Le Maroc a réprimé des journalistes indépendants et autres dissidents, notamment par le biais de poursuites judiciaires vraisemblablement inspirées par des motifs politiques. Des lois restreignant l’exercice des libertés individuelles sont restées en vigueur, notamment certaines lois discriminatoires envers les femmes et les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres (LGBT). Au Sahara occidental, les autorités ont continué de limiter sévèrement les activités et la liberté d’expression des activistes indépendantistes.
Système de justice pénale
Selon le code de procédure pénale, toute personne prévenue a le droit de contacter un avocat au bout de 24 heures de garde à vue, période qui peut être prolongée jusqu’à 36 heures. Cependant, les personnes détenues n’ont pas le droit à la présence d’un avocat lors de leur interrogatoire par la police ou lors de la signature de leur déposition. Ces dernières années, les agents de police ont fréquemment contraint ou trompé des personnes détenues pour les faire signer des déclarations auto-incriminantes, sur lesquelles des juges se sont appuyés par la suite pour les condamner, même lorsque les personnes accusées réfutaient ces aveux lors d’audiences de leurs procès.
Liberté d’association et de réunion
Les autorités ont continué d’entraver le travail de l’Association marocaine des droits de l’homme (AMDH), la plus grande organisation indépendante de défense des droits humains du pays. L’AMDH a affirmé qu’au 15 septembre 2021, les autorités avaient refusé d’entériner les démarches administratives de 84 de ses 99 antennes locales, ce qui limitait leur capacité à effectuer certaines démarches de base comme l’ouverture d’un compte en banque ou la location d’une salle. Ces entraves ont persisté même après que des tribunaux administratifs ont statué en faveur de l’AMDH.
Liberté d’expression
Le 30 juillet, plusieurs médias internationaux ont révélé que le logiciel espion Pegasus, mis au point par l’entreprise israélienne NSO Group, aurait été utilisé pour infiltrer les téléphones portables de nombreux individus au Maroc. Pegasus, qui, selon les affirmations de NSO Group, serait vendu exclusivement aux États, permet d’accéder au répertoire, aux e-mails et aux messages, d’écouter les appels, de récupérer les mots de passe, de localiser le téléphone et de pirater le microphone et la caméra de l’appareil visé pour en faire un instrument de surveillance. Parmi les cibles se trouvaient des journalistes — du Maroc et d’ailleurs — ainsi que des défenseurs des droits humains marocains.
Le code pénal marocain punit de peines de prison et d’amendes les auteurs d’infractions relevant du discours non violent, notamment de propos « portant atteinte » à l’Islam ou à la monarchie et « incitant contre » « l’intégrité territoriale » du Maroc, en référence à sa revendication de souveraineté sur le Sahara occidental. Alors que le Code de la presse et de l’édition ne sanctionne pas ces délits par des peines de prison, des journalistes et des commentateurs des réseaux sociaux ont subi des poursuites, en vertu du code pénal, pour avoir exprimé des opinions critiques, mais non violentes.
Parmi les personnes ciblées, le Youtubeur maroco-américain Chafik Omerani et le militant Noureddine Aouaj ont été condamnés respectivement à trois mois et deux ans de prison, pour « outrage à des institutions constitutionnelles » après avoir critiqué le roi Mohammed VI. Omerani a été libéré le 6 mai au terme de sa peine. Le commentateur YouTube Mustapha Semlali, alias Allal El Kadouss, a été condamné à deux ans de prison pour « atteinte à l’institution monarchique » sous l’accusation d’avoir diffamé le prince Moulay Rachid, frère du roi. Une étudiante maroco-italienne, Ikram Nazih, a quant à elle été condamnée à trois ans de prison pour « atteinte à la religion islamique » après avoir partagé une publication sur Facebook considérée comme une satire d’un verset du Coran. Elle a été libérée le 23 août après qu’une cour d’appel a réduit sa peine à deux mois. La Youtubeuse Jamila Saadane a écopé d’une peine de trois mois pour « insulte à des institutions organisées et diffusion de fausses allégations » après avoir déclaré que les autorités protégeaient des activités de tourisme sexuel à Marrakech.
Dans d’autres cas, le Maroc a arrêté, poursuivi et emprisonné plusieurs détracteurs non pas directement pour leurs propos, mais pour des délits sexuels ou des détournements de fonds, alors que les preuves étaient maigres ou douteuses ou que les procès étaient entachés de violations manifestes du droit à un procès équitable.
Le 27 janvier, un tribunal de première instance de Rabat a condamné l’historien et défenseur de la liberté d’expression Maati Monjib à un an de prison pour « réception de fonds étrangers en vue de porter atteinte à la sécurité intérieure du Maroc ». Cette accusation repose sur le fait qu’une organisation non gouvernementale (ONG) fondée par Monjib pour défendre la liberté d’expression a reçu des dons d’ONG européennes pour organiser des formations destinées aux journalistes locaux, qui portaient prétendument « atteinte à la sécurité intérieure du Maroc ».
