Quelque 8 000 membres des peuples autochtones se sont réunis dans un vaste campement pour dénoncer l’orpaillage illégal et la pollution de leurs territoires. Ils ont reçu le soutien de l’ancien président Lula.
Aussi loin que porte le regard sur l’esplanade de la Funarte à Brasilia, on ne distingue qu’une multitude de tentes, sous lesquelles sont installés des petits groupes. Au centre de ce gigantesque campement, une grande structure abrite les assemblées plénières, mais des dizaines de réunions ont aussi lieu, à même le sol, en cercle et sans micro. Ici, des jeunes Guarani discutent de l’accès à l’université, plus loin, le collectif audiovisuel Midia India donne un atelier sur les médias. La 18e édition du Campement Terre Libre, qui réunit, depuis le 4 avril, quelque 8 000 indigènes de près de 200 peuples autochtones a montré la vivacité de ce mouvement, désormais rassemblé sous l’égide de l’Association des peuples indigènes du Brésil (APIB). Sa coordinatrice, Sonia Guajajara, avait un large sourire, mardi 12 avril, après une semaine de mobilisation : « Nous sommes à Brasilia avant tout pour nous opposer à ce que nous désignons comme le “paquet de la malfaisance” : des projets de loi qui remettent en cause nos droits, pourtant garantis par la Constitution. Mais le campement est aussi le moment de nous retrouver, pour décider les orientations du mouvement et partager nos expériences comme nos malheurs. »
Les peuples indigènes représentent moins de 1 % de la population du Brésil, mais leurs réserves occupent environ 13 % du territoire. L’orpaillage illégal est l’une de leurs principales préoccupations. Non seulement parce qu’un projet de loi pourrait légaliser cette activité, en permettant l’exploitation minière sur leurs terres, mais aussi parce que la complaisance, voire la complicité, des autorités est aujourd’hui une évidence. Selon un rapport de l’association Hutukara Yanomami, présenté cette semaine, les dégâts causés par l’orpaillage ont augmenté de 46 % l’an dernier par rapport à 2020 sur le territoire autochtone des Yanomami, situé à la frontière avec le Venezuela. « L’orpaillage a toujours été notre calamité, même quand notre territoire a été délimité, il y a trente ans, estime Junior Hekurari, président du Conseil pour la santé indigène Yanomami et Ye’kwana. Aujourd’hui, il y a près de 20 000 orpailleurs, qui provoquent une malnutrition inédite des enfants. C’est simple, nous n’avons plus de protéines pour nous nourrir, car la pollution au mercure [utilisé pour l’extraction de l’or] tue la faune. »
Toujours selon le rapport, plus de 16 000 personnes, soit 56 % de la population Yanomami, sont directement affectées par l’orpaillage. « Nous avons dénoncé cette situation auprès de toutes les autorités possibles, mais ils ne font rien, alors que les toutes les preuves sont réunies », se désole Junior Hekurari. Le rapport s’appuie en effet sur de nombreuses photos et images satellites : pistes d’atterrissage, campements permanents des orpailleurs, trous béants dans la forêt, bancs de poissons morts et enfants dénutris.
Espoir d’un changement de l’exécutif
La pollution subie par le peuple Munduruku, qui vit dans le sud de la forêt amazonienne, a, elle, été documentée par le centre de recherche médical Fiocruz. Sur ces terres indiennes, les orpailleurs auraient déversé plus de 7 millions de tonnes de résidus toxiques dans le fleuve Tapajos. « Nous savons que le cours de l’or est la raison de cette course à l’orpaillage. Et nous responsabilisons les pays qui achètent l’or du Brésil, car il est illégalement extrait de notre Amazonie », dénonce la leader, Alessandra Korap Munduruku. Le Canada, la Suisse et le Royaume-Uni sont montrés du doigt pour en être les principaux importateurs. La mobilisation des indigènes leur a cependant permis d’enregistrer des victoires. Elle a fait reculer, au moins provisoirement, le vote de la loi ouvrant leurs territoires à l’exploitation, prévu cette semaine à la Chambre des députés. « Nous avons surtout gagné des appuis au Sénat, où elle ne devrait pas être présentée de sitôt, même si elle est approuvée par les députés », espère Joenia Wapichana, l’unique députée fédérale indigène.
A plus long terme, la stratégie du mouvement repose sur l’espoir d’un changement de l’exécutif, en janvier 2023. L’ancien chef d’Etat Luiz Inacio Lula da Silva, favori de la prochaine élection présidentielle, s’est d’ailleurs rendu mardi sur le campement, accompagné de plusieurs sénateurs d’opposition. Accueilli par une haie d’honneur des guerriers Kayapos, Lula a reçu des objets rituels, mais également un cahier de doléances qu’il a signé. Les leaders autochtones lui ont rappelé ses décisions malheureuses, en particulier le barrage de Belo Monte, en Amazonie, mais ont surtout mis en avant le dialogue qui existait à l’époque avec son administration. Un dialogue aujourd’hui inexistant avec le gouvernement de Jair Bolsonaro.
Lula s’est clairement engagé à leurs côtés : « Nous ne voulons pas d’invasion sur vos terres, que ce soit pour de l’orpaillage ou du soja. Protéger la forêt est un devoir de l’Etat brésilien. » L’ancien président a promis de reprendre deux des revendications des autochtones : la révocation de tous les décrets de Jair Bolsonaro, qui attentent à leurs droits, et la création d’un ministère consacré aux populations indigènes dirigé par l’un des leurs. Pour Alberto Terena, un des coordinateurs de l’APIB, « cela faisait longtemps que nous n’avions pas entendu de telles paroles. Même si Lula n’a pas fait tout ce qu’il aurait pu faire en tant que président, il ne nous a jamais attaqués comme le fait Bolsonaro. »
Pour autant, le mouvement indigène ne compte pas attendre passivement la désignation du prochain président du Brésil. Les candidatures de leaders autochtones à des sièges de député aux niveaux local et fédéral ont été confirmées durant le campement. Le mouvement pourrait présenter 30 candidatures, dont celle de Sonia Guajajara dans l’Etat de Sao Paulo. « Notre objectif est d’avoir un groupe parlementaire indigène, comme il y a des députés liés à l’agrobusiness et à l’activité minière, pour défendre l’environnement et pas seulement nos droits », explique la coordinatrice de l’APIB. Avant de lever le camp, jeudi 14 avril, les indigènes ont marché une dernière fois jusqu’au Congrès, où devait se jouer l’avenir de leurs territoires et de leurs enfants.