Maria Alekhina, qui risquait une peine de prison ferme, a réussi à rejoindre la Lituanie après avoir traversé la Biélorussie. Elle a raconté sa folle fuite au « New York Times ».

Par Marie Slavicek

Maria Alekhina est interpellée par des policiers, le 27 juillet 2019, lors d’un rassemblement non autorisé exigeant que les candidats d’opposition puissent se présenter aux élections locales de septembre.
Maria Alekhina est interpellée par des policiers, le 27 juillet 2019, lors d’un rassemblement non autorisé exigeant que les candidats d’opposition puissent se présenter aux élections locales de septembre. KIRILL KUDRYAVTSEV / AFP

L’histoire est digne d’un roman d’espionnage. Maria Alekhina, membre du collectif punk féministe Pussy Riot, s’est échappée de Russie en se déguisant en livreuse de repas, rapporte le New York Times dans un article publié mardi 10 mai.

D’un point de vue médiatique, tout commence le 21 février 2012. Cagoules et vêtements bariolés, poings levés : cinq membres du groupe entrent dans la cathédrale moscovite du Christ-Sauveur pour y déclamer, en musique et devant l’autel, un Te Deum revisité demandant à la Vierge Marie de chasser le président russe, Vladimir Poutine, du pouvoir.

Suite à cette action, trois d’entre elles, dont Maria Alekhina, alors âgée de 24 ans, avaient été inculpées pour « hooliganisme et incitation à la haine religieuse » et condamnées le 17 août 2012 à deux ans de camp, à l’issue d’un procès qui avait eu un retentissement international.

Malgré sa condamnation, la jeune femme, qui a désormais 33 ans, a continué son combat contre le régime du Kremlin. En septembre 2021, elle a été condamnée à un an de « restrictions » de liberté (contrôle judiciaire, couvre-feu, interdiction de quitter Moscou) pour avoir appelé à manifester contre l’arrestation de l’opposant russe Alexeï Navalny. Fin avril, Vladimir Poutine a durci sa politique de répression pour étouffer toute critique de la guerre en Ukraine. Les mesures visant Maria Alekhina ont alors été commuées en peine de prison ferme.

Elle a donc décidé de quitter la Russie, au moins temporairement. Pour tromper les autorités, Maria Alekhina s’est déguisée en livreuse de repas de la société Delivery Club, abandonnant son téléphone portable pour ne pas être tracée par la police. Un ami l’a ensuite conduite à la frontière avec la Biélorussie. De là, il lui a fallu une semaine pour rejoindre la Lituanie. Son passeport ayant été confisqué par les autorités russes, elle ne disposait que de sa carte d’identité et d’un visa lituanien. A ce moment-là, elle avait déjà été placée sur la liste des personnes recherchées par la Russie.

« Quelque chose de magique s’est produit »

Lors de sa première tentative pour traverser la frontière, Maria Alekhina a été retenue pendant six heures par les gardes-frontières biélorusses, avant d’être renvoyée. Lors de son deuxième essai, l’agent de service lui a immédiatement interdit le passage. La troisième tentative fut la bonne. L’un de ses amis a réussi à convaincre les autorités d’un pays européen – qui a demandé à ne pas être nommé – de lui délivrer un document lui accordant le même statut qu’un citoyen de l’Union européenne (UE). Le document a été acheminé clandestinement en Biélorussie pour que Maria Alekhina puisse en bénéficier.

C’est depuis Vilnius, la capitale de la Lituanie, qu’elle a accordé un entretien au New York Times pour raconter sa fuite. « J’étais heureuse d’avoir réussi, parce que c’était un gros et imprévisible » baiser d’adieu aux autorités russes, ironise Maria Alekhina. « Je ne comprends toujours pas complètement ce que j’ai fait », dit-elle également au quotidien américain, ajoutant : « Quelque chose de magique s’est produit la semaine dernière. »

Après sa libération, en décembre 2013, Maria Alekhina a cofondé en septembre 2014 Mediazona, un site d’information spécialisé dans les procès des défenseurs des droits de l’homme. Elle a aussi écrit ses mémoires, Jours d’insurrection, une Pussy Riot témoigne (Seuil, 2017), et a voyagé dans le monde entier pour présenter un spectacle basé sur ce livre. En Russie, seulement trois salles ont accepté d’accueillir son spectacle.

