La résistance et le courage inouïs des Ukrainien·nes obligent les pays occidentaux à un profond examen de conscience.
Voilà deux mois que Vladimir Poutine a mis à exécution son projet d’écraser l’Ukraine. Depuis ce funeste 24 février, son « opération militaire spéciale » a déjà causé la mort de milliers de personnes, probablement plusieurs dizaines de milliers de civils. Et le déplacement de 13 millions de personnes, soit 30 % de la population du pays, dont plus de 5 millions ont fui à l’étranger. La moitié du territoire a été arrosée de mines et d’engins explosifs, dont l’élimination pourrait prendre un demi-siècle.
Une guerre éclair et la chute expresse de Kyiv, scénario un temps probable, auraient permis aux pays occidentaux de faire l’économie d’un profond examen de conscience de leur politique envers la Russie depuis l’annexion de la Crimée puis la prise d’une partie du Donbass par des milices pro-russes en 2014. La résistance et le courage inouïs des Ukrainien·nes les ont mis au pied du mur.
Les sanctions économiques et diplomatiques rapidement prises par l’UE et ses alliés sont certes sans commune mesure avec les ripostes indolores de 2014. Mais l’équilibre relatif et inattendu des forces militaires, sur le terrain, a mis à mal cette option tactique. Le levier lent de l’affaiblissement économique de la Russie ne contraint pas Poutine à négocier. Or son armée, qui patine, déploie une férocité décuplée alors que le maître du Kremlin entend désormais ramasser au plus vite le gain minimum du Donbass et du sud de l’Ukraine : bombardement d’habitations, couloirs humanitaires refusés, tortures, viols, possible déportation de personnes vers la Russie, exécution de civil·es, etc. La procureure générale de Kyiv a déjà lancé 7 000 enquêtes pour des exactions qualifiables, a minima, de crimes de guerre. Et voilà plus que jamais l’Europe confrontée au dilemme moral de l’impuissance de sa réponse pacifiste face à la terreur Poutine. Sera-t-il possible un jour de regarder dans les yeux les gens de Marioupol, de Boutcha, d’Irpin, de Kharkiv, d’Odessa bientôt ?
La semaine dernière, plusieurs pays, dont la France, ont finalement décidé de livraisons d’armes lourdes à l’Ukraine, qu’ils refusaient à Zelensky par crainte d’être considérés comme cobelligérants. Ce débat était bien jésuitique : Poutine décrète « agresseur » qui il veut, et quand il veut selon ses besoins. Une ligne rouge est donc franchie. Et l’engrenage de l’engagement militaire de l’Europe n’en est probablement pas à son terme, faute d’alternative après trois décennies passées à négliger la construction d’un nouveau cadre de sécurité « non-Otan » en Europe. L’Union européenne qui se tâte par ailleurs encore pour couper les importations d’hydrocarbures russes, gazières en particulier. Rien de tranquillisant, bien sûr. Mais une perspective probablement inéluctable désormais.