Premier roman de notre série consacré à la littérature africaine : les impatientes de Djaïli Amadou Amal, paru en 2020 aux éditions Emmanuelle Colas, une fiction en trois parties inspirée de faits réels et qui dénonce les violences faites aux femmes dans des milieux africains.
Nous vous proposons tout à la fois une présentation de l’auteur et un résumé du livre par Bertrand Gilardeau et Martine Descoubes auquel est joint ci dessous une vidéo réalisée par PourQuoiPas pour le Guide du Bordeaux colonial, une émission de la Clé des Ondes 90.10 tous les mercredis de 13 à 14 h. https://www.youtube.com/embed
Que connait-on de l’auteure Djaïli Amadou Amal ?
Elle est une écrivaine camerounaise (née à Maroua) en 1975, qui écrit en français, et elle est aussi une féministe engagée : la presse africaine la surnomme « la voix des sans voix ». Elle dénonce les discriminations faites aux femmes dues aux pressions religieuses et sociales. Elle défend également la culture peule.
Il y a-t-il un rapport étroit entre sa vie et son œuvre ?
Oui, sans aucun doute, car sa propre vie est un combat de femme dont ses romans et singulièrement les impatientes témoignent : résidente au Sahel à l’extrême-nord du Cameroun elle subit un mariage forcé à 17 ans qui durera 5 années. Son second mari est violent et kidnappe ses deux filles au moment de leur séparation. Enfin son premier livre Walaande, l’art de partager un mari est autobiographique.
Et quelle est sa situation aujourd’hui ?
Aujourd’hui elle est un écrivaine reconnue et célébrée qui vit avec son troisième mari, ingénieur et écrivain à Douala sur la côte littorale. Elle reçoit de nombreux reconnaissances nationale et internationales : citons le prix orange du livre en Afrique. Les médias comme Jeune Afrique, radio France international, Vox Africa, France 24 l’ont couronnée. Enfin elle reçoit le Prix Goncourt des Lycéens pour les impatientes en 2020.
Oui et ce roman a une histoire particulière : c’est le premier qui est publié dans une maison d’édition française il s’agit d’une réécriture de son roman précédent Munyal , les larmes de la patience dont le but est de rendre le texte plus universel selon les mots de l’éditrice. le roman salué par les critiques à l’international, fait l’objet de nombreuses traductions dans le monde entier. Dans son pays, et dans la littérature africaine, elle est considérée comme un véritable icône.
Justement que raconte le roman ?
A travers trois portraits de femmes habitant dans une même concession, quasi enfermées, Djaïli Amadou Amal raconte de l’intérieur et donc à la première personne,les violences faites aux femmes à travers le mariage forcé et la polygamie. D’ailleurs la puissance du texte tient d’abord à la force des confessions de ces femmes.
Djaïli Amadou Amal, “les Impatientes” résumé
Après un court résumé, nous avons choisi de privilégier à travers les extraits cet aspect témoignages de la vie quotidienne des femmes dans l’Afrique d’aujourd’hui. A peine sortie de l’adolescence, Ramla est forcée d’accepter un mariage arrangé par son père. Elle épouse un homme de 50 ans, riche, et déjà marié à Safira,, qui lui a donné six enfants. elle sera à la disposition de son mari, avec interdiction de sortir de la maisonnée. Safira, mettra mille stratagèmes en place pour écarter la jeune femme, avant de comprendre que sa co-épouse subit elle aussi son sort. La troisième histoire est celle, terrifiante, de Hindou, mariée avec son cousin alcoolique drogué et violent, auquel elle se soumettra, non sans tenter de se rebeller et de fuir, avant de sombrer dans la folie. « Patience » est la doxa systématique que les hommes et les mères opposent systématiquement à ces jeunes femmes .
Djaïli Amadou Amal, “les Impatientes” réflexion sur le mariage forcé
par Martine Descoubes
Djaïli Amadou Amal a été primée par la jeunesse : ce qui est très important pour elle (et en France et en Orient puisqu’elle a eu le prix Goncourt des Lycéens et le Prix Goncourt de l’Orient) en tant qu’ambassadrice de l’Unicef au Cameroun. C’est par l’éducation de la jeunesse que nous parviendrons à lutter contre ces mariages forcés dit-elle. Si la jeunesse est intéressée par sa voix, elle pourra casser cette tradition.