Le 20 janvier s’est tenue une audience de Monjib, à laquelle il n’a pas pu assister, alors qu’il se trouvait justement dans le même tribunal pour répondre aux questions d’un procureur sur une autre affaire, pour laquelle il était en détention provisoire. Ses avocats ont déclaré que le tribunal n’avait informé ni l’accusé ni eux-mêmes de l’audience, ce que les autorités ont nié. Maati Monjib a été libéré le 23 mars alors qu’il était en grève de la faim depuis 19 jours. Au moment de la rédaction de ce rapport, le jugement en appel n’était pas encore rendu. Dans la même affaire, trois autres activistes avaient été condamnés en première instance à un an de prison par contumace.
Le 9 juillet, un tribunal de première instance à Casablanca a condamné Soulaimane Raissouni, journaliste connu pour ses éditoriaux critiques, à cinq ans de prison pour « agression sexuelle ». En mai 2020, Raissouni a été placé en détention provisoire, quelques jours après que, dans une publication Facebook, un homme a accusé le journaliste de l’avoir agressé sexuellement deux ans auparavant lors d’une visite chez Raissouni. Ce dernier a passé un an en détention provisoire sans que le tribunal ne fournisse de justification détaillée pour son refus de liberté provisoire pendant une si longue durée. Ce n’est que bien après le début du procès que Raissouni a pu accéder à son propre dossier.
Ayant observé une longue grève de la faim pour protester contre les conditions de son procès, Raissouni a demandé à être transporté jusqu’à la salle d’audience en ambulance et à suivre les séances en fauteuil roulant, sous surveillance médicale. Le juge a refusé sa requête. Le prévenu n’a donc pas pu assister aux quatre dernières séances de son propre procès. Ses avocats ont quitté l’audience en protestation. Après le verdict, Raissouni a cessé sa grève de la faim, qui aura duré en tout 118 jours. Le jugement en appel de l’affaire était en attente au moment de la rédaction de ce rapport.
Taoufik Bouachrine, directeur du défunt quotidien indépendant Akhbar al-Yaoum, où Soulaimane Raissouni travaillait en tant que rédacteur en chef, purge actuellement une peine de 15 ans pour agression sexuelle sur plusieurs femmes. Le verdict a été rendu par une cour d’appel en 2019 après un procès qui, d’après le groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire, était entaché de multiples violations de procédure et faisait partie d’un « harcèlement judiciaire qui ne saurait qu’être la conséquence [de son] travail d’investigation et d’information ».
Le 19 juillet, un tribunal de première instance à Casablanca a condamné le journaliste d’investigation Omar Radi à six ans de prison pour plusieurs chefs d’accusation, dont espionnage et viol d’une collègue. Son confrère Imad Stitou a écopé d’un an de prison, dont six mois avec sursis, pour « participation » dans l’affaire du viol allégué, car il n’« a rien fait pour l’empêcher ». Radi a déclaré que la plaignante et lui avaient eu un rapport sexuel consenti.
Omar Radi, dissident réputé qui subit un harcèlement d’État de longue date, est en prison depuis le 29 juillet 2020. Imad Stitou demeure libre en attendant le jugement en appel. Après examen des faits matériels sur lesquels sont bâties les accusations d’espionnage portées contre Radi, Human Rights Watch a découvert que ces faits relevaient du travail routinier de tout journaliste, d’enquêtes de « due diligence » sur des entreprises réalisées dans le cadre d’activités de consulting, et banales activités relationnelles avec des diplomates étrangers. Le dossier de l’affaire, passé en revue par Human Rights Watch, ne contenait aucune preuve que M. Radi ait fourni des informations classifiées à quiconque, ni même qu’il ait obtenu à la base de telles informations.
De graves violations des garanties d’une procédure régulière ont été identifiées au cours du procès, auquel Human Rights Watch a assisté. Le tribunal n’a jamais fourni de justification substantielle pour maintenir Omar Radi en détention provisoire pendant un an. Il a récusé des témoins de la défense et a admis les dépositions écrites d’un témoin à charge tout en refusant de le citer à comparaître, empêchant ainsi la défense de faire valoir son droit à un contre-interrogatoire. Alors que Radi a dû se battre pendant des mois au tribunal pour accéder à son dossier judiciaire, des sites internet étroitement liés aux services de sécurité ont mis la main sur des copies avant même le début du procès, et se sont fondés sur ces fuites pour publier une multitude d’articles affirmant la culpabilité de Radi. L’affaire a été portée en appel.
