plutôt que de satisfaire les demandes israéliennes en faisant pression sur les Palestiniens pour changer les manuels scolaires, l’UE devrait faire pression sur Israël pour qu’il cesse, par exemple, la destruction de structures construites avec l’aide financière de l’UE. »
Si des groupes de pression israéliens font régulièrement campagne contre les manuels scolaires palestiniens, il semble que cette fois, la Hongrie, chantre de l’ « illibéralisme » qui vante son alliance avec Israël, ait pris l’initiative seule.Résultat : « La question des manuels scolaires a éclipsé tout le reste sur Israël et la Palestine l’an dernier au sein des institutions européennes », note Martin Konecny.
Clothilde Mraffko Jérusalem, correspondance