7 avril 2022 par Pierre Jequier-Zalc
Florian D. était en détention provisoire et placé à l’isolement depuis décembre 2020. Il est suspecté d’association de malfaiteurs terroristes après son retour de Syrie où il a combattu Daesh aux côtés des Kurdes.
« Nous sommes heureux. » C’est par ces mots que les avocats de Florian D., Coline Bouillon et Raphaël Kempf, ont annoncé à Basta! la libération pour raison médicale de ce militant d’extrême gauche, mis en examen pour association de malfaiteurs terroristes et incarcéré à l’isolement en préventive depuis décembre 2020. Une grande nouvelle car il y a 72 heures encore, l’inquiétude régnait autour de sa situation.
Depuis le 27 février dernier, Florian D., appelé Libre Flot, était en grève de la faim pour protester contre son régime de détention à la prison de Bois-D’Arcy dans les Yvelines. Le 24 mars dernier, face à la dégradation de son état de santé, son isolement a été levé et il a été transféré de la prison à l’hôpital pénitentiaire de Fresnes (Val-de-Marne) pour être pris en charge médicalement. Sans que cet assouplissement de son régime de détention ne le fasse arrêter sa grève de la faim. Dans une lettre intitulée « Pourquoi je fais la grève de la faim », le militant écrit ne réclamer que sa « mise en liberté en attendant de démontrer le côté calomnieux de cette honteuse accusation ». Le 27 février, il pesait 63 kilos. En début de semaine, il n’en faisait guère plus de 45.
Un homme « frêle comme une brindille »
Ce lundi 4 avril, date de son anniversaire, ils sont quelques dizaines à se rassembler dans plusieurs villes françaises pour le soutenir à distance dans cette lutte. « On est là pour relayer son combat et on le soutiendra jusqu’au bout », soulignent ces soutiens, inquiets de l’évolution de la situation. Face à la foule, Coline Bouillon, l’une de ses deux avocats avec Raphaël Kempf, n’est guère plus rassurante. « Je l’ai vu ce matin, c’était bouleversant. Il est extrêmement faible. Son état de santé se dégrade cruellement. Il gardera sans doute des séquelles toute sa vie ». Elle parle d’un homme « frêle comme une brindille » qui ne peut plus se déplacer qu’en fauteuil roulant.
Quelques heures plus tôt, les médecins de l’hôpital pénitentiaire de Fresnes ont demandé le transfert en urgence de Libre Flot à la Pitié-Salpêtrière (Paris), ne s’estimant plus en capacité de le soigner. Malgré cela, ce 4 avril, ces avocats ne semblaient pas très optimistes sur une évolution positive de la situation. Selon Médiapart, le parquet national antiterroriste et le juge d’instruction en charge de cette affaire ne voulaient pas entendre parler d’une mise en liberté, pour « l’ordre public » et pour les nécessités de l’enquête. « La qualification terroriste empêche tout », confiaient lundi ses avocats.
Tout s’accélère pourtant le lendemain. Face à son état de santé qui se détériore de jour en jour, le juge d’instruction accepte finalement sa demande de mise en liberté pour raisons médicales. Le mardi soir, à la suite de cette nouvelle, Libre Flot met un terme à sa grève de la faim. C’est libre qu’il a été transféré, ce jeudi en début d’après-midi, à l’hôpital de Villejuif (Val-de-Marne). Il a été accueilli dans un service de renutrition spécialisé. À la fin de son hospitalisation Florian D devrait rester en liberté sous bracelet électronique accompagné d’un contrôle judicaire strict, dans l’attente de son procès.
« En novembre 2021, un juge de la détention et des libertés avait ordonné la réalisation de deux enquêtes de faisabilité de la libération. Elles ont été réalisées par le Service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) et elles étaient toutes positives, avec des projets de sortie vérifiés et validés. À l’époque, ça n’avait rien changé, mais c’est un de ces projets avec travail et hébergement en dehors de son milieu familial que Florian va désormais pouvoir effectuer », expliquent ces deux avocats. Dans cette affaire, l’instruction est toujours en cours et le procès ne devrait pas avoir lieu avant début 2023, au plus tôt.
« Mon cerveau commence à dérailler »
Revenons au début de cette affaire. Le 8 décembre 2020, la DGSI procède à l’interpellation de neuf militants qualifiés « d’ultragauche ». Deux sont libérés, sans charge, à l’issue de leur garde à vue. Les sept autres sont mis en examen pour association de malfaiteurs en vue de commettre des actes terroristes. C’est la première fois depuis le fiasco de l’affaire Tarnac que la justice antiterroriste se penche sur ce qu’elle appelle « l’ultragauche ».
