« À son gouverneur L. Faidherbe, le Sénégal reconnaissant ». Pendant des décennies, les Saint-Louisien·ne·s ont pu lire cette inscription sur le piédestal de la statue installée en 1886, par l’administration coloniale française, au cœur de l’ancienne capitale sénégalaise. Mais le symbole divise aujourd’hui les Sénégalais, comme le souligne cette semaine le New York Times. Faut-il continuer d’honorer les « héros » de la colonisation, qui firent main basse sur l’Afrique au prix d’innombrables bains de sang ? Faut-il au contraire déboulonner ces statues, injures quotidiennes lancées aux visages des victimes de la colonisation ?
« Faidherbe doit tomber ! » De Saint-Louis à Lille, ville natale de Louis Faidherbe (1818-1889), le mot d’ordre lancé en 2018 par un collectif franco-sénégalais fait écho au slogan adopté quelques années plus tôt par le collectif sud-africain « Rhodes must fall », militant pour le retrait des statues honorant Cecil Rhodes. Du Cap à Oxford, de Charlottesville à Bristol, de Douala à Paris ou Bruxelles, le « fallism movement » s’est mondialisé au lendemain de l’assassinat de George Floyd, en mai 2020. Bugeaud, Gallieni, Léopold II : l’inventaire du crime colonial a commencé.
Ce mouvement n’est pas une lubie de « wokistes » échevelés ou de « séparatistes » fanatisés. En fixant nos regards sur ce que l’on ne voit plus, il nous oblige à une réflexion collective sur les rémanences du colonialisme. Ces tyrans de pierre qui trônent au cœur de nos villes, ces plaques silencieuses qui glorifient des assassins dans les moindres ruelles, ces écoles, ces collèges et ces lycées dont les noms font en contrebande l’apologie de la suprématie blanche sont le reflet d’une histoire de violence encore largement refoulée et d’une idéologie raciste qui poursuit, chaque jour, sa mission destructrice.
Au Sénégal, en France, comme ailleurs, les nouvelles générations ont bien l’intention de se libérer des fantômes du passé, qui les toisent sur leurs socles de marbre et les traquent à chaque coin de rue.