Sur France-Inter, Eric Zemmour nous explique que le catholicisme a un droit d’aînesse en France, non seulement sur l’islam, mais aussi sur le judaïsme et le protestantisme. Le vocabulaire ne manque pas d’intérêt. Le christianisme est réduit au catholicisme romain, le mot protestantisme désigne une religion extérieure à l’Eglise, quand la Réforme rappelle sa fondation, à savoir les proclamations de Luther sur la porte de l’église d’Augsbourg et, en France, les thèses formulées par Jean Calvin, chapelain de la cathédrale de Noyon, Picardie, ville où il naquit en 1509. Quant au droit d’aînesse, il a été aboli en France avec tous les privilèges, dans la nuit du 4 août 1789. Au passage, ce droit d’aînesse rendu aux catholiques, qui ne le demandent pas, contredit Jean-Paul II, qui appelait les juifs “nos frères aînés dans la foi”. Pour Zemmour, les religions minoritaires sont seulement tolérées, et il rappelle l’obligation de modestie imposée aux synagogues et aux temples, construits au XIXème siècle et qui selon lui devaient être masqués par un mur. Cette obligation date en fait du moyen-âge, elle n’a jamais figuré dans les lois de la République et les constructions du XIXème siècle n’y étaient pas soumises. Il suffit pour s’en convaincre de regarder la façade de la grande synagogue de Paris, rue des Victoires, et la statue de Gaspard de Coligny, érigée en 1889 devant l’oratoire réformé du Louvre. Selon Zemmour, les églises sont le visage de la France, quand les temples, les synagogues et les mosquées ne sont que des pièces rapportées. C’est historiquement faux, les fondements du judaïsme moderne furent écrits ancien français, par Salomon de Troyes, Rachi (1040-1105). Une nation se définit par sa langue, disait Michelet, il est vrai descendant de Huguenots, et les commentaires de Rachi sont écrits en français, un peu avant la Chanson de Roland. L’établissement des juifs en France précède la fondation de l’église apostolique, et si peu de synagogues forment le paysage français c’est qu’elles ont été détruites. Celle de Rouen précédait la cathédrale, les juifs assuraient la prospérité de la ville avant l’arrivée des Vikings. Ils furent massacrés par les preux chevaliers en route pour la première Croisade, en 1096. Le magnifique palais épiscopal de Rouen, à n’en pas douter visage de la France, a été bâti sur les ruines de la ville juive et de la synagogue. Les temples, églises réformées, ont eux aussi été détruits massivement, sur ordre de Louis XIV, lors de la révocation de l’édit de Nantes. Il s’en trouvait dans chaque village des Cévennes et du Forez. Il s’en trouve tout de même d’impressionnants en Alsace, celui de Mulhouse est une ancienne cathédrale, mais pour Zemmour cette région n’est sans doute pas tout à fait française, puisque Pétain l’avait cédée à l’Allemagne en signant l’armistice du 22 juin 1940. Nul doute que les clochers marquent le paysage français, mais avec Zemmour, on y entend la sonnerie aux juifs de la cathédrale de Strasbourg et le tocsin de Saint-Germain l’Auxerrois au soir de la Saint-Barthélémy. Les Huguenots ne seraient donc pas la France, ni Coligny, ni Sully, ni Henri de Condé, pour ne rien dire du roi de Navarre… Il est vrai que le pasteur Trocmé du Chambon sur Lignon et les descendants des Camisards des Cévennes n’ont pas obéi au Maréchal, ces mauvais français sauvèrent des milliers de juifs “étrangers” que la police de Vichy ne put livrer aux bourreaux nazis. Zemmour, décidément, c’est la Saint-Barthélémy de l’esprit.
Guy Konopnicki
photo de Une temple protestant de Pau