La propagande, c’est toujours celle des autres. Surtout en temps de guerre. Mais depuis quelques jours, je me sens mal. Autour de moi, je ressens une espèce d’unanimité à la fois angoissée et… étrangement enthousiaste, sachant que, comme l’a écrit Daniel Schneidermann, « toute unanimité est questionnable par définition. C’est une question d’hygiène.

Mačko Dràgàn

Mačko Dràgàn Journaliste punk-à-chat à Mouais et Télé Chez Moi Abonné·e de Mediapart

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Je n’écoute plus les infos. Je ne fréquente plus les réseaux sociaux. Lâcheté ? Peut-être. Lâcheté de voir les immeubles éventrés, les civils en sang, les militaires cagoulés en rang serré, les balles, les tanks, les décomptes macabres, les vidéos atroces et virales de telle attaque, telle exaction, tel discours halluciné de puissant envoyant la chair à canon au casse-pipe ou de cette chair à canon paniquée au milieu des bombes. Lâcheté de voir un monde qui s’effondre au son des hurlements de chef d’Etats en plein délire. Flash-back des terrifiantes images du Kosovo, des explosions et des charniers, quand j’étais gosse.

« Il n’existe pas de guerre propre ou joyeuse », a déclaré benoitement Fabius en 1991, avec un cynisme révoltant –il venait d’être confronté sur un plateau télé à l’usage de Napalm par les Marines, pourtant le « camp du bien ».

La propagande, pour moi, c’est pas un gros mot, en soi. Tout le monde en fait, plus ou moins consciemment. Défendre son point de vue autour de soi, c’est déjà faire acte de propagande –« action exercée sur l’opinion pour l’amener à avoir et à appuyer certaines idées (surtout politiques) », nous dit ce bon vieux Robert. Moi, en tant que « journaliste », ou du moins en tant que personne qui écrit des choses, j’assume de faire de la propagande ; je prends cependant soin de préciser d’où je parle : un prolo précaire anarchiste né dans les années 90, avec tous les biais que cela implique.

Mais la propagande a aussi, toujours selon le Robert, le sens « d’endoctrinement, d’intoxication, de bourrage de crâne ». Souvent quand elle est exercée par des personnes de pouvoir, des Etats, des gouvernements, des « experts » médiatiques, des éditocrates qui, tous, se réclament d’une forme de « neutralité », d’un « pragmatisme » qui leur permettent d’enrober la pilule de la propagande qu’ils nous servent. Et en temps de guerre, on peut dire qu’en terme d’enrobage, on est bien servis –mais en version beurre emballé dans du lard, ce qui explique mes haut-le-cœur devant l’embardée médiatique actuelle.

Un conflit armé ne prête pas à la mesure, c’est certain. Les camps sont tranchés. Il y a l’ennemi, et il y a nous. Il y a ceux qui ont raison, et il y a les autres. Les « fidèles » qui rejoignent l’union sacrée, et les « traitres ». On réactive la rhétorique des « barbares » mangeurs d’enfants, et sans sauce, si ça se trouve, les monstres. Et au-dessus de tout ça, toute la propagande d’Etat pour soutenir et motiver l’effort de guerre, le « on gère tout va bien faites-nous confiance », complaisamment relayée par des médias dont, volontairement ou non, l’analyse géopolitique n’est pas le point fort -l’incompétence de nos éditocrates français dans ce domaine étant hélas particulièrement criante.

« Pura propaganda », avait l’habitude de marmonner en riant un ami Latino, quand je vivais à Quito, devant le défilé habituel de conneries politiques télévisuelles dont les médias locaux sont particulièrement friands. Chez nous, pareil : pura propaganda…

Côté Poutine, évidemment, c’est clair, c’est net ; comme le rapporte Daniel Schneidermann dans son article « Du bon usage de RT France », à propos de ce média russe dont la suspension est envisagée (ce à quoi il s’oppose, et moi aussi), « la propagande exercée par RT France se drape dans les apparences de la pluralité de points de vue pour exercer un black out complet sur les données de base (la présence de l’armée russe sur le sol ukrainien). Dernier exemple en date, ce matin, sur l’arrivée en Ukraine de troupes tchétchènes, en renfort de l’armée russe, arrivée attestée par ces vidéos, postées par notre confrère Wassim Nasr. Sur cette arrivée effective, RT France ne dit mot, préférant poster la vidéo virale de milices ukrainiennes trempant leurs balles dans du sang de porc. »

Mais côté français, sans comparer ce qui n’est pas comparable (nous ne vivons heureusement pas dans une société aussi autoritaire et violente que celle imposée par Poutine, est-il besoin de le préciser), ce conflit suscite également une espèce d’unanimité à la fois angoissée et… étrangement enthousiaste, sachant que, comme l’écrit encore Schneidermann dans ce même article, « toute unanimité est questionnable par définition. C’est une question d’hygiène. Aujourd’hui comme hier. »

L’UE va financer la livraison d’avions de chasse aux « Ukrainiens » (terme générique qui peut désigner aussi bien une civile qu’un militaire ou un milicien d’obédience parfois suspecte tendance bras-droit-en-l’air) ? Réactions des médias unanimes : super ! Génial ! Comme si la « grande Europe » que tous attendaient étaient enfin, grâce à ce conflit, révélée. L’Allemagne fait péter un « tabou » qui dure depuis 1945 en se réarmant massivement, foutant à grands jets cent milliards d’euros supplémentaires dans son budget militaire, soit plus des 2 % du PIB demandés par l’OTAN à ses membres ? Youpi ! En voilà, une nouvelle qu’elle est bonne ! Des armes, encore plus d’armes, toujours plus d’armes, et on l’aura enfin, notre belle Europe militarisée jusqu’à l’os pour le bien de la paix.

