Publié: 5 janvier 2022, 12:22 CET
- Philippe Marchesin Enseignant-chercheur en science politique, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Déclaration d’intérêts
Philippe Marchesin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
Depuis qu’elle existe, l’aide publique au développement (APD) française est caractérisée par deux dimensions : la solidarité (avec les pays récipiendaires) et l’intérêt (que la France elle-même trouve à son action). Les faits montrent que le plateau de la balance penche résolument vers la partie « intérêt » de ce diptyque. Or, tous les grands textes consacrés à l’aide, dont l’un des meilleurs exemples est la loi sur le développement solidaire et la lutte contre les inégalités mondiales promulguée le 4 août 2021, affirment que le premier objectif de cette politique publique est l’éradication de la pauvreté, ce qui devrait donc se traduire par une action résolument tournée vers la solidarité…
Cette contradiction traverse l’APD depuis qu’elle existe, à tel point qu’il conviendrait mieux de la qualifier de « solidarité intéressée ». Dès 1961, le général de Gaulle, volontiers présenté comme le « père de la coopération », déclare :
« Tous les pays sous-développés qui hier dépendaient de nous et qui sont aujourd’hui nos amis préférés demandent notre aide et notre concours. Mais cette aide et ce concours, pourquoi les donnerions-nous si cela n’en vaut pas la peine ? »
Soixante ans plus tard, les sénateurs Hugues Saury (LR) et Rachid Temal (PS) constatent, de manière quelque peu désabusée, que « seule une part très minoritaire de l’APD française, à savoir 18 % de l’aide pays programmable en 2018, bénéficie aux pays les moins avancés ». De fait, les données relatives à l’aide montrent que celle-ci a tendance à se diriger, depuis plusieurs années, vers les plus riches des pays en développement.
À l’heure de la fin du quinquennat d’Emmanuel Macron, quel bilan dresser en matière d’aide ? Si l’actuel président a pu sembler, a priori, se démarquer de ses prédécesseurs, il chemine en réalité en grande partie dans leurs pas.
Des annonces encourageantes
Emmanuel Macron expose sa vision de l’Afrique et de l’aide au développement lors du discours fondateur prononcé le 28 novembre 2017 à Ouagadougou. Le discours d’Emmanuel Macron à Ouagadougou, le 28 novembre 2017.
Au sujet de l’APD, il déclare que la France sera « à la hauteur ». Outre la réitération de la promesse d’une augmentation conséquente de l’aide, qui doit passer à la fin de son mandat à 0,55 % du revenu national brut, soit 14,6 milliards d’euros contre 9,7 milliards d’euros en 2017, il rappelle à plusieurs reprises la nécessité que cet argent aille « sur le terrain » et soit adressé à « ceux qui en ont le plus besoin ».
Concernant plus précisément la région du Sahel, aux prises avec de nombreux défis, le président français revient sur la création quelques mois plus tôt, en juillet 2017, de l’Alliance pour le Sahel et souligne la spécificité de cette démarche dans la mesure où il s’agit pour la France d’« agréger l’aide multilatérale, l’aide d’autres puissances européennes pour être plus efficace ».
Enfin, il insiste sur sa volonté de s’adresser avant tout à la jeunesse africaine et précise qu’à cette fin d’autres l’aideront : « Ce sont les membres du Conseil présidentiel pour l’Afrique. Pour l’Afrique car ils seront un lien permanent avec vous. […] Et présidentiel car votre voix me sera restituée sans filtre, sans intermédiaire, sans concession. »
Ce Conseil, à l’origine fort de huit membres dont la plupart issus de la diaspora africaine, a pour objectif d’apporter au président un éclairage original et non institutionnel sur l’Afrique. Une partie importante de sa mission, outre la formulation de propositions d’action, est de transmettre directement au chef de l’État les perceptions et les attentes des sociétés du continent.
Les bonnes intentions affichées dans la capitale burkinabè sont confirmées les années suivantes. Dans son discours à la Conférence des ambassadeurs de 2018, Emmanuel Macron annonce un milliard d’euros de dons en autorisations d’engagement supplémentaires pour le budget 2019. Mais si l’augmentation des moyens financiers est nécessaire, elle n’est cependant pas suffisante.
Emmanuel Macron souhaite un changement de méthode. Dans le discours à la Conférence des ambassadeurs de 2019, il affirme que la relation avec l’Afrique doit être envisagée dans le cadre d’un « nouveau partenariat. » Il propose de procéder à une « conversion de notre propre action, de la relation avec nos partenaires africains et de nos méthodes. »
Il s’agit plus précisément d’« agir et travailler différemment avec les Africains pour eux-mêmes, penser leur action avec eux et considérer que les actions les plus en pointe sont à faire avec les Africains en Afrique. » Bref, comme plusieurs décideurs de l’aide le préciseront les mois suivants, il ne s’agit plus de faire pour mais avec l’Afrique, ce qui est de bon augure dans l’optique d’une authentique politique de coopération.
À l’épreuve des faits
« Je lui mettrais 18/20 en dissertation mais pas la moyenne en contrôle continu. […] Ses propos sont parfaits, mais son problème est celui de la mise en pratique. »
C’est ainsi que le professeur Bertrand Badie évalue l’action d’Emmanuel Macron au sujet du multilatéralisme ou de l’Europe. Nous pouvons étendre sa remarque à l’aide publique au développement.
Reprenons ses diverses annonces et passons-les au crible de l’action gouvernementale.
S’il est louable de vouloir augmenter l’APD, il convient de dissiper les malentendus. La question de l’aide au développement ne saurait être purement quantitative. Il suffit de noter que l’aide a dépassé les 1 % du PIB dans les années 1960… sans que cela ne se remarque particulièrement en matière de développement.
Plus précisément, accroître des montants qui ne prennent pas la bonne direction risque fort de ne rien changer au problème. L’exemple du milliard en autorisations d’engagement est ici particulièrement révélateur. Pour la France, l’APD est avant tout une question de défense des intérêts nationaux.
Le détail de l’allocation de cette somme tempère quelque peu l’enthousiasme de départ : sur la totalité, l’éducation et la santé ne reçoivent respectivement que 200 et 100 millions. Il reste, qui plus est, à savoir ce qui, dans ces sommes, sera affecté à la francophonie ou aux équipements de prestige en matière de santé, et ce qui restera pour l’éducation de base et la santé primaire, les seules à faire réellement sens en matière de lutte contre la pauvreté.
Mais c’est surtout le calendrier d’utilisation de ce milliard qui pose le plus problème. Alors que la résolution des difficultés des pays les plus pauvres (on pense avant tout au Sahel) requiert l’urgence, les décaissements seront effectués jusqu’en… 2031, avec une moyenne d’une centaine de millions par an, ce qui tempère pour le moins l’effet d’annonce.
La volonté d’être plus proche du terrain et de ceux qui en ont le plus besoin laisse également à désirer. L’exemple de l’Alliance Sahel peut ici être évoqué. Des membres d’ONG travaillant sur place en donnent une appréciation beaucoup plus nuancée, comparant cette structure à une « coquille vide », dans la mesure où les projets estampillés Alliance Sahel existaient déjà.
La remise en cause des bonnes intentions concerne aussi le Conseil présidentiel pour l’Afrique (CPA), dont le rôle, rappelons-le, est de transmettre directement au président les attentes des sociétés du continent, plus particulièrement des jeunes.
La question est de savoir de qui, précisément, les membres du Conseil risquent fort de se faire le relais. Pour répondre à cette interrogation, il convient de s’arrêter sur sa composition, qui fait la part belle au secteur privé, plus précisément au monde de l’entrepreneuriat.
Le chapeau d’un article de Laurence Caramel consacré au CPA publié fin 2018 résume bien la situation :
« Le chef de l’État s’appuie sur ce cercle hétéroclite pour capter les attentes des nouvelles élites économiques et culturelles du continent. »
On peut donc s’interroger sur le fait que le CPA relaie les desiderata des sociétés dans leur pluralité.
Une dernière illustration renvoie au changement de méthode. Affirmer que l’aide se fera désormais non plus pour mais avec l’Afrique semble quelque peu contradictoire avec l’annonce du doublement du nombre d’experts d’ici deux ans décidé lors du premier Conseil présidentiel du développement organisé le 17 décembre 2020. Contrairement au coopérant qui était censé, selon l’étymologie, « travailler avec », l’expert est, par définition, « celui qui a fait ses preuves, celui qui sait », ce qui exprime une relation hiérarchique, par définition inégalitaire.
Par ailleurs, l’observation attentive d’Expertise France (l’agence étatique française de conception et de mise en œuvre de projets internationaux de coopération technique), récemment rattachée à l’Agence française de développement, montre qu’elle s’inscrit avant tout dans le cadre de la diplomatie économique, laquelle est clairement synonyme d’influence de la France.
Au total, alors que le sujet de l’aide publique au développement sera sans doute évoqué lors de la campagne présidentielle par plusieurs candidats, il importera de suivre de près les engagements de celle ou celui qui gagnera l’élection.
Grégory Rayko
Chef de rubrique International