Monjib, Raissouni, Radi et d’autres encore ont été la cible constante d’attaques relayées par des sites internet qualifiés localement de « médias de diffamation », en raison de leurs attaques incessantes et apparemment coordonnées contre les personnes qui critiquent les autorités. Connus pour être proches des services de sécurité, ces sites ont publié ces dernières années des centaines d’articles comprenant des informations privées sur les individus ciblés. Parmi ces informations : des relevés bancaires et de propriété, des captures d’écran de conversations électroniques privées, des allégations relatives à des relations sexuelles, ainsi que des détails biographiques intimes.
Sahara occidental
Le processus de négociations sous l’égide des Nations Unies entre le Maroc et le Front Polisario, mouvement de libération qui lutte pour l’autodétermination du Sahara occidental, est resté au point mort après la démission en mai 2019 de Horst Köhler, envoyé spécial du Secrétaire général de l’ONU pour la région. Le 6 octobre, Staffan De Mistura a été désigné pour le remplacer à ce poste.
La majeure partie du Sahara occidental se trouve sous contrôle marocain depuis que l’Espagne, ancien administrateur colonial de ce territoire, s’en est retirée en 1975. En 1991, le Maroc et le Front Polisario ont accepté un cessez-le-feu négocié par les Nations Unies afin de préparer un référendum d’autodétermination, lequel n’a jamais eu lieu. Considérant le Sahara occidental comme partie intégrante du royaume, le Maroc refuse d’organiser tout référendum dont l’un des choix serait l’indépendance.
En novembre 2020, les forces de sécurité marocaines ont établi une surveillance lourde et quasi constante autour du domicile de l’activiste indépendantiste Sultana Khaya à Boujdour, au Sahara occidental. Sans fournir aucune justification, elles ont empêché plusieurs personnes, dont des parents de l’activiste, de lui rendre visite. Selon Mme Khaya, les forces de police ont fait irruption chez elle à plusieurs reprises, assenant des coups à l’activiste et à ses proches, et répandant un liquide nauséabond dans sa maison. Sultana Khaya est connue localement pour ses manifestations publiques d’opposition véhémente au contrôle du Maroc sur le Sahara occidental. À l’heure de la rédaction de ce chapitre, son domicile faisait toujours l’objet d’un blocus arbitraire.
Les autorités marocaines empêchent systématiquement les rassemblements en faveur de l’autodétermination du peuple sahraoui, et font obstruction au travail de certaines ONG locales de défense des droits humains, notamment en bloquant leur accréditation. Elles ont parfois brutalisé des activistes et des journalistes, en garde à vue ou dans les rues, ou perquisitionné leur domicile avant de détruire ou confisquer leurs biens. Human Rights Watch a recensé certains de ces passages à tabac et de ces descentes, notamment celle au domicile de l’activiste indépendantiste Hassana Douihi en mai 2021.
En 2021, 19 Sahraouis étaient toujours en prison après avoir été condamnés en 2013 et 2017, à l’issue de procès inéquitables, pour les meurtres de 11 membres des forces de sécurité marocaines commis en 2010, lors d’affrontements survenus quand les autorités ont démantelé par la force un vaste campement de protestataires à Gdeim Izik, au Sahara occidental. Dans leur verdict de culpabilité, les deux tribunaux se sont appuyés presque entièrement sur les aveux obtenus par la police, sans enquêter sérieusement sur les affirmations selon lesquelles les accusés avaient signé leurs aveux sous la torture. Le 25 novembre 2020, la Cour de cassation, plus haute instance juridique du Maroc, a confirmé le verdict de la cour d’appel.
Droits des femmes et des filles
Le Code de la famille marocain est discriminatoire à l’égard des femmes en ce qui concerne les questions d’héritage et les procédures de divorce. Il fixe à 18 ans l’âge minimum requis pour le mariage, mais autorise les juges à accorder des « dérogations » pour permettre le mariage de filles âgées de 15 à 18 ans à la demande de leur famille.
Bien que la loi marocaine de 2018 sur les violences faites aux femmes ait érigé en crimes certaines formes de violence conjugale, créé des mesures de prévention et fourni de nouvelles protections aux victimes survivantes, elle exige des victimes qu’elles engagent des poursuites criminelles afin d’obtenir ces protections, ce que peu d’entre elles sont en mesure de faire. Par ailleurs, elle n’énonce pas les obligations de la police, des procureurs et des juges d’instruction dans les affaires de violence conjugale, et ne prévoit pas non plus de financement pour les refuges pour femmes.
La loi marocaine ne considère pas explicitement comme un crime le viol conjugal, et une femme qui dénonce un viol peut se retrouver elle-même poursuivie pour avoir eu un rapport sexuel hors mariage si les autorités ne la croient pas.