C’est parce qu’elle a eu son bac que Ramla, dans son récit se sort de sa situation de 2e épouse mariée de force et qu’elle suit en cachette des cours d’université sur internet, communique avec son frère et son amoureux qui sont en Tunisie. Elle sera répudiée et ravie de l’être.
2) Sa situation personnelle
Elle a été mariée de force à 17 ans à un homme de 50 ans alors qu’elle se pensait épargnée car d’un milieu instruit : son père était professeur, sa mère égyptienne donc un peu loin des coutumes pensait-elle. Mais elle a dû accepter ce mariage alors qu’elle s’est pourtant révoltée tout en continuant à aller à l’école. Ce qu’elle a vécu c’est aussi le sort de ses amies, des femmes de sa famille : mariage forcé et polygamie pour toutes les femmes de l’Afrique Subsaharienne mais de nombreux autres pDjaïli Amadou Amal et les « Impatientes » : le mariage forcéays dans le monde également. Ses cousines en Egypte et beaucoup de femmes au Moyen Orient, en Asie connaissent le même sort.
3) L’éducation
En famille dès l’adolescence, le mariage est un sujet tabou, personne n’en parle, par honte, par pudeur. Le seul mot Peul qu’on oppose, c’est Munyal (Patience) donc on se soumet.
- Elles acceptent parce que refuser les met au ban de la communauté, ne reviennent pas chez les parents qui refusent des les héberger.
- Parce qu’on leur fait un chantage affectif (la mère dit qu’elle sera répudiée si Ramla n’obéit pas au père).
- Pour des raisons financières (ici le père met la pression sur Ramla parce que le futur vieil époux est un homme important pour son commerce et qu’il peut lui envoyer un contrôle fiscal)
- Par manque d’éducation.
Djaïli Amadou Amal avait une réelle culture scolaire, lisait beaucoup mais certaines élèves lorsqu’elles sont mariées disparaissent de l’école car elles restent enfermées. Elle achetait des livres d’occasion qu’elle ramenait et en ajoutant un peu d’argent pouvait en acheter d’autres. Mariée elle a eu 2 filles et a commencé à écrire son journal. Puis elle a fui en laissant ses deux filles et a suivi des ateliers d’écriture, puis publié son premier roman. Depuis elle défend le droit des femmes.
4) Le religion a-t-elle quelque chose à voir avec ces mariages forcés dans le monde ?
- Elles vivent dans des milieux qui ont banalisé le mariage forcé, la polygamie, les violences faites aux femmes.
- Hindou, le personnage du roman est frappée par son mari, blessée, violée et plonge dans la folie, elle n’a aucune aide de sa famille, ni du médecin.
- Personnellement, je pourrai comparer le mariage forcé à la pratique de l’excision qui reste active dans les milieux traditionnels africains.
Les mariages forcés dans le Monde
a) Par an : 12 millions de filles sont mariées parfois dès 8 ans (Inde, même si elles continuent à vivre quelques temps chez les parents) soit 1 fille sur 5 mariée de force dans le Monde avant ses 18 ans. Ces mariages concernent aussi les garçons mais dans une moindre mesure.
b) Où ? 40% en Inde (alors que l’âge légal est de 18 ans) et Asie du Sud Est, en Afrique subsaharienne, en Amérique latine, aux Caraïbes, aux Philippines, dans le Pacifique mais aussi aux USA dans certains Etats !! et dans des communautés religieuses ou autres marginalisées où des dizaines de milliers de mineures sont mariées de force (avec leur violeur si viol par exemple ) chez les Juifs Hassidiques après avoir vu leur « fiancé » une demi heure. Dans 25 Etats des USA pas d’âge minimum, il suffit du consentement des parents et d’un juge. En Floride un mineur de moins de 16 ans se marie tous les 2 jours !Si la législation change dans certains états, pas en Floride !
Entre 2000 et 2018, 300 000 mineurs de 16 ou 17 ans ont été mariés légalement aux USA.
c) Causes
- -les traditions culturelles comme dans le roman.
