Par Florence Moreau – fl.moreau@sudouest.fr
Raana Habibi, avocate afghane réfugiée en France, pourrait bien choisir le barreau de Bordeaux pour réintégrer sa profession. Elle était de passage ce vendredi 28 janvier
Tout est à refaire. En août 2021, Raana Habibi, avocate afghane spécialisée dans le droit des femmes a dû fuir son pays. Quitter ses racines, ses amis, sa maison, son métier. Sa vie. Heureusement, elle a pu partir avec son mari, médecin orthopédique et réalisateur, et ses deux enfants. « Nous faisons partie des chanceux sauvés par la France, mais derrière nous, il y a des milliers d’enfants qui demeurent en danger ».
À 37 ans, après treize ans d’exercice, elle doit repartir de zéro. Professeur de droit à l’université d’Hérat, parlant couramment l’anglais, membre de l’assemblée des avocates, à la tête d’une association luttant contre les mariages forcés, les violences domestiques, les emprisonnements ou internements abusifs des femmes, toujours prête à rencontrer ces femmes qui se sont brûlé le corps ou ont tenté de se suicider pour échapper à leur sort, elle se retrouve dans un pays dont elle ne comprend pas la langue. Elle parle de son combat, de son exil dès qu’on lui donne la parole.
« Le conseil national des barreaux a proposé d’accueillir des consœurs et confrères afghans pour les aider à trouver un logement, à apprendre le français et à réintégrer la profession en France », explique Me Estellia Araez. Bordeaux s’est porté volontaire. « Il s’agit de tout mettre en œuvre pour qu’ils reprennent le cours de leur vie. »
« Certains ont tendance à les regarder avec apitoiement et condescendance, mais il ne faut pas oublier qu’ils étaient nos alter ego dans leur pays, rappelle Ghislaine Sèze, avocate honoraire et cofondatrice de l’association Défense sans frontière. Ils ont laissé beaucoup derrière eux. Il faut plutôt saluer leur courage car ils se trouvent chamboulés et déclassés en arrivant en France ».
Confraternité sans frontière
C’est pourquoi le barreau de Bordeaux, avec le soutien d’Icare, l’Institut de conseil et d’assistance aux résidents étrangers, entend accueillir Raana Habibi si elle le souhaite. « Quand un confrère est à terre, la profession se lève », lance Me Christine Maze, la nouvelle bâtonnière qui tient à cette confraternité sans frontière. « Nous nous engageons à tout faire pour qu’elle puisse réintégrer la profession et s’installer à Bordeaux. » Cela débutera par un rendez-vous avec le maire, Pierre Hurmic, lui-même avocat, qui s’est engagé à accueillir des réfugiés afghans.
Actuellement hébergée avec sa famille au Centre d’accueil des demandeurs d’asile de Charleville-Mézières (Ardennes), Raana Habibi sait qu’elle trouvera à Bordeaux une université avec un cursus éprouvé de mise à niveau pour les étrangers. Mieux, elle a « trouvé une famille de confrère. » Le parcours de Raana Habibi est actuellement suivi de près par l’écrivain et réalisateur de documentaires, Atiq Rahimi qui lui aussi avait dû fuir l’Afghanistan en 1984.
Mais Raana Habibi ne veut pas seulement témoigner. Elle se veut la voix de toutes les femmes persécutées qui vivent dans le climat de violences des sociétés patriarcales. Et pour cela, elle souhaite exercer à nouveau. « Dans mon cœur, je veux poursuivre mon chemin. » Elle sait que la route sera longue. Elle a dû se battre pour exister dans son pays, croit profondément dans l’égalité des êtres humains entre eux, a « cherché à vivre fièrement ». Elle continuera.