Parmi les inculpés, Florian D., un homme qui a combattu Daesh en Syrie aux côtés des forces kurdes du YPG. À ce titre, il a participé à la libération de Raqqa qui a un temps été la « capitale » de l’État islamique. Considéré par la DGSI comme le « leader charismatique » de ce groupe où les membres ne se connaissent pas tous entre eux, il est accusé d’avoir fomenté, sur le sol français, un projet d’action violente dont les contours restent, selon Médiapart, flous, sans cible précise. Sur le même sujet
« Dans cette affaire, il est clairement dépeint comme le chef », notent ses avocats, Coline Bouillon et Raphaël Kempf, « cette perception vient du fait de son engagement au Rojava. Dans la vision des autorités, avoir combattu en Syrie le rend plus responsable que d’autres. Leur théorie c’est qu’il aurait importé son savoir-faire militaire sur le sol français ». Dans des lettres écrites depuis sa cellule [1], Libre Flot réfute « cette infamante et diffamatoire accusation d’association de malfaiteurs terroriste » et juge que ce sont ses « opinions politiques » et sa « participations aux forces kurdes des YPG dans la lutte contre Daesh qu’on essaie de criminaliser ». En annonçant sa libération, ses avocats ont rappelé qu’ils continueront leur travail de défense pour « démontrer que la qualification terroriste ne tient pas dans ce dossier ».
À la suite de ces interpellations, Libre Flot est directement incarcéré en détention provisoire à l’isolement. « Il vit dans une toute petite cellule, il n’a pas le droit de croiser d’autres détenus, il doit faire son sport, seul, dans quelques mètres carrés », énumèrent ses avocats. « Il est seul, 24 heures sur 24. La seule présence humaine qu’il côtoie se sont les matons », poursuivent ses soutiens. Dans de longues lettre publiées par son comité de soutien, Florian décrit ses conditions de détention et, depuis plusieurs mois, la dégradation de sa santé physique et psychique. « Le cerveau commence à dérailler. Les problèmes de concentration, les difficultés à construire sa pensée, l’hébétude, la perte de repère temporels, les maux de tête, les vertiges, tous ces symptômes se sont amplifiés et généralisés », écrit-il par exemple durant l’été 2021, décrivant également des « troubles visuels, des pertes de mémoire et des douleurs aiguës au cœur ».
En détention, un comportement exemplaire
Avant sa libération, il restait le seul des sept inculpés à être en détention. Les quatre autres personnes également incarcérés à la suite de leur garde à vue ont progressivement été relâchées courant 2021 dans l’attente de leur procès. Libre Flot, lui, avait fait plusieurs demandes de mise en liberté (DML), toutes refusées. Et ce, malgré l’exemplarité de son attitude en cellule. Le Service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) de la prison de Bois-d’Arcy s’était déclaré « favorable » à la fin de l’isolement en soulignant son « bon comportement ». Plus que cela, selon Médiapart, le SPIP souligne que les difficultés liées au régime d’isolement « ne semblent pas proportionnées aux éléments objectifs ».
En février, donc, son isolement a de nouveau été reconduit, et ses demandes de mises en liberté, sous contrôle judiciaire ou bracelet électronique, rejetées. La goutte de trop pour Florian D. « Cela fait plus de 14 mois que je suis enterré vivant dans une solitude infernale et permanente sans avoir personne à qui parler, à juste pouvoir contempler le délabrement de mes capacités intellectuelles et la dégradation de mon état physique et ce, sans avoir accès à un suivi psychologique », écrit-il dans sa lettre de revendication. Sur le même sujet
Malgré la levée de son isolement fin mars, et la permission de voir sa compagne, également mise en examen dans cette affaire, Libre Flot avait décidé de poursuivre sa grève de la faim. Dans un message vocal envoyé à ses soutiens en mars, il justifiait sa décision : « Dégradation pour dégradation, séquelles pour séquelles, autant que ce soit mon choix, autant que ce soit pour lancer cet appel à l’aide. » Avant de conclure, dans un cri du cœur, « sortez-moi de ce trou ». C’est désormais le cas.
Pierre Jequier-Zalc
Photo de Une : Pierre Jequier-Zalc