- -la pression de la communauté. (idem)
- -pas de considération pour les filles (seuls les garçons comptent) : on pense ainsi leur assurer un avenir.
- –enfants pas enregistrés à la naissance, donc l’Etat ne reconnaît pas leur existence.
- –pauvreté des familles (Inde)
- –non application des lois
- -situation d’urgence (décès des parents, fille enceinte)
- -Communautés marginalisées
d) Conséquences de ces mariages forcés
- -violences physiques et psychologiques (Hindou est frappée, blessée, violée et devient folle car isolée ,elle est abandonnée par sa famille)
- –exposées au VIH (elles n’on aucune éducation sexuelle, le mari de Hindou fréquente des prostituées et d’autres femmes)
- -gros risques pour la santé des filles lorsqu’elles sont très jeunes et de l’enfant : mortalité importante.
- – isolement social car elles ne sortent plus.
- -pas d’emploi, donc sont obligées de rester avec le mari.
- -ne participent pas à l’économie du pays.
Actions menées contre ces mariages forcés
La Convention internationale des Droits de l’Enfant de 1989 les protège contre toute forme de violence et met en avant leurs choix donc ils devraient être protégés contre les mariages arrangés : 195 pays sont signataires sauf les USA et la Somalie.
L’ONU reconnaît la journée du 11 octobre comme Journée internationale des Filles.
Des associations internationales se mobilisent pour lutter contre ces mariages d’enfants et la situation s’améliore doucement.
En 2012 DjaïIli Amadou Amal a créé une association « Femmes du Sahel » qui possède 2 volets d’actions : l’éducation et le développement :
Elle parraine des enfants au Nord du Cameroun pour leur éducation, crée des petites bibliothèques, organise un suivi scolaire, des discussions avec les parents, les chefs traditionnels et les chefs religieux autour de l’éducation des filles et du mariage forcé.
Elle sensibilise 10 000 filles par an : contre l’illettrisme et le mariage forcé.
7) Le mariage forcé et l’Asile :
Jurisprudence CNDA , 05 décembre 2008 Mme B (p.80) : […] Les femmes qui entendent se soustraire à un mariage imposé, c’est-à-dire conclu sans leur libre et plein consentement, dont l’attitude est regardée par tout ou partie de la société de leur pays d’origine comme transgressive à l’égard des coutumes et lois en vigueur, et qui sont susceptibles d’être exposées de ce fait à des persécutions contre lesquelles les autorités refusent ou ne sont pas en mesure de les protéger, doivent être regardées comme appartenant à un groupe social au sens de l’article 1erA,2 de la convention de Genève…
Donc elles peuvent bénéficier soit de l’Asile donc du statut de réfugié, soit au moins de la protection subsidiaire : car elles peuvent être soumises en s’opposant au mariage, à des traitements inhumains et dégradants (article L 712-1b du CESEDA code qui régit entre autres le droit d’asile)
Pour l’Asile toutes les conditions demandées doivent être remplies. Si toutes les conditions demandées ne sont pas remplies elles obtiennent la protection subsidiaire qui est une protection pluriannuelle qui va jusqu’à 4 ans.
Conditions pour obtenir l’asile :
Quand elle rédigera son récit de persécution pour l’entretien Ofpra(de demande d’asile) puis le recours CNDA si recours, elle devra :
- Expliquer comment le mariage a été conclu par les deux familles
- Expliquer les raisons de l’impossibilité de s’y opposer
- Indiquer avec précision le quotidien dans le foyer conjugal
- Expliquer s’il s’agit ou pas d’une pratique généralisée au sein de la société ou du groupe ethnique d’appartenance
- Préciser s’il existe ou non des organismes qui militent contre la pratique des mariages forcés
- Indiquer si vous avez connaissance ou non de protection effective de la part des autorités du pays
Si toutes les conditions sont remplies elles auront l’asile sinon la protection subsidiaire.
C’est la même protection pour les mères dont les petites filles risquent l’excision dans leur pays.
Même protection pour les hommes homosexuels qui vivent dans un pays où l’homosexualité est punie socialement ou par la loi.