Réunis pour leur capacité à faire évoluer les récits sur la colonisation et la guerre d’Algérie, différents auteurs, issus pour la plupart de la nouvelle génération, étaient invités à présenter leurs travaux respectifs. A commencer par Dorothée Myriam Kellou, trentenaire franco-algérienne, qui a mis 8 années afin de réaliser son premier long métrage dans le village de ses grands-parents, Mansourah, non loin de la frontière marocaine : « J’ai réussi à soigner cette blessure de la colonisation en perçant le secret des camps. C’est la découverte des regroupements de population et le travail de mémoire que j’ai effectué dessus qui m’a permis de faire la paix avec mon identité ». « Tirer un fil pour récupérer la mémoire d’un passé rompu »
En 1962, plus de deux millions d’Algériens sont regroupés dans ces camps créés par l’armée française. Au total, plus de la moitié de la population rurale algérienne sera déplacée pendant la guerre. Pour Dorothée, il s’agit de « tirer un fil pour récupérer la mémoire d’un passé rompu ». Comment alors engager ce travail à la fois de déconstruction de l’idéologie coloniale et de transmission aux futures générations. Bastien Dubois, dont le grand-père a fait la guerre pendant deux ans au sein de l’armée française, a réalisé un documentaire fiction sur le refus éprouvé par son grand-père de parler de cette période. Il s’est aperçu au fur et à mesure que c’était lui qui avait du mal à entendre la violence de la réalité. C’est ce qui lui a donné envie de creuser pour notamment faire la lumière sur son passé familial et la période coloniale. Une période au cours de laquelle les êtres humains n’ont pas été les seuls à être massacrés. En effet, selon Seham Boutata, « l’oiseau m’a permis de mettre l’Algérie sur le divan ». A travers son podcast sur le chardonneret, elle nous invite à voyager avec ce petit oiseau sur le territoire algérien. Le chardonneret, dont seulement 5% vit en liberté, est ce « passeur » qui libère la parole et émerveille les visages lorsqu’il est évoqué dans une conversation. Dans une Algérie encore traumatisée par la guerre civile, est-ce alors l’oiseau ou l’Algérien qui est en cage ? Le travail effectué par Farah à travers le site Récits d’Algérie représente parfaitement ce besoin existentiel de la transmission en collectant et transmettant les récits des aînés. Les témoignages concernant les nombreuses exactions par l’armée française permettent de rendre visible des souffrances parfois intériorisées. On comprend en quoi la question de la transmission est fondamentale pour aborder l’avenir sereinement. En outre, elle ne peut pas être abordée sans la question de l’héritage. « Assumer d’où l’on parle et comment on parle afin de sortir du piège de la communauté »
Faïza Guène, qui en est à son sixième roman, rappelle qu’il y a 5 à 6 millions de Français d’origine algérienne aujourd’hui. Elle insiste sur l’augmentation d’une islamophobie décomplexée qui a surgit au lendemain des attentats terroristes de 2015 à Paris où l’ancien ministre Jean-Pierre Chevènement avait par exemple affirmé que « les musulmans devaient se tenir discret ». Dans cette confusion, comment résoudre cette quête de légitimité qui fait encore défaut ? Selon Faïza, il s’agit d’avantage « d’assumer d’où l’on parle et comment on parle afin de sortir du piège de la communauté ». Il s’agit d’effectuer un travail de déculpabilisation afin de vivre pleinement et dignement son identité multiple. Pour Lina Soualem, « la reconnaissance sociale est la base pour exister ». Le silence – sujet du film qu’elle a réalisé – représente la douleur du déracinement. Il s’agit là d’un silence collectif. Expliquer les raisons de ce silence permet de soigner les blessures engendrées par le déracinement. Enfin, Justine Perez, co-autrice du podcast La sauce algérienne, partenaire de l’évènement, affirme que « pour se réapproprier nos mémoires, il existe un sentiment d’urgence sur les témoins qui vont disparaître ». Selon elle, c’est à travers la connaissance de cet héritage qu’un « bain culturel commun » pacifié pourra prendre forme. La conférence s’est conclue à travers un échange avec le public. Il en est notamment ressorti que les intervenants des nombreuses réunions et conférences sur la guerre d’Algérie sont majoritairement d’origines françaises. Cette invisibilisation des Algériens interpelle. Un sentiment de frustration légitime à l’heure où il serait temps que les Algériens puissent cohabiter en paix et librement avec les chardonnerets.
Ekim Deger