En juillet, une publication sur Instagram est devenue virale : elle révélait un hôtel à Marrakech qui refuse l’accès aux femmes marocaines non accompagnées de leur époux ou de leur famille. Le Maroc interdit aux hôtels de loger un couple non marié dans une même chambre, mais aucune loi connue à ce jour ne refuse l’accès aux femmes non accompagnées dans quelque établissement que ce soit.
En juillet, les autorités ont nommé la première femme procureure en chef dans un tribunal de première instance. Même si le Maroc compte des femmes juges, les femmes restent de manière générale très peu représentées au sein des institutions judiciaires.
En mai, le Conseil national des droits de l’Homme du Maroc a signalé que le harcèlement sexuel et les violences sexistes à l’encontre du personnel féminin et des étudiantes étaient répandus dans les universités marocaines, et que le pays manquait de mécanismes et de moyens pour lutter correctement contre le harcèlement et pour venir en aide aux victimes dans ces établissements.
Orientation sexuelle et identité de genre
Au Maroc, toute relation sexuelle consentie entre adultes non unis par le mariage peut être punie d’une peine de prison allant jusqu’à un an. La loi marocaine criminalise aussi ce qu’elle qualifie d’actes de « déviance sexuelle » entre personnes du même sexe, expression que les autorités utilisent en référence à l’homosexualité en général, et les rend passibles d’une peine de prison pouvant aller jusqu’à trois ans.
Dans un mémorandum publié en octobre 2019, le Conseil national des droits de l’Homme, organe dont les membres sont nommés par l’État, a recommandé de décriminaliser les relations sexuelles consenties entre adultes non mariés. Plus de 25 ONG ont exprimé leur soutien à cette recommandation. Toutefois, le gouvernement marocain n’a pas agi en conséquence.
Réfugiés et demandeurs d’asile
Le gouvernement n’a toujours pas approuvé un projet de loi introduit en 2013 qui constituerait la première législation du Maroc sur le droit d’asile. Une loi de 2003 sur la migration, toujours en vigueur, comprend des dispositions qui érigent en crime toute entrée irrégulière, sans exception pour les personnes réfugiées et en quête d’asile. En septembre 2021, le ministère des Affaires étrangères avait accordé des cartes de réfugié, ou lancé le processus administratif nécessaire, délivré des permis de séjour spéciaux et des autorisations de travail à 856 personnes, pour la plupart originaires d’Afrique subsaharienne, reconnues au cours des dernières années comme réfugiées par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR). D’après le HCR, l’ensemble des 8 853 réfugiés reconnus comme tels jusqu’à septembre 2021 ont eu accès aux services de santé et, le cas échéant, à l’éducation publique, mais seule la moitié environ a reçu des permis de séjour et de travail réguliers. En septembre, 6 902 personnes en quête d’asile étaient également enregistrées au Maroc.
En 2021, les médias et certaines ONG ont rapporté des violations des droits humains perpétrées par les autorités marocaines à l’encontre des personnes migrantes, dont des descentes abusives visant à déplacer de force les migrants subsahariens à l’intérieur du pays, généralement vers le sud, et des détentions arbitraires, y compris d’enfants. Sur un plan plus positif, le gouvernement marocain a annoncé qu’il inclurait les personnes réfugiées, migrantes et en quête d’asile dans la campagne nationale de vaccination contre le Covid-19, lancée en janvier 2021. En septembre, 574 personnes réfugiées avaient été vaccinées.
Le 19 juillet, Idris Hasan, activiste ouïghour qui vivait en Turquie, a été arrêté à sa descente d’avion à l’aéroport de Casablanca. Un tribunal a validé sa demande d’extradition de et vers la Chine le 15 décembre, mais il n’avait pas encore été extradé au moment de la rédaction de ce rapport. Extrader Idris Hasan reviendrait à violer les obligations du Maroc au titre de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés et de la Convention de 1984 contre la torture, lesquelles interdisent de renvoyer de force quiconque vers un endroit où cette personne risque des persécutions et la torture.
Principaux acteurs internationaux
Le 29 septembre, le Tribunal de l’Union européenne a annulé deux accords commerciaux entre le Maroc et l’UE, l’un portant sur les produits agricoles et l’autre sur la pêche. Le Tribunal a déclaré que le Sahara occidental, auquel s’appliquaient ces deux accords bilatéraux, devrait être considéré comme tiers et en tant que tel, son peuple devait donner son « consentement » pour que l’accord soit valide. Il a décrété que les consultations des parties concernées au Sahara occidental, auxquelles le Front Polisario a refusé de participer, ne satisfaisaient pas les critères nécessaires au « consentement ». À l’heure de la rédaction de ce rapport, le Maroc et l’UE n’avaient pas fait appel de cette décision.