Maria Alekhina s’était engagée à rester en Russie malgré la surveillance dont elle faisait l’objet et les pressions exercées par les autorités, mais la militante a donc fini par rejoindre les milliers de Russes qui ont quitté le pays depuis le début de l’attaque de l’armée russe contre l’Ukraine, le 24 février.

Mardi, sa compagne Lioussia Chteïn, également membre des Pussy Riot, a affirmé sur Twitter que Maria Alekhina « n’a pas fui la Russie, elle est partie en tournée ». Celle-ci débutera le 12 mai à Berlin et aura pour but de récolter des fonds pour l’Ukraine, précise le New York Times.

Condamnée elle aussi à des restrictions de liberté en lien avec les manifestations contre l’arrestation d’Alexeï Navalny, Lioussia Chteïn a quitté la Russie en avril. Le New York Times précise qu’elle a pris sa décision après avoir trouvé sur la porte de leur appartement un message les accusant d’être des traîtresses.

« La Russie n’a plus le droit d’exister »

Sur Twitter et Instagram, Lioussia Chteïn a posté mardi des photos d’elle déguisée en livreuse de repas. Elle aurait utilisé le même subterfuge que Maria Alekhina pour fuir la Russie, le mois dernier, expliquant qu’elle n’avait pas posté d’image plus tôt afin de ne pas griller la couverture de sa compagne ; elle se l’autorise maintenant que le journal américain a dévoilé cette ruse.

En 2012, l’affaire de la prière punk avait fait grand bruit en Russie et suscité un débat inédit sur les liens entre l’Eglise orthodoxe russe et le pouvoir, dénoncés en chanson par les Pussy Riot (« Le patriarche Goundiaïev [Kirill] croit en Poutine/Ce serait mieux, salope, qu’il croie en Dieu »). Si une partie du clergé avait crié au sacrilège et au blasphème, exigeant que les jeunes femmes soient punies, d’autres, à l’image du diacre Andreï Kouraev, avaient appelé à la clémence et au pardon, jugeant la peine démesurée au regard des faits. Or, pour le New York Times, l’action des Pussy Riot était en réalité prémonitoire des dérives actuelles.

Le patriarche Kirill, chef des orthodoxes russes depuis 2009, a mis son Eglise au service de Vladimir Poutine, le qualifiant de « miracle » et soutenant l’agression armée de l’Ukraine. Depuis de nombreuses années, le dirigeant religieux, 75 ans, n’hésite pas à s’afficher en train de bénir armes et missiles, ni à justifier la répression de l’opposition et des médias indépendants. Lui et le président russe voient l’Ukraine et la Biélorussie comme des pays « frères » qui auraient dû rester sous la houlette de Moscou. Juste avant de lancer l’invasion de l’Ukraine, Vladimir Poutine a exposé dans un discours très virulent sa version de l’histoire, selon laquelle le pays « a été entièrement créé par la Russie ».

Ces déclarations et le début de la guerre ont, explique Maria Alekhina au quotidien new-yorkais, tout changé, pour elle comme pour son pays. « Je pense que la Russie n’a plus le droit d’exister, déclare-t-elle. Même avant, on se demandait comment le pays restait uni, par quelles valeurs il était uni et où il va. Mais maintenant, je pense que ce n’est plus une question. »

En février, Maria Alekhina a été condamnée à quinze jours de prison pour « propagande de la symbolique nazie » en raison d’un post Instagram datant de 2015 où elle critiquait l’autocrate biélorusse et allié de Vladimir Poutine, Alexandre Loukachenko. Lioussia Chteïn a été emprisonnée au même moment pour un motif similaire. « Ils ont peur parce qu’ils ne peuvent pas nous contrôler », analyse Maria Alekhina.

Marie Slavicek

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