La volonté d’Emmanuel Macron de « réconcilier les mémoires » des différentes catégories de victimes de la guerre d’Algérie quitte à faire dans certains cas l’économie d’un regard historique sur la véracité ou les mensonges des récits sur lesquels certaines mémoires se sont constituées, connait de sérieuses limites.
La volonté d’Emmanuel Macron de « réconcilier les mémoires » des différentes catégories de victimes de la guerre d’Algérie quitte à faire dans certains cas l’économie d’un regard historique sur la véracité ou les mensonges des récits sur lesquels certaines mémoires se sont constituées, connait de sérieuses limites.
Dans le cas du massacre de manifestants européens le 26 mars 1962 rue d’Isly, à Alger, une semaine après le cessez-le-feu consécutif aux Accords d’Evian, le président de la République a donné satisfaction aux associations « nostalgériques » qui attribuent à l’armée française toutes les responsabilités dans cet événement tragique.
Il a choisi d’éluder la lourde responsabilité de l’OAS (organisation armée secrète) dans ce massacre, alors que des documents montrent que des armes automatiques installées par elle ont ouvert le feu sur le barrage tenu par des militaires français.
Que montrent les archives françaises ?
Un plan conservé au Service historique de la Défense (SHD) concerne la fusillade de la rue d’Isly du 26 mars 1962. Il figure au SHD dans un dossier correspondant à la cote GR1H2703, dans la neuvième chemise de ce dossier, qui porte la cote 1H2703-D9. Un lecteur qui a pu le voir mais qui n’a pas eu l’autorisation de le photographier en a fait la copie ci-dessous.
Il montre, en pointillé bleu, le barrage constitué par le 4e régiment de tirailleurs algériens, qui a effectivement ouvert le feu sur des manifestants, mais il a aussi été pris sous le tir d’armes automatiques installées par des commandos de l’OAS sur des balcons et des toits de la rue d’Isly et des alentours, dont les emplacements, repérés par l’armée, sont marqués en rouge sur ce plan (les ronds bleus désignent les postes de commandement de l’armée française).
Cela est confirmé par trois photos extraites d’un rapport de l’armée intitulé « Renseignements judiciaires et militaires », établi au lendemain du 26 mars 1962, publiées par Yves Courrère dans Les Feux du désespoir (Fayard, 1971, p. 544), qui montrent quelques-uns des emplacements des armes automatiques utilisées par l’OAS.
Il serait temps de rendre public ces documents, et, plus généralement, conformément aux promesses qui ont été faites et qui tardent à être suivies d’effets, d’ouvrir les archives de la guerre d’Algérie.
Deux gerbes officielles à la cérémonie des « nostalgériques »
Nicole Ferrandis, qui préside une association de victimes du 26 mars 1962 dans la continuité du combat de l’OAS contre le cessez-le-feu et contre l’indépendance de l’Algérie — ce combat qui a fait le malheur des « pieds-noirs » —, a refusé de venir commémorer à l’Elysée le cessez-le-feu du 19 mars.
Néanmoins, la ministre Geneviève Darrieussecq et le président de la République ont fait déposer une gerbe samedi 26 mars à la cérémonie organisée par son association au Mémorial du Quai Branly, ce monument inauguré par Jacques Chirac le 5 décembre 2002 pour satisfaire une promesse qu’il avait faite entre les deux tours de la présidentielle face à Jean-Marie Le Pen pour rallier une partie de ses soutiens. Pas un mot de sa part ni de la part de l’Elysée sur la responsabilité des terroristes de l’OAS dans ce drame qui a frappé des civils européens que cette organisation terroriste a choisi de sacrifier au profit de son combat politique.
Sur ce monument, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, l’extrême droite a obtenu l’ajout aux noms des militaires qui y sont honorés ceux des victimes de la rue d’Isly. Samedi 26 mars 2022, après le dépôt des deux gerbes de la ministre et d’Emmanuel Macron, le Chant des Africains — détourné par les « nostalgériques » pour en faire leur hymne de ralliement — a clos la cérémonie.
Si les institutions et les forces politiques françaises acceptent tacitement le récit fallacieux construit par les « nostalgériques » sur l’indépendance de l’Algérie et la supposée « trahison » des autorités françaises de l’époque, l’extrême droite, qui atteint en France un étiage scandaleusement élevé — exceptionnel en Europe —, a de beaux jours devant elle. Et, plus encore, si son discours est pris pour argent comptant par la droite et par le parti d’Emmanuel Macron, un discours qui fait revivre le racisme colonial pour le malheur du pays.
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