Un Malien qui chante et promeut la culture kabyle ? Il n’en fallait pas plus pour faire de cet artiste la coqueluche de toute une région.
Il a 25 ans, il s’appelle Cheick Tidiane Coulibaly, mais ses nombreux amis et admirateurs l’appellent Chek et son nom d’artiste est Chee. Depuis quelques semaines, cet étudiant malien qui a débarqué il y a trois ans dans la ville de Tizi-Ouzou pour suivre des études en gestion de ressources humaines dans un institut privé, fait le buzz avec une chanson intitulée « Imazighen » (« les Berbères ») postée sur YouTube.
Dans le clip, Chek est filmé en train de chanter et de danser en compagnie de trois Maliennes vêtues de robes kabyles sur différents sites emblématiques de la Kabylie comme le tombeau de Matoub Lounès, le chanteur porte-drapeau du combat pour la culture berbère, assassiné en juin 1998.
Débuts difficiles
Un Malien qui chante en kabyle pour faire la promotion de la Kabylie et de la culture berbère : le fait est assez inédit pour ne pas passer inaperçu. Les réactions, un mélange d’étonnement et d’admiration, ne se font pas attendre.
Le jeune auteur-compositeur, qui fait du rap, bouscule les codes vestimentaires et linguistiques, brouille les frontières culturelles. Chek est arrivé en Kabylie avec son sourire XXL et sa joie de vivre pour donner un bon coup de pied dans les certitudes établies.
J’ai côtoyé les Kabyles et ils me traitaient comme un frère. J’ai beaucoup aimé cette mentalité
« Chek est un garçon très ouvert et curieux de tout. Il s’intéresse à tout, veut tout connaître et travaille sans arrêt » dit de lui son ami Riad qui le connaît depuis 3 ans.
Chek est le benjamin d’une fratrie de trois garçons originaires de la ville de Manantali, dans le sud-ouest du Mali. La famille est montée dans le nord du pays pour suivre les pérégrinations du père, militaire, et de la mère, qui travaille à la Croix-Rouge internationale.
En arrivant en Algérie en 2018, Chek est très loin d’être emballé par l’atmosphère. « Au début, ça ne me plaisait pas du tout. Je me disais que je n’allais pas rester ici, mais avec le temps, je me suis fait des amis. J’ai côtoyé les Kabyles et ils me traitaient comme un frère. J’ai beaucoup aimé cette mentalité et c’est comme ça que je me suis intégré », dit-il sous le regard souriant de Riad, son ami, et Abdennour, son éditeur et manager.
« Les gens ont adoré »
L’histoire d’amour de Chek avec la Kabylie commence en 2019, à l’occasion de Yennayer, le nouvel an berbère, lorsque des amis lui demandent de jouer le mannequin lors du défilé de mode que des étudiants organisent pour la soirée de cette fête traditionnelle.
« Les gens ont adoré. Encore plus lorsque je me suis exprimé avec les quelques mots de kabyle que je connaissais alors, raconte-t-il avec ce grand sourire qui ne le quitte jamais. Cela leur a fait vraiment plaisir », dit-il encore.
D’un naturel attachant et ouvert aux autres, Chek n’a aucun mal à se faire des amis et à s’intégrer au sein de cette société de montagnards épris de liberté. Au fil des mois, il visite les montagnes et les villages de Kabylie, mémorise mots et expressions, prend des notes. Il découvre lentement cette « vaste culture berbère » et se dit admiratif et respectueux du « long combat des Kabyles pour maintenir vivante leur culture et leur identité millénaires ».
Avec ses dreadlocks peroxydés, ses costumes impeccables, son gros médaillon doré, difficile de ne pas le remarquer à Tizi-Ouzou
Mannequin toujours tiré à quatre épingles, Chek ne passait déjà pas inaperçu dans les rues de Tizi-Ouzou. Avec ses dreadlocks peroxydés, ses costumes impeccables, son gros médaillon doré, il est difficile de ne pas remarquer le jeune homme. Depuis le clip, les gens l’arrêtent désormais dans la rue pour se prendre en photo avec lui.
« Beaucoup de gens m’appellent pour m’encourager et cela me fait vraiment plaisir », dit-il. La jalousie, les commentaires négatifs, voire racistes, sur les réseaux sociaux, Chek les balaie d’un revers de la main. « Tu ne peux pas forcer quelqu’un à t’aimer. Moi je leur dis : Ghas uyith hemledh ara, nekkini hemlaghak ! (“Même si tu ne m’aimes pas, moi je t’aime”) », tranche-t-il dans un kabyle teinté d’accent bambara.
Tisser des liens avec des artistes subsahariens
Les réactions au pays comme à Tizi-Ouzou sont la plupart du temps positives. « Certains n’apprécient pas que je sois tout le temps avec les Kabyles mais beaucoup sont très contents et pensent que je vais tisser des liens entre les communautés. Après tout, rien de mieux que la musique pour rapprocher et unir les gens au-delà des frontières », conclut-il.
Et Chek veut aller plus loin. Il envisage de réaliser un grand clip chez lui, au Mali, en mélangeant les symboles et les références culturelles. « Il est également possible de faire quelque chose avec des artistes d’ici et de tisser des liens entre eux et leurs confrères maliens, ivoiriens, sénégalais, guinéens, etc. », affirme-t-il. Son producteur et éditeur, Abdenour, se dit prêt à aller au Mali pour effectuer ce mélange des cultures.
Ces dernières années, des milliers de réfugiés africains fuyant la guerre ou la sécheresse sont arrivés en Algérie
Il est assez fréquent, depuis les années 1970, de rencontrer des étudiants de l’Afrique subsaharienne dans les universités algériennes. Ces dernières années, des milliers de réfugiés africains fuyant la guerre ou la sécheresse sont arrivés dans les villes algériennes du nord après une improbable traversée du désert où ils ont souvent joué leur vie à quitte ou double.
« À Tizi-Ouzou, nous avons l’habitude de voir des joueurs africains dans le club local. Certains sont devenus de grandes vedettes admirées de tous et on a remarqué ces dernières années que les nombreux réfugiés subsahariens qui sont arrivés en Kabylie se sont très bien adaptés aux mœurs de la région. Beaucoup parlent kabyle assez bien pour se débrouiller », souligne pour sa part Tahar Khouas, inspecteur divisionnaire des impôts à Tizi-Ouzou.