Maître Gabriel Lassort est avocat au barreau de Bordeaux. Membre de l’Institut de défense des étrangers, il a notamment défendu les jeunes du Kabako et Mehmet Yalçin, militant kurde expulsé vers la Turquie. Suite de notre série « Bordeaux à bras ouverts » dans le cadre de la programmation Bienvenue, qui se déroule actuellement en Gironde.
Maître Gabriel Lassort jongle entre le pénal – il a été l’un des trois avocats de Bernard Seurot, ex-maire de Bruges condamné à 4 ans d’emprisonnement avec sursis pour corruption – et le droit des étrangers. Sur ce dernier point, il précise que ce n’est pas une « spécialité juridiquement reconnue » mais une branche du droit.
Sollicité par les jeunes de l’ancien squat du Kabako, Gabriel Lassort a également défendu Mehmet Yalçin, militant kurde expulsé vers la Turquie. Via la Cimade, l’avocat effectue régulièrement des permanences au Centre de rétention administrative (CRA).
Plus récemment, Gabriel Lassort a déposé une plainte contre X auprès du procureur de Bayonne, dans le cadre de l’accident de train de Ciboure, qui a causé la mort de trois exilés venus d’Algérie et blessé grièvement un quatrième. Ce jeudi 21 avril, le parquet de Bayonne a classé sans suite l’enquête ouverte pour homicide involontaire.
Gilets jaunes
En 2018, alors qu’il vient de prêter serment, la crise des Gilets jaunes éclate. Gabriel Lassort défend l’un d’eux : un jeune homme violemment interpellé par la BAC, dans le quartier de la gare Saint-Jean, et dont la vidéo a fait polémique sur les réseaux sociaux. Placé en garde à vue, son client est remis en liberté. Aucune charge ne sera retenue contre lui. Gabriel Lassort défendra ainsi de nombreux manifestants :
« J’aime bien l’idée de me battre contre la violence d’État, essayer d’amener les juges à se rendre compte du pouvoir qu’ils ont, bien qu’il soit légitime. »
En octobre 2020, Gabriel Lassort défend le dossier d’un mineur non-accompagné et entame un recours. Et puis, c’est un « peu l’effet boule de neige ». Par le bouche-à-oreille, plusieurs jeunes le choisissent comme conseil, eux-aussi déboutés par le Département sur la reconnaissance de leur minorité.
MNA
Par la procédure du référé-liberté, l’avocat obtient la prise en charge et l’hébergement, par le Département, d’une dizaine de jeunes, jusqu’ici hébergés par Médecins sans frontières. À la sortie du confinement, ces jeunes se retrouvent au Kabako, le squat de la rue Camille-Godard expulsé par le Département en septembre 2021.
L’avocat regrette les « amalgames » autour de la situation des MNA, dont l’écho est amplifié dans une campagne présidentielle menée sur un front régalien :
« Il y a deux typologies de mineurs qui viennent sur le territoire. Ceux originaires d’Afrique subsaharienne ou d’Asie centrale viennent souvent par leurs propres moyens, avec la motivation de s’insérer dans le système éducatif puis professionnel français. Les jeunes originaires du Maghreb, eux, viennent par des réseaux de passeurs. Il s’agit de réseaux de traite d’être humains, les jeunes sont drogués aux médicaments et deviennent dépendants. Quand ils arrivent en France, ils ont des dettes et tombent dans le schéma classique de la délinquance. Mais ces derniers sont résiduels en terme de pourcentage. C’est plus facile de pointer les infractions que de montrer l’insertion et la réussite. »
« Quand on veut accueillir, on peut »
À l’aune de la guerre en Ukraine et de l’arrivée de nombreux réfugiés en France, Gabriel Lassort dénonce le « racisme » qui entoure cette crise et l’accueil fait par les pays européens :
« Bien sûr qu’il faut accueillir les Ukrainiens, mais cette crise démontre un racisme d’État et une hypocrisie. À Calais, on installe un consulat pour les Ukrainiens, là où des CRS lacèrent des tentes et les réserves d’eau pour les migrants. Cette crise démontre que quand on veut accueillir, on peut. Il y aussi des études de sociologie économique qui démontrent la plus-value de l’immigration qu’elle soit régulière ou irrégulière. »
Gabriel Lassort évoque également le cas d’étudiants étrangers installés en Ukraine, mais qui ne peuvent bénéficier de la protection temporaire de l’Union européenne, seulement accordée aux réfugiés de nationalité ukrainienne. « On fait quoi d’eux ? On leur dit non sous prétexte qu’ils n’ont pas la bonne nationalité ? « , assène l’avocat. Pour ce dernier, il ne faut pas « se voiler la face » :
« On voit très bien ceux qui se lèvent tôt et font des boulots pénibles : agents de sécurité, ménage, mise en rayon… Ce sont les personnes issues de l’immigration. Il y a une certaine mauvaise foi qu’il faut démontrer. J’essaye, à mon échelle, de me battre contre ça, notamment vis-à-vis de la préfecture. »
Convictions
Gabriel Lassort ne se fait donc pas d’illusions sur « la véritable couleur politique de l’action gouvernementale sur la politique des étrangers » :
« La Gironde n’est pas un territoire problématique en termes d’immigration. À Calais je ne dis pas que tout est rose avec la crise migratoire, mais il faut se poser la question du traitement de ces personnes en exil. Est-ce qu’on doit accepter que des policiers, payés par nos impôts, chassent les camps de migrants et entaillent des bidons d’eau potable ? »
Si son travail de défense pour le droit des étrangers est nécessairement tributaire de « convictions », Gabriel Lassort pense que c’est « une mauvaise chose d’être trop politisé » :
« Dans le prétoire, on est pas un homme politique. Nous sommes là pour nous battre afin que les droits des personnes qu’on assiste soient respectés. J’ai des convictions, mais je n’en fait jamais une question politique. »