LE LIVRE DE LA SEMAINE. Dans un récit plein d’humour et de dérision, le réalisateur narre son parcours d’autodidacte passionné entre Bénin et France.
Il arrive parfois que, dans la vie, le réel dépasse la fiction. C’est ce que l’on ne cesse de se dire à la lecture du Réalisateur nègre, le premier ouvrage du cinéaste franco-béninois Jean Odoutan. Ce dernier y raconte en effet l’expérience que fut la réalisation de son premier long-métrage, Barbecue-Pejo, débuté en 1997 et qui s’acheva en l’an 2000, après d’innombrables difficultés.
Tout commence pourtant par une bonne nouvelle : un beau jour, le réalisateur français Pascal Thomas, alors président de la commission d’avance sur recette du Centre national du cinéma (CNC), appelle Jean Odoutan pour lui annoncer que son scénario va bénéficier d’un soutien financier. Autodidacte du septième art, habitué aux galères pour survivre plutôt qu’aux bonnes surprises, Jean Odoutan est transporté.
Afin de boucler son budget, il contacte innocemment un couple de producteurs français repérés dans l’annuaire de la profession. « Avant même le début de la production du film, ils s’accaparent 35 % des subventions, représentant soi-disant les frais généraux : factures de téléphone, chauffage, électricité, personnel administratif régulier, petits déplacements, etc. », précise l’auteur.
Après cette première escroquerie, l’élaboration du film va s’apparenter à un long marathon d’épreuves, depuis le recrutement de l’équipe jusqu’aux projections en salle, en passant par l’acheminement du matériel, les difficultés du tournage au Bénin, les imbroglios administratifs, les tracas relatifs à la commercialisation et à la promotion.
Un humour caustique et dévastateur
Lorsque, enfin, le réalisateur aperçoit le bout du tunnel, c’est sa famille qui se rappelle à lui en l’enjoignant à la solidarité : « Notre vieille maman connaît des difficultés de santé, le chapitre un aîné. Ils évoquent une sorte d’écume qui sort de sa bouche… preuve d’une mort certaine probable ! Sans barguigner, entre nous, tu ne trouves pas judicieux de sauver ta mère avec une partie de cette subvention du CNC ? » Mais le réalisateur possède deux atouts majeurs : un humour caustique et dévastateur, qui fait tout le charme de son récit ; et une passion inébranlable pour le cinéma.
Né à Cotonou en 1965, Jean Odoutan grandit au sein d’une famille modeste mais non dénuée d’ambition. Le père veut « faire de chacun de ses enfants des Victor Hugo ». Plutôt que la plume, c’est l’image qui attire son fils Jean, celle des westerns projetés au Ciné Vog de son quartier. Lui aussi se rêve créant des histoires pour l’écran.
Mais comment s’y prendre quand on n’appartient pas au sérail ? Il décide, pour commencer, d’aller apprendre le cinéma ailleurs. Au tournant des années 1980, Jean Odoutan quitte son pays en taxi-brousse, s’aventure au Nigeria, puis parvient à prendre un vol pour Moscou avant de rejoindre Paris.
« Des histoires nègres ! »
C’est là que les choses se gâtent. Le jeune homme connaît la galère des travailleurs précaires, habitants des foyers Sonacotra, puis le suivi de la Ddass. La délinquance n’est pas loin. Heureusement, un camarade de classe devenu un ami l’invite dans sa famille. Le garçon retrouve un cadre affectif structurant. Après deux ans de fac, il se lance pleinement dans la vie. Petits jobs, petits rôles, courts-métrages, chanson… jusqu’au succès de Barbecue-Pejo, qui lui vaut notamment la « une » de quotidiens nationaux.
Bien que narrant l’histoire de ce film avec vingt ans de recul, Jean Odoutan parvient à entraîner le lecteur dans les moindres détails de son parcours du combattant. Et si on se plaît à le suivre dans ce vaste et truculent récit making-of, c’est aussi parce que son livre donne, au-delà de l’humour, une véritable leçon de vie. Celle d’un cinéaste hors normes mais reconnu par la profession qui, malgré tous les obstacles, est parvenu à réaliser une demi-douzaine de films et dont l’ambition a toujours été « comme le rêvait [son] vieux père, de conter nos histoires, celles que d’autres ne peuvent raconter à notre place ! Des histoires nègres, qui claquent bois d’ébène ! »
Un homme également dont l’engagement s’est incarné dans son pays d’origine, grâce à la mise sur pied, en 2003, du festival de cinéma itinérant Quintessence – quinze éditions à ce jour – qui veut donner à voir les cinématographies africaines.
Récit autobiographique d’un créateur polyvalent, volontaire et acharné, Le Réalisateur nègre est donc aussi à prendre comme une masterclasse de Jean Odoutan, un artiste dont toute l’élégance consiste à se présenter comme un prince de la débrouillardise.
Le Réalisateur nègre, de Jean Odoutan (45 rdlc Editions, Asnières, France).
Kidi Bebey