Deux mois et demi après le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les rédactions françaises ont dû adapter leurs dispositifs pour couvrir le conflit sur le temps long.

À quel point ce 24 février 2022 rentrera-t-il dans l’histoire ? » questionne, à l’époque, la journaliste Karine Baste en ouverture du journal de 20h de France 2. La réponse est désormais évidente. Le matin-même, le président russe Vladimir Poutine ordonnait un assaut dévastateur contre l’ensemble du territoire ukrainien, au terme d’un discours inattendu, diffusé à la télévision. Le rapport de force semble si déséquilibré que personne n’imagine les forces militaires ukrainiennes résister très longtemps au géant russe.

« Nous étions persuadés, comme tout le monde, qu’un raid aussi rapide que massif allait mener les troupes russes jusqu’à Kiev », raconte Étienne Leenhardt, journaliste et chef du service enquêtes et reportages de France Télévisions. « Nous pensions assister à une guerre éclair », confirme Grégory Philipps, directeur adjoint de la rédaction de France Culture et présentateur du podcast quotidien « Guerre en Ukraine ».

Dispositif exceptionnel

Alors, les rédactions françaises et internationales se sont mobilisées et ont déployé d’énormes moyens pour couvrir le conflit. « Dès le début, nous avons tenu à être présents des deux côtés de la ligne de front. En Ukraine, nos journalistes ont couvert des endroits aux réalités politiques et économiques très différentes les unes des autres », assure Étienne Leenhardt. Cinq équipes de Radio France sont aussi envoyées sur place. « Ce genre de dispositif, c’est énormément de gens et de dépenses », résume le journaliste de France Télévisions.

Près de deux mois et demi plus tard, l’Ukraine a surpris le monde entier en résistant à l’envahisseur russe. Dans le même temps, les dispositifs temporaires et exceptionnels déployés par les médias français ont dû être pérennisés. « Nous ne l’avions pas prévu. Mais tant que les combats n’auront pas baissé en intensité et tant que nos moyens le permettront, nous continuerons à couvrir cette guerre », promet Etienne Leenhardt.

Garantir la sécurité des journalistes

Pourtant, tenir le récit d’une guerre sur un temps si long relève du casse-tête. Déjà, parce qu’il faut garantir la sécurité des journalistes sur le terrain. À la mi-mai, 12 d’entre eux avaient été tués. Alors, dans certaines zones inaccessibles, les médias utilisent les images qui circulent déjà sur les réseaux sociaux, parfois produites par les forces armées elles-mêmes.

« Il y a évidemment une instrumentalisation de ces images par les co-belligérants », admet le chef de service. Mais, une fois vérifiées par des experts et placées dans leur contexte par les journalistes, elles constituent de précieuses sources d’information. Selon lui, près de 20% du contenu vidéo utilisé par France Télévisions concernant le conflit russo-ukrainien aurait même été produit par des amateurs.

Un conflit éreintant

Sur place, les journalistes et techniciens sont confrontés quotidiennement à des scènes d’horreur. « Nos équipes rentrent lessivées de leur mission », confie Étienne Leenhardt. Compte tenu de l’expérience requise à la couverture d’un tel conflit, les reporters ne sont pas interchangeables. À terme, la présence de France Télévisions en Ukraine pourrait s’amoindrir. « Nous n’enverrons pas n’importe qui », promet le journaliste.

Dans les salles de montage parisiennes, des professionnels reçoivent et traitent un flot continu d’images de guerre. Les scènes les plus choquantes sont coupées avant la diffusion. « Des salariés nous confient avoir de plus en plus de difficultés à travailler toute la journée avec ces images de civils tués, de corps », raconte Étienne Leenhardt.

« Depuis les attentats du 11 septembre, aucun événement étranger n’est resté aussi longtemps à la une », avance le chef du service Enquêtes et reportages de France Télévisions. Malgré un agenda politique chargé, qui l’a parfois reléguée temporairement au second plan, l’invasion de l’Ukraine par la Russie continue de faire les gros titres en France. Sur un temps aussi long, et lorsque la situation stagne, il est parfois compliqué de trouver des sujets pertinents. Les journalistes parisiens travaillent donc à compléter les reportages de terrain, en proposant « des analyses sur l’armement, les sanctions ou les conséquences économiques du conflit ».

Raconter la guerre autrement

En lançant, quelques jours après le début du conflit, son podcast « Guerre en Ukraine », Gregory Phillips a souhaité « graver dans le marbre » le récit de l’invasion russe. Quotidiennement, il propose un condensé « des meilleurs reportages de terrain et du meilleur des antennes de Radio France ». Disponible sur le site et l’application de Radio France, le podcast permet de rester informé de l’actualité du conflit en 10 à 12 minutes par épisode.

Là où les contenus diffusés à la radio ou à la télévision sont éphémères, le directeur adjoint de la rédaction de France Culture travaille quasiment pour l’histoire. « Dans quelques années, le podcast pourra être réécouté et servir à l’analyse de ce conflit », assure-t-il. Pensé comme un produit éphémère, « Guerre en Ukraine » continue d’être produit et diffusé quotidiennement, près de 50 épisodes plus tard. À raison, puisque le podcast natif a déjà dépassé le million d’écoutes.


Yann Mougeot

par Yann Mougeot
publié le 16 mai 2022

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