A Aix-en-Provence, aux Archives nationales d’outre-mer conservées par la France, il est désormais possible de consulter librement des documents dont des rapports d’enquêtes judiciaires et des photos relatifs à la guerre d’Algérie.

GEO avec AFP

© Jean-Louis SWINERS/Gamma-Rapho via Getty Images

“Oran”, “Alger”, “Constantine” : parmi les kilomètres des Archives nationales d’outre-mer conservées par la France à Aix-en-Provence (sud-est), seule une affichette blanche permet d’identifier les étagères consacrées à la guerre d’Algérie (1954-1962), où rapports d’enquêtes judiciaires et photos sont pour la première fois consultables librement.

L’ouverture de ces archives s’inscrit dans la politique des “petits pas” amorcée en 2018 par le président français Emmanuel Macron pour “regarder la vérité en face” sur un conflit qui fit près de 500.000 morts civils et militaires, dont 400.000 Algériens, selon les historiens, avec des plaies toujours vives des deux côtés de la Méditerranée.

A Aix-en-Provence, dans un bâtiment de cinq étages, environ la moitié des quelque huit kilomètres linéaires d’archives consacrées à l’Algérie concerne ces documents nouvellement accessibles. “Ce sont essentiellement des dossiers d’enquêtes, des rapports de gendarmerie, de police judiciaire avec parfois des pièces à conviction, des photos“, détaille pour l’AFP Isabelle Dion, la directrice des Archives nationales d’outre-mer (Anom).

L’institution a été créée en 1966, à proximité des universités, pour accueillir les documents administratifs rapatriés par la France de ses anciens territoires coloniaux. Pour accéder aux “magasins”, ces longues pièces anonymes de stockage éclairées par des néons et remplies d’étagères métalliques, il faut monter dans les étages, où la température ne dépasse pas les 15 degrés.

Sur les étagères, des dossiers gris bien alignés côtoient des cartons plus récents, de lourds registres de commerce ou des liasses enveloppées de papier kraft et de ficelle. Pour l’heure, seul 3% de l’ensemble des fonds conservés aux Anom sont numérisés, dont beaucoup de documents d’état-civil, souligne Mme Dion, car “c’est un énorme travail en amont“.

Pour les archives qui viennent d’être ouvertes avec quinze ans d’avance en vertu d’un décret interministériel, la numérisation n’est pour l’instant pas envisagée. Jusqu’à présent, historiens et chercheurs pouvaient déjà avoir accès à ces documents moyennant une dérogation individuelle, mais la procédure pouvait s’avérer fastidieuse.

Les dérogations devaient porter sur des cotes précises, ce qui ne va pas être le cas désormais où les lecteurs, historiens, journalistes ou simples citoyens pourront consulter à leur guise l’ensemble des dossiers“, précise Daniel Hick, conservateur en charge, avec Emmanuelle Braud-Oppenheim, des fonds algériens des Anom.

“Grande avancée”

C’est “une grande avancée“, se félicite-t-il, qui “rendra possible pour des familles de balayer un champ beaucoup plus vaste” de documents. Mais “ce n’est pas si simple à mettre en oeuvre“, tempère Juliette Patron, responsable du département des fonds.

Le service régional de police judiciaire traite tous les dossiers de délits“, que ce soient ceux d’actes décrits comme “terroristes” à l’époque par l’Etat français, ou des délits de droit commun. Or “il peut y avoir au milieu de ces cartons des affaires de droit commun” qui continuent d’être soumises à un délai de 75 ans avant d’être ouvertes, relève-t-elle.

Un temps conséquent qui se justifie, pour Daniel Hick, par le caractère sensible de certains documents et de la période dans laquelle ils ont été produits. “Ce n’est pas pour rien que la loi prévoyait un délai long“, insiste-t-il, mais pour “protéger la vie privée de certaines personnes“, d’autant que “tous ces documents n’ont pas été faits pour être lus“.

Dans un petit coffret dont le conservateur soulève le couvercle, des fiches bristol vertes ou roses appartenant à la police de Tizi Ouzou, ville située à 100 km à l’est d’Alger, retracent succinctement le parcours de combattants indépendantistes du Front de libération nationale (FLN) ou de membres du Mouvement national algérien (MNA), prônant également la fin de la colonisation française.

Chose rare, certaines comportent des photos d’identité. “C’est extrêmement demandé par les Algériens parce qu’à l’époque, il n’y avait pas beaucoup de photos” personnelles, note M. Hick. “Quand vous avez des traits comme ça, c’est qu’ils sont morts“, abattus par les forces de l’ordre, explique-t-il en désignant une biffure rouge qui traverse la fiche en diagonale.

Pour l’heure, “le pouvoir politique pense que c’est plus important d’ouvrir les archives de la guerre d’Algérie que de protéger encore le repos de certains personnes” et de “garder du non éclairci“, selon lui. “C’est un choix” mais qui “peut se comprendre vu la charge de la guerre d’Algérie“. Ce conflit est présent dans les mémoires familiales de millions de personnes en France et en Algérie.

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Soixante ans après la fin de la guerre d’Algérie (1954-1962), épilogue de 132 ans de colonisation française, le sujet reste sensible. Quelles étaient les racines de cette guerre qui, jusqu’à récemment, ne disait pas son nom (on parlait d’ événements ) ? Qui en étaient les acteurs clés ? Comment s’est-elle achevée ? Retrouvez dans ce numéro des photos rares, prises sur le terrain par l’armée française, ainsi qu’une interview de l’historien Benjamin Stora, auteur d’un récent rapport sur la réconciliation mémorielle entre les deux pays.

“La guerre d’Algérie”, magazine GEO Histoire, 7,50 €, en kiosque à partir du 19 janvier 2022.

ECPAD/Défense

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