Par Arnaud Dejeans
Une exposition est présentée jusqu’au 15 mai à Cadillac. L’administrateur du château ducal, Olivier du Payrat, revient sur l’histoire sombre de cet ancien établissement pénitentiaire où plus de 10 000 femmes ont été emprisonnées au XIXe siècle
La première partie de l’histoire du château de Cadillac, érigé au XVIIe siècle par le Duc d’Épernon, est bien connue. La seconde, celle du château-prison (1818-1952), un peu moins. Pourquoi ?
Olivier du Payrat Ce passé carcéral a été mis sous cloche pendant des décennies. Il y avait peut-être un sentiment de honte, car le territoire en a tiré profit au début du XXe siècle. Le Centre des monuments nationaux (gestionnaire du site) n’a jamais occulté cette histoire-là. Nous la donnons à voir depuis 2018 et l’ouverture du deuxième étage et ses cellules. Nous avons organisé trois expositions sur ce thème (1). C’est un devoir de mémoire.
Olivier du Payrat est administrateur des Monuments nationaux en Gironde. Archives Aude Boilley
Comment cette prison a-t-elle vu le jour ?
Le château est construit au début du XVIIe siècle. Il est saisi comme bien national lors de la Révolution française puis abandonné jusqu’en 1818. De gros travaux sont réalisés entre 1818 et 1822 pour le transformer en prison, la première du pays conçue pour les détenues femmes. Ce chantier est mené par l’architecte départemental Alexandre Poitevin, l’auteur des colonnes rostrales de la place des Quinconces à Bordeaux. L’histoire de la prison se divise en trois périodes. Au XIXe siècle : près de 10 000 détenues sont enfermées dans la première maison centrale de force et de correction pour femmes en France. La deuxième époque fin XIXe, début XXe : la maison centrale est remplacée par l’école de préservation pour jeunes filles, sorte de maison de correction pour mineures. La troisième après 1945 : l’institut public d’éducation surveillée pour mineures. L’établissement ferme en 1952 après deux suicides de détenues.
Photographie extraite de l’exposition « Voix Éteintes, âmes agissantes » d’Agnès Geoffray au château de Cadillac. Agnès Geoffray
Qui surveillait la prison au XIXe siècle ?
Les religieuses des sœurs de la Sagesse, qu’on retrouve également à l’hôpital psychiatrique. Les détenues sont aussi encadrées par l’entreprise en charge des travaux forcés. Les femmes doivent coudre 12 à 13 heures par jour, six jours sur sept. Les conditions de détention sont très rudes : froid, surpopulation carcérale, manque d’hygiène et de nourriture, maladies. Et le pire : l’obligation de silence. Le taux de mortalité est extrêmement élevé à cette époque.
Photographie extraite de l’exposition « Voix Éteintes, âmes agissantes » d’Agnès Geoffray au château de Cadillac. Agnès Geoffray
Qui sont ces détenues ?
Des femmes condamnées à au moins un an de prison. À cette époque, les femmes sont considérées comme des citoyens de deuxième catégorie. Elles seraient considérées aujourd’hui comme des victimes d’une société patriarcale. Au XIXe, beaucoup sont jugées pour infanticide alors que l’avortement n’existe pas et que certaines ont été violées.
Photographie extraite de l’exposition « Voix Éteintes, âmes agissantes » d’Agnès Geoffray au château de Cadillac. Agnès Geoffray
Le visiteur découvre des cellules individuelles minuscules au dernier étage (2,6 m sur 1,8 m), les fameuses cages à poules.
Ces cages à poules renvoient à la deuxième époque, celle l’école de préservation. Au XIXe siècle, il y avait 14 dortoirs avec une forte population carcérale. Au XXe, ces cages sont mises en place pour isoler les pupilles mineures. Les filles sont un peu moins nombreuses. Il y a un peu plus d’éducation. Au fil des décennies, des contrats de louage sont signés avec des familles à l’extérieur, dans les maisons ou les vignes. Une main-d’œuvre bon marché.
Photographie extraite de l’exposition « Voix Éteintes, âmes agissantes » d’Agnès Geoffray au château de Cadillac. Agnès Geoffray
Les filles de l’école de préservation ont-elles commis de gros délits ?
À l’époque de la maison centrale, on enferme les femmes suite à des décisions de justice. Ce n’est pas le cas au XXe. Les mineures sont « préservées » sans discernement pour « vagabondage » ou « vol de légume ». Beaucoup sont placées par leur père parce qu’elles auraient couché avec un garçon. Ou tout simplement parce que c’est une bouche de trop à nourrir.
Photographie extraite de l’exposition « Voix Éteintes, âmes agissantes » d’Agnès Geoffray au château de Cadillac. Agnès Geoffray
(1) Exposition en 2018 « Détenues », exposition en 2019 « Mauvaises filles », exposition « Voix Éteintes, âmes agissantes » d’Agnès Geoffray (jusqu’au 15 mai 2022) au château ducal de Cadillac en partenariat avec le Frac Nouvelle-Aquitaine Méca.https://www.youtube.com/embed/8MP-fe8TYJo?enablejsapi=1&origin=https%3A%2F%2Fwww.sudouest.fr Sur le même sujet
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Album de photographies « École de Préservation pour les jeunes filles. Cadillac », vers 1929-1931. Le Centre des monuments nationaux
L’œil de l’artiste Agnès Geoffray
L’artiste Agnès Geoffray, pensionnaire à la Villa Médicis à Rome en 2010, a posé son regard sur l’histoire du château de Cadillac. Son exposition est présentée jusqu’au 15 mai. La photographe s’est plongée dans les archives de la prison et de la maison de préservation avant de proposer trois œuvres distinctes au dernier étage du château. « Fragments », diaporama mêlant textes et images. « Les évadées », impression sur soie à partir de documents issus des archives départementales de la Gironde. « Les intrigantes », paires de gants, avec textes. Les photos « Fragments », dont certaines sont publiées ici, sont projetées dans une cellule. Elles sont accompagnées de citations. Extraits : « Les fugues féminines sont synonymes de souillures précoces » (Véronique Blanchard), « seules les larmes sont heureuses de pouvoir longuement couler » (Anna Aktmatova), « toi, couchée là sur le dos, Les yeux au ciel, Les hommes-araignées t’ont capturée » (Sylvia Plath).
« École de Préservation pour les jeunes filles. Cadillac », vers 1929-1931. Le Centre des monuments nationaux