Petit rappel qui a sans doute son importance : la France est l’un des principaux marchands d’arme au monde. Et qui détient les médias dans notre beau pays ? Ce sont notamment les principaux groupes d’armement, dont Dassault. Pour lesquels une bonne guerre, c’est un peu comme le matin de Noël.

Et dans ce bouillonnement d’exaltation guerrière, avec un soutien parfois délirant à des mesures de rétorsion qui feront crever le peuple Russe mais on s’en fout, pas de place pour le détail, pour le recul ; pour les petites voix qui rappellent qu’il y avait déjà eu 14000 morts au Donbass depuis 2014, date du véritable début de cette guerre ; pas de place pour ceux qui, tel Le Monde Diplomatique dans son numéro du mois ayant précédé la guerre rapporte, dans un excellent article de David Teurtrie, que « dès 1997, l’élargissement de l’OTAN à l’est est acté alors que les responsables occidentaux avaient promis à M. Mikhaïl Gorbatchev qu’il n’en serait rien. Aux États-Unis, des personnalités de premier plan font part de leur désaccord. George Kennan, considéré comme l’architecte de la politique d’endiguement de l’URSS, prédit les conséquences aussi logiques que néfastes d’une telle décision : « L’élargissement de l’OTAN serait la plus fatale erreur de la politique américaine depuis la fin de la guerre froide. On peut s’attendre à ce que cette décision attise les tendances nationalistes, antioccidentales et militaristes de l’opinion publique russe ; qu’elle relance une atmosphère de guerre froide dans les relations Est-Ouest et oriente la politique étrangère russe dans une direction qui ne correspondra vraiment pas à nos souhaits (4). »

Non, tout ça n’est pas drôle, tout ça est bien trop « tiède », et ne correspond pas à l’air du temps, à savoir : la guerre, bordel ! Avec ce qu’elle implique de fièvre viriliste, parce que la bonne vieille guerre c’est avant tout un gros truc de bonhommes, et, dans les chaines d’info, beaucoup de mecs sont actuellement occupés à sortir leurs couilles à tout bout de champ pour les poser devant les micros en murmurant, l’air inspiré, des phrases grandiloquentes à la BHL et Enthoven, oubliant évidemment en cours de route qu’ils ne seront pas sous les tapis de bombe qu’ils appellent de leurs vœux.

Tout ceci me dégoute. A titre personnel, je n’ai rien contre le fait de me faire trouer la peau (enfin, si, quand même un peu, parce qu’après c’est tout de même moins pratique pour prendre l’apéro), mais encore faudrait-il savoir pour qui, pour quoi, aux côtés de qui. Et hurler aux bienfaits de la lutte armée implique au moins d’avoir la conséquence d’au moins envisager la possibilité d’y être un jour confronté.

Quant à la lecture manichéenne qui est faite du conflit… Comme l’ont écrit des camarades anarchistes ukrainiennes et Ukrainiens dans un communiqué commun que je vous encourage à consulter, et titré « Anarchistes et guerre : perspectives antiautoritaires » (sur crimethinc.com) : « L’OTAN et l’UE, en renforçant leur influence en Ukraine, risquent de consolider le système actuel de « capitalisme sauvage » dans le pays et de rendre une éventuelle révolution sociale encore moins réalisable. Dans le système du capitalisme mondialisé, dont les États-Unis sont le fleuron en tant que leader de l’OTAN, l’Ukraine se voit attribuer la place de l’humble périphérie : un fournisseur de main-d’œuvre et de ressources bon marché […]. Dans le contexte de la défense du pays, l’accent ne devrait pas être mis sur l’importance de la technologie de l’OTAN et du soutien à l’armée régulière, mais sur le potentiel de la société pour une résistance de guérilla. »

Les armes livrées par l’Europe iront-elle à la guérilla anarchiste ? BHL luttera-t-il à leurs côté, poitrine au vent, hurlant « ACAB ! » ? Les éditorialistes parviendront-ils à dire que l’Ukraine n’est pas spécifiquement, pas plus que la France du reste, une démocratie exemplaire ? Va-t-on parvenir à élever le débat et à y introduire la notion de critique de tous les impérialismes ? Va-t-on enfin accorder un peu d’attention (comme l’a fait Mediapart aujourd’hui) aux personnes résidentes ukrainiennes racisées maltraitées à la frontière polonaise, et réaliser que le fait que la SCNF accorde des trajets gratuits aux réfugié.es d’Ukraine est quand même un aveu de racisme d’Etat caractérisé ? Le nouveau rapport du GIEC finira-t-il par apparaitre quelque part dans l’espace médiatique ? Autant de questions, et bien d’autres encore, qui demeureront, évidemment, sans réponses : c’est la guerre, bordel !

Puis, une fois la foire militarisée terminée, on en retournera à la propagande électoraliste, avec Macron en sauveur des peuples libres. Propagande sur propagande. Une lasagne indigeste de propagandes mal décongelées. Excusez-moi, j’ai vomi.

Vivement la fin du monde,

Salutations libertaires,

Mačko Dràgàn

Journaliste à Mouais : https://www.helloasso.com/associations/association-pour-la-reconnaissance-des-medias-alternatifs-arma/paiements/abonnement-mouais

(4) George F. Kennan, « A fateful error », The New York Times, 5 février 1997.

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