Le gouvernement israélien de Naftali Bennett s’affaiblit encore. La Liste arabe unie (LAU), petit parti islamo-conservateur mené par Mansour Abbas, a annoncé qu’elle « gelait » sa participation à la coalition, dimanche 17 avril au soir. Elle proteste contre la répression policière en cours à Al-Aqsa, troisième lieu saint de l’islam, dont nul ne devine la fin.
Le geste de défiance de ces quatre parlementaires (sur 120) ne menace pas de faire tomber immédiatement la coalition, au pouvoir depuis juin 2021. Le Parlement est à l’arrêt jusqu’au 8 mai. Cela laisse le temps à la LAU de négocier son retour. Cependant, ce parti arabe, le premier à prendre part au pouvoir dans l’histoire d’Israël, suscite un dilemme inédit. Si la rupture persiste, l’opposition disposerait d’une majorité de 64 sièges, assez pour dissoudre le Parlement et provoquer les cinquièmes élections en trois ans.
Dimanche soir, ce sont les membres du conseil religieux chapotant la LAU qui ont lancé ce coup de semonce. Ces dignitaires souhaitent montrer à leurs fidèles qu’ils conservent une influence. Ils s’exprimaient alors que la mosquée d’Al-Aqsa avait été transformée en un véritable fort, au matin, par un groupe de Palestiniens qui entendaient défendre les lieux saints contre des extrémistes juifs.
Barricadés à l’intérieur du bâtiment, ils ont tiré durant plusieurs heures, à intervalles réguliers, des pétards contre la police israélienne, qui les encerclait. Ces projectiles produisaient de petits nuages de fumée, des étincelles colorées autour de policiers qui se voulaient imperturbables. Certains braquaient leurs armes vers des fenêtres brisées, attendant que l’un des assiégés y passe la tête. Mais ils ne donnaient pas l’assaut.
« On n’a pas eu le temps de prier »
Si la police se déployait ainsi sur l’esplanade des Mosquées, c’était pour laisser passer les touristes et les fidèles juifs, en visite sur ce qui est pour eux le mont du Temple, après la fermeture du week-end pascal. Depuis quelques années, ces militants ont brisé le statu quo en vigueur, qui autorise les juifs à visiter le mont, mais pas à y prier. Escortés et protégés par la police, ils prient chaque jour en temps normal, et étudient longuement près de la porte Dorée. C’est un défi aux principales autorités religieuses juives, qui interdisent leurs dévotions hautement inflammables.
Selon la police, les assiégés palestiniens ont tenté de bloquer, à l’aube, le passage de ces visiteurs à la porte des Maghrébins, sur laquelle débouche un pont de bois branlant qui enjambe le mur des Lamentations, vestige du second Temple. Pour permettre leur venue, elle a repoussé, parfois violemment, les fidèles musulmans sur l’esplanade. Elle a aussi interdit un temps à ceux qui se trouvaient dans la Vieille Ville de pénétrer sur les lieux saints, à travers deux portes principales. Elle a enfin coupé les haut-parleurs de la mosquée, après que les assiégés y ont lancé un appel aux fidèles à les rejoindre.
Parmi les multiples groupes d’activistes juifs du mont du Temple qui traversaient l’esplanade, Arieh Lipo se désolait pour sa part d’avoir dû précipiter son passage en sept minutes. « On n’a pas eu le temps de prier », murmurait ce membre d’une branche de la secte ultraorthodoxe de Bratslav, accueillante aux convertis récents, aux artistes et aux extrémistes.
Les dissensions se creusent
Les autorités israéliennes s’efforcent de présenter les assiégés d’Al-Aqsa comme des émeutiers qui perturbent le mois saint, en dépit de leurs propres efforts proclamés pour préserver la liberté de culte. Elles déplorent aussi le caillassage de deux bus emmenant des fidèles juifs vers la Vieille Ville dimanche, par de jeunes Palestiniens. La police paraît désormais douter de sa capacité à orchestrer un retour à la « normale », après la violente répression qu’elle a menée vendredi, faisant plus de 150 blessés et menant 470 arrestations.
Ces jours où la Pâque juive coïncide pour la première fois depuis 1991 avec le mois sacré de ramadan, des fidèles musulmans s’étaient déjà mobilisés pour empêcher une « provocation » d’extrémistes juifs. Ils paraissent encouragés par la branche nord du mouvement islamique en Israël, officiellement interdite dans le pays. Ici se joue une rivalité entre deux familles influentes parmi les citoyens palestiniens d’Israël (20 % de la population). L’une a choisi la voie des urnes, donnant naissance à la LAU de Mansour Abbas, et l’autre le boycott des institutions, la résistance religieuse.
Ces dissensions se creusent alors que l’armée se déploie massivement dans les territoires palestiniens, répondant à une vague d’attentats qui ont fait 14 morts dans les villes israéliennes depuis le 22 mars. Au moins 15 Palestiniens ont été tués en Cisjordanie durant ces raids. L’armée y mène des arrestations et des expéditions punitives contre les proches des assaillants. Elle prend position sur les routes, près des colonies et le long du mur qui enserre les territoires, occupés depuis 1967.
Le Hamas, mouvement islamiste armé au pouvoir à Gaza, a signalé pour sa part qu’il n’avait pas intérêt à une escalade. En mai 2021, il avait déclenché onze jours de guerre dans l’enclave sous blocus israélo-égyptien, au pic d’une précédente répression policière à Al-Aqsa. L’un de ses chefs, Khaled Mechaal, a affirmé samedi que les deux parties ont indiqué au Qatar, intermédiaire privilégié, qu’elles ne veulent pas d’une nouvelle explosion. Le mouvement a demandé la libération des Palestiniens faits prisonniers vendredi sur les lieux saints. La plupart ont été relâchés.
Louis Imbert (Jérusalem, correspondant)