En Pologne, la loi empêche les réfugiées ukrainiennes d’avorter quand nombre d’entre elles ont été violées par des soldats russes ou des criminels locaux.
par Lucie Beaugé
Elles ont fui les horreurs de la guerre en Ukraine mais continuent de se battre pour obtenir un droit précieux dans leur nouveau pays. En Pologne, pays qui accueille plus de la moitié des exilés ukrainiens, les réfugiées ayant besoin d’une contraception d’urgence ou d’un avortement se heurtent à la récente loi anti-IVG du pays, une situation que dénonce le média ukrainien Zaborona. Pire encore : la plupart de ces femmes ukrainiennes désireuses d’avorter ont souffert «de violences sexuelles de la part de soldats russes» avant d’arriver en Pologne, ou sont tombées par la suite «entre les mains de criminels locaux» qui les ont logées pour les violer.
Car si la majorité des réfugiés reçoivent de l’aide de la part des Polonais – un toit, des jouets pour les enfants, ou encore une connexion wi-fi gratuite –, les femmes peuvent aussi être abusées. «Le mois dernier, une Ukrainienne de 19 ans s’est tournée vers la police de Wroclaw. La jeune fille, qui a fui la guerre, a déclaré qu’un homme de 49 ans lui avait offert un abri, mais qu’elle avait ensuite été violée. La police et les procureurs ont recueilli des preuves, procédé à un examen médical et à un interrogatoire, puis annoncé des soupçons concernant l’homme qui avait hébergé la jeune femme. Une semaine plus tard, le tribunal a statué qu’il n’y avait pas eu de violence contre la jeune fille parce qu’elle n’avait pas résisté activement. Le juge a changé l’accusation de viol en exploitation sexuelle dans une situation de dépendance», relate la journaliste Nastya Podorozhnya. Or, ce crime est moins sévèrement puni : environ trois ans de prison contre douze ans pour viol.A lire
«Je suis énervée d’être encore là dans la rue» : en Pologne, un an après la quasi-interdiction de l’IVG, les manifs reprennent
Europe22 oct. 2021
Interrogée par Zaborona, la militante polonaise Maja Stasko affirme que les criminels utilisent la confiance de ces femmes et l’argument de l’hospitalité pour commettre l’irréparable. «De nombreuses femmes ne veulent pas parler de viol auprès de la police. Elles sont prêtes à croire en leur propre culpabilité plutôt qu’en la culpabilité de la personne qui était censée les aider et leur donner un abri», constate-t-elle. De l’avis de plusieurs spécialistes, certains criminels se rendraient même spécifiquement en Pologne pour piéger les femmes ukrainiennes.
Ligne d’assistance téléphonique
Dans les textes, la Pologne interdit l’avortement dans tout autre cas que le viol, l’inceste ou un danger de mort imminent pour la femme enceinte. Dans les faits, la législation n’est pas toujours respectée. En septembre, Izabel, une Polonaise de 30 ans, est morte parce que les médecins n’ont pas pratiqué d’avortement. Et ce, alors que la situation mettait en péril sa santé et que le fœtus présentait des malformations.
Nastya Podorozhnya a ainsi mis en place Martynka, une ligne d’assistance téléphonique via Telegram, afin d’aider les réfugiées ukrainiennes à assurer leur sécurité – comme lorsqu’une femme se voit offrir une nuitée – et les mettre en contact avec des réseaux militants, tel Women on Web, susceptibles de leur fournir des pilules du lendemain semi-légales. Les médicaments peuvent être envoyés via la poste après une téléconsultation avec un médecin, qui donne son accord.
En Pologne, aider une personne à avorter est considéré par la loi comme un crime, mais il y a une nuance. «Pour que l’organisation assume la responsabilité pénale, il est nécessaire de prouver que l’assistance a été fournie à une connaissance spécifique. Publier des informations sur Internet ou consulter sur une hot line anonyme ne relève pas de ce texte», explique l’avocate Karolina Buchko à Zaborona. Une personne ne peut aller en prison que sur rapport d’un témoin qui dira de qui et à qui la pilule a été donnée. Les membres de ces réseaux militants risqueraient alors jusqu’à trois ans de prison pour avoir aidé